Ce vendredi matin, le cours de l’action Altice était en très légère hausse à l’ouverture de la Bourse d’Amsterdam, puis baissait de nouveau en fin de matinée. Les marchés ont accueilli sans enthousiasme le grand ménage effectué dans la hiérarchie de l’entreprise de télécoms (propriétaire de Libération). Après avoir vu son titre plonger de 34% en une semaine, une chute d’une rare intensité, l’actionnaire de la boîte, Patrick Drahi, a offert aux places financières la tête du patron opérationnel, Michel Combes, finalement débarqué après plusieurs semaines de rumeurs. Cette décision est la conséquence des mauvais résultats de sa filiale française, SFR (nous vous en parlions ici il y a un mois), confirmés par sa dernière publication financière. Le départ de Combes, qui intervient deux mois après celui de Michel Paulin, son ancien bras droit à SFR, entraîne un grand jeu de chaises musicales au sommet de la multinationale, où l’instabilité semble être devenue la règle depuis trois ans.

Le premier mouvement est le retour de Drahi lui-même aux commandes : l’homme d’affaires, qui n’a pourtant jamais cessé d’être le big boss en coulisses, redevient officiellement président du conseil d’administration d’Altice. Il «définira la feuille de route stratégique, opérationnelle, commerciale et technologique et veillera à son exécution, en particulier à SFR», assure l’entreprise dans un message au fort accent de communication de crise. «C’est clair, décrypte un haut cadre. L’objectif est de montrer une amélioration rapide des résultats marketing et commerciaux.» A ses côtés, Drahi aura pour directeur général l’Américain Dexter Goei, ex-banquier d’affaires bien connu à Wall Street, à Altice depuis 2009. Chargé des activités de la société aux Etats-Unis, ce dernier s’est distingué ces derniers mois par sa capacité à les transformer en machine à cash, jusqu’à faire 45% de marge opérationnelle. Nommé à la tête d'«Altice Europe», le directeur financier du groupe, Dennis Okhuijsen, hérite également d’une nouvelle casquette.

Stratégie de «convergence»

La montée en puissance de ce trio, aux profils très financiers, est censée rassurer les marchés. Cette vaste réorganisation passe aussi par la sortie de l’ombre de l’associé historique et ami intime de Drahi, Armando Pereira, qui devient directeur des activités télécoms d’Altice au niveau mondial. L’homme est réputé pour être un manager implacable. L’entreprise parle d’un «retour à l’organisation de base qui a fait le succès d’Altice» et ajoute que «tous ces leaders sont des actionnaires significatifs d’Altice». Façon de dire que c’est aussi leur bonne fortune personnelle qui est en jeu, donc que la performance de la boîte est d’autant moins prise à la légère… Enfin, le patron-actionnaire de BFMTV et RMC, Alain Weill, en passe de céder le contrôle de son groupe NextRadioTV à Drahi, devient PDG de SFR. Une promotion inattendue pour cet homme de radio et de télévision n’ayant jamais œuvré dans les télécoms. Lui dont les relations avec Combes étaient plutôt fraîches a réussi à faire son trou dans l’empire Drahi, au sein duquel il supervise les médias. Altice suit une stratégie de «convergence» entre les réseaux et les contenus, rachetant des droits sportifs et créant des chaînes de cinéma et de séries. Malgré la réorganisation, «cette stratégie ne change pas», assure-t-on en haut lieu. La montée en grade de Weill en témoigne.

Les résultats du troisième trimestre d’Altice ont provoqué ce bouleversement. Le groupe est pourtant loin d’aller mal. Porté par sa bonne forme aux Etats-Unis, il a dégagé entre juillet et septembre un excédent brut d’exploitation de 2,3 milliards d’euros, en hausse de près de 2%. Mais SFR, qui reste le plus gros actif du groupe, mange toujours le sable : le chiffre d’affaires continue de baisser et sa rentabilité s’est à nouveau dégradée. Malgré de lourds investissements dans les réseaux et les contenus, l’opérateur télécoms français, qui diffusera en exclusivité la saison prochaine la Ligue de champions et la Ligue Europa de football, perd toujours beaucoup de clients sur le marché de l’internet fixe : 75 000 ont encore fui au troisième trimestre, alors même que le revenu moyen par abonné a perdu 4%, sous l’effet des baisses de prix. Le fixe est pourtant le pilier de la stratégie de SFR, qui a quand même réussi récemment à renverser la tendance négative sur le mobile.

Dette colossale

La sévère correction subie par Altice en Bourse est la conséquence d’un retournement psychologique des marchés. Longtemps pleins de confiance à l’égard de Drahi, ils ont cette fois choisi de ne pas croire aux promesses de lendemains meilleurs. «La sanction est disproportionnée par rapport à la situation réelle et la valeur de l’entreprise, veut-on croire dans les hautes sphères d’Altice. Il y a sûrement des fonds d’investissement à la manœuvre, qui veulent tester la résistance de la boîte. Mais Patrick Drahi en a pris la mesure.» Le milliardaire ne peut pas jouer avec les investisseurs. En trois ans, à grands coups de rachats et d’emprunts, il a transformé sa petite boutique de télécoms, l’ex-Numericable, en un géant mondial. Le revers de cette aventure est la dette colossale de l’entreprise, qui se monte à près de 50 milliards d’euros net. Elle est constituée en partie de prêts à taux variable (moins de 20%), dont le coût dépend de la bonne humeur des marchés. Par ailleurs, Drahi renégocie très régulièrement les échéances de remboursement avec ses créanciers. Mieux vaut que ces derniers ne prennent pas peur, sans quoi cette dette peut très vite se transformer en indéplaçable boulet.

Jérôme Lefilliâtre