Dès lundi, tous les livreurs de la plate-forme de livraison de repas à domicile Deliveroo seront payés à la course. Jusqu'à présent, deux systèmes coexistaient. Les plus anciens, embauchés avant août 2016, étaient payés 7,50 € l'heure et de 2 € à 4 € par livraison. Les autres livreurs sont payés 5 € (5,75 € à Paris) par course. La direction souhaite généraliser cette rémunération à ses 7 500 livreurs. Selon elle, seules 600 personnes sont concernées.
Cette modification est dénoncée par le Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap). Il évalue que le pouvoir d'achat des coursiers pourrait être amputé jusqu'à 30 %. D'autres livreurs, embauchés depuis août 2016, jugent aussi que leur rémunération a baissé, notamment à cause du nombre de coursiers de plus en plus important. Chez Deliveroo, on estime que cette tarification permet au contraire de générer un chiffre d'affaires de 14 € l'heure, soit 40 % de plus que le smic horaire brut. Faux, rétorque le Clap, qui dénonce les cadences infernales pour atteindre ce montant. Des rassemblements sont prévus aujourd'hui et demain à Paris, Bordeaux, Lyon et Nantes. Pour connaître la réalité de leur métier, nous avons suivi Edouard, jeudi soir, coursier depuis un an et membre du Clap.
20 heures
Déjà une heure que nous poireautons près de la station Boucicaut (Paris XVe) pour livrer le premier repas de la soirée. « Ça commence à faire long, peste Edouard, les yeux rivés sur son smartphone. Il faut attendre que Frank se réveille. » Frank, c'est le petit nom donné par la direction de Deliveroo à son nouvel algorithme, lancé début juillet pour optimiser le temps de course des livreurs. C'est lui qui attribue les commandes. Comment ? « Je ne sais pas trop, dit Edouard. A partir de notre géolocalisation évidemment, mais il doit y avoir d'autres paramètres. »
20 h 11
Le téléphone sonne enfin. Départ en trombe, direction rue Mademoiselle (XVe) pour récupérer un plat iranien. En deux minutes, les 600 m sont engloutis. Devant le restaurant, une odeur de viande grillée flotte dans l'air. Mais la commande n'est pas prête. Les minutes s'égrènent. « C'est énervant. Pour nous, le temps, c'est vraiment de l'argent. » Edouard, diplômé en droit des affaires et communication institutionnelle, ancien lobbyiste, est tombé chez Deliveroo il y a un peu plus d'un an, après trois ou quatre mois de chômage. Au début, 20 heures par semaine, puis à plein temps, avant de revenir à un mi-temps quand il a trouvé un CDD dans son domaine de compétence. « En temps plein, je gagnais entre 1 100 € et 1 300 € brut en moyenne, 1 400 € les très bons mois. » Sept bonnes minutes plus tard, la commande est enfin prête. Direction place de Breteuil (VIIe), à plus de 2 km de là... Tee-shirt Deliveroo sur le dos et casque vissé sur la tête, Edouard file à toute allure, remonte les voitures, ralentit un peu lorsque les feux sont au rouge pour s'assurer qu'il peut les griller en toute sécurité. « Plus on crame les feux, plus on met sa vie en danger, plus on gagne d'argent. C'est le problème de ce type de rémunération à la course. »
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20 h 37
Les commandes s'enchaînent. Cette fois, c'est une pizza qu'il faut aller chercher rue de la Croix-Nivert (XVe) avant de rejoindre la rue de l'Exposition (VIIe). Un parcours de près de 3 km qu'il faut avaler le plus vite possible pour enchaîner la course suivante. Sur le chemin, nous croisons Bruno, un autre coursier, 20 ans, étudiant en management et commerce : « Je fais partie des livreurs embauchés après août 2016, [je suis] payé 5,75 € la course, et pourtant, de mois en mois, je perds de l'argent, environ 150 €. Des primes ont disparu ou sont plus compliquées à obtenir, comme la prime de pluie. Il y a aussi les minimums garantis, notamment le week-end, qui ont pratiquement disparu. »
20 h 48
La nuit vient de tomber. Les deux petites lumières blanc et rouge installées à l'avant et à l'arrière de nos vélos de course semblent bien pâles pour assurer notre sécurité dans le flot de voitures. Le rythme est effréné. Il faut éviter les trous de la chaussée, jouer les équilibristes sur les pavés, remonter de temps en temps les sens interdits, rouler sur les trottoirs et éviter les piétons ou les touristes sur le Champ-de-Mars. Bref, regarder à droite, à gauche, mais aussi sur son smartphone pour trouver l'adresse du client. Une vigilance de tous les instants, d'autant plus compliquée que les jambes deviennent lourdes. Et pas question de se reposer en papotant avec le client qui n'a pas le temps de vérifier sa commande. Il faut repartir.
21 h 32
« Pas encore en route ? N'hésitez pas à contacter le service Biker support. » A peine redescendu du 4e étage, où il vient de livrer des pizzas, qu'Edouard reçoit cette notification de Deliveroo. Visiblement, il ne va pas assez vite. Et pourtant, depuis 20 h 11 et sa première commande, il n'a pas ménagé sa peine. Ce soir-là, se rendre au restaurant, attendre la commande, trouver l'adresse du client et lui livrer son plat nécessite en moyenne entre 15 et 20 minutes.
22 heures
Le bilan est modeste. Trois heures de travail, environ 14 km parcourus, 5 courses et, au final, 28,75 € dans la poche. « Et il faut encore que je paye le RSI (NDLR : régime social des indépendants) », rappelle Edouard. Soudain arrive un autre coursier qui circule à scooter. Il fait partie de ces livreurs encore rémunérés avec l'ancien système. Se rendra-t-il aux rassemblements ? « Je ne sais pas encore. C'est vrai que, dès lundi, je vais perdre environ 250 € par mois. Mais ce job, c'est un complément. J'ai d'autres revenus. Et, au moins, Deliveroo me donne du travail. » « Mais à quel prix ? », interroge Edouard.
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