
L’Italie campe sur ses positions et ne semble pas prête à accepter la proposition de Bruno Le Maire, en visite à Rome mardi. Le gouvernement italien veut une majorité du capital des chantiers STX de Saint-Nazaire quand Paris lui propose à nouveau un accord 50-50.
L’atterrissage s’annonçait compliqué pour le ministre français de l’Economie, venu à Rome cet après-midi pour tenter de convaincre ses homologues italiens d’accepter de partager la barre des chantiers navals STX. Et de fait, Bruno Le Maire, qui a rencontré à 17h30 le ministre italien de l’Economie et des Finances, Pier Carlo Padoan, et son collègue du développement économique, Carlo Calenda, s’est heurté à un mur. Les Italiens n’ont pas décoléré depuis l’annonce faite jeudi dernier par le même Le Maire que l’Etat français avait décidé de faire jouer son «droit de préemption» pour racheter les chantiers de Saint-Nazaire, promis depuis des mois à leur champion Fincantieri. Après une demi-heure à peine d’entrevue pour deux heures de vol, Bruno Le Maire est donc reparti quasi-bredouille.
A l’issue de cette discussion que l’on imagine virile, les deux parties ont tout juste réussi à s’entendre sur un communiqué commun a minima où «les gouvernements italien et français expriment leur volonté commune de surmonter leurs divergences concernant l’équilibre de la structure du capital de STX». La France et l’Italie expriment aussi dans cette déclaration «leur volonté de faciliter la création d’une industrie navale européenne plus efficace et compétitive». Lors d’une rencontre avec la presse, Bruno Le Maire a d’ailleurs répété que «l’objectif stratégique pour la France et l’Italie est de construire l’Airbus du monde naval», le numéro un du secteur. «Il est normal que cela prenne un peu de temps», a-t-il ajouté. De son côté, le ministre italien Carlo Calenda a été plus cash: «Nos positions sur STX restent certainement très éloignées […], il faut que la confiance revienne»…
En clair, le gouvernement de Rome a répété au plénipotentiaire français que la proposition d’un partenariat à 50/50 dans les chantiers de Saint-Nazaire était inacceptable. Et réaffirme son bon droit: Fincantieri avait reçu le feu vert du précédent gouvernement français en début d’année pour racheter près de 54 % du capital de STX France avec l’aide d’une fondation basée à Trieste. Pour lui, cet accord signé doit être appliqué…
Deadline au 27 septembre
Après ce constat de désaccord notable, les négociations doivent théoriquement reprendre. Les deux gouvernements se sont donné jusqu’au 27 septembre, date d’un sommet entre le président français Emmanuel Macron et le chef du gouvernement italien Paolo Gentiloni, pour tenter de trouver une solution «réciproquement acceptable»…. La diplomatie va devoir ramer pour renouer le fil du dialogue. Il faut dire que le gouvermement français a fait un sacré coup de Trafalgar à son partenaire italien.
Jeudi dernier, Bruno Le Maire annonçait donc que l’Etat français avait décidé de nationaliser «temporairement» les ex-Chantiers de l’Atlantique, que devait normalement racheter l’industriel italien Fincantieri, en vue de «protéger les intérêts stratégiques de la France». En cause, la défense de l’emploi à Saint-Nazaire, où la Navale emploie plus de 5000 personnes, la peur de transfert de technologies en Italie voire en Asie car Fincantieri est allié avec un chantier chinois, et le soucis de préserver la capacité de construire un deuxième porte-avions en France. Saint-Nazaire dispose en effet de la seule «grande forme» susceptible d’assembler la coque d’un nouveau Charles de Gaulle…
Mais tous ces arguments protectionnistes n’ont pas convaincu les Italiens et la brutalité de l’annonce n’a pas du tout pas été du tout du goût de Rome. La proposition de reprise des chantiers navals STX de Saint-Nazaire à parts égales par Fincantieri et l’Etat Francais allié à Naval Group (ex-DCNS) avancée par Le Maire s’est donc vu opposer une fin de non-recevoir de la part du gouvernement italien. La promesse de réactiver le projet d’un «Airbus du naval» militaire entre Fincantieri et Naval Group (ex-DCNS) amenée par Le Maire dans sa valise diplomatique, en guise de lot de consolation, n’a pas apaisé la colère transalpine.
Tentative ratée
Juste avant la rencontre, le ministre français de l’Economie avait pourtant tenté d’amadouer le gouvernement italien dans une interview publiée par le quotidien italien Corriere della Sera. Le ministre français y disait vouloir construire avec l’Italie «un grand groupe industriel franco-italien dans le domaine naval, avec une partie civile et une autre militaire». Dans le détail, il proposait un partage à 50-50 entre les deux «partenaires» : 50% pour Fincantieri, 33% pour l’Etat français, 14,66% pour Naval Group et 2% pour les employés. Une proposition qui se rapproche de celle déjà balayée par Rome avant la nationalisation, à une différence près : le président du conseil d’administration des chantiers de Saint-Nazaire serait désigné par le groupe italien et disposerait d’une voix prépondérante en cas d’égalité. «Fincantieri aura donc clairement la direction des chantiers navals», avait assuré le locataire de Bercy.
Dans un entretien accordé à l’AFP alors que son homologue français prenait l’avion, Pier Carlo Padoan avait pour sa part réitéré la position de fermeté de l’Italie : Fincantieri revendique la majorité dans le capital de STX France, faute de quoi il n’y aura pas d’accord possible. Le groupe italien «doit avoir au minimum plus de 50%, vu que les Coréens avaient les deux tiers» du capital, a martelé le ministre italien. «Nous ne comprenons pas pourquoi un accord déjà conclu doit être renégocié», a encore ajouté le ministre italien, traduisant l’incompréhension de Rome face au revirement français.
Tir de barrage
Son collègue Carlo Calenda a été encore plus virulent durant le week-end. «Vous ne voulez pas les Italiens à au moins 51% du capital ? Gérez la situation vous-mêmes, nous ne valons pas moins que les Coréens», a lâché le ministre du Développement économique. Et le président du Conseil italien, Paolo Gentiloni, a rappelé hier soir qu’il continuerait de «défendre avec force les intérêts italiens». Un vrai tir de barrage…
Mais le fait est que la France réclame toujours de l’Italie de meilleures garanties. D’abord sur l’emploi : que les activités de STX restent en France. Et sur le savoir-faire français : que les technologies de pointe ne soient pas transférées à la Chine, avec qui Fincantieri entretient des liens étroits. Mais Rome estime que le précédent accord conclu fin 2016, lors du quinquennat de François Hollande respectait déjà tous ces points.
«Confiance et respect»
La position de la péninsule pourrait se résumer ainsi : elle ne lève pas de murs quand ses entreprises sont rachetées par des françaises, elle s’attend en retour au même traitement. Il en va, selon le gouvernement italien, de la «confiance et du respect réciproque» entre les deux pays. Romano Prodi, ancien Premier ministre italien et ancien président de la Commission européenne, a sans doute le mieux résumé l’irritation transalpine face à l’arrogance française : «Alors que la propriété coréenne des chantiers navals ne posait aucun problème, on a procédé à leur nationalisation pour ne pas qu’ils finissent entre des mains italiennes. Le tout après que la France se soit acheté la moitié de l’Italie», écrit-il dans un éditorial dans Il Messaggero de dimanche, sur un ton inhabituellement virulent.
Autant dire que Paris va devoir ramer ferme pour convaincre ses «partenaires» italiens de faire pavillon commun au-dessus de Saint-Nazaire. Rome n’est pas hostile à la proposition d’un «Airbus Naval», qui permettrait à Fincantieri et l’ex-DCNS d’allier leurs forces pour vendre frégates et autres corvettes à l’export, mais la priorité est de permettre à l’industriel italien de se renforcer dans la construction navale civile. Avec les Chantiers de l’Atlantique, Fincantieri mettrait en effet la main sur un savoir-faire unique dans les grands navires de croisière, un carnet de commandes rempli à rabord, et se hisserait au tout premier rang des chantiers navals mondiaux.
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