Comme ce fut le cas chez France Telecom il y a 20 ans, la SNCF va créer un régime à deux vitesses pour ses cheminots. Le gouvernement veut la fin du statut pour les nouveaux.
"Il n'y aura plus de recrutement au statut de cheminot". Ce lundi, Édouard Philippe a, sans grande surprise, annoncé que la SNCF allait connaître une évolution sociale majeure dans les mois qui viennent. "Il y a des réformes que l'on aurait dû faire depuis longtemps. La SNCF engagera une profonde réforme sociale, dans le dialogue, mais avec une obligation de résultat", a prévenu le Premier ministre, quelques jours à peine après la remise du rapport choc de Jean-Cyril Spinetta sur l'avenir du ferroviaire.
Cette obligation, c'est notamment celle de revoir les conditions d'accès à la profession de cheminot. Tout en souhaitant leur assurer "une vision claire de l'avenir" et " la reconnaissance de leur rôle," Édouard Philippe souhaite aussi que la direction de la SNCF engage "avant l'été un projet de transformation" pour "construire une nouvelle SNCF".
130 000 agents à la SNCF
Seulement, étant donné que "le statut est rigide", alors que "le monde change", "le statut doit changer", a plaidé le Premier ministre. "Ceux qui travaillent déjà [à la SNCF] ont passé un contrat moral qui leur assure un déroulé de carrière et la garantie de l'emploi. On ne remettra pas en cause cela. Aux nouvelles générations, aux apprentis, nous disons qu'ils bénéficieront des conditions de travail de tous les Français, celles du Code du Travail", développe Édouard Philippe. C'est donc un projet social à deux vitesses qui se dessine pour la SNCF.
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A la veille d'annoncer ses résultats financiers, que d'aucuns annoncent comme excellents, l'entreprise comptait en 2016 environ 130 000 agents embauchés sous le régime du statut de cheminot. Jusqu'à présent, ce contrat de travail, longtemps réservé aux moins de 30 ans au moment de l'embauche, permet à son titulaire d'être affilié à un régime spécial de la Sécurité sociale et des retraites (52 ans en moyenne pour les conducteurs, 57 ans pour les sédentaires). Seulement, depuis la réforme des retraites de 2008, le départ d'office a été supprimé et les agents ont tendance "à prolonger leur activité pour éviter la décote car ils atteignent très rarement le taux plein dès l'âge d'ouverture", comme le rappelait un rapport du Conseil d'orientation des retraites publié en 2013.

Le président de la République Emmanuel Macron (g), accompagné notamment du patron de la SNCF Guillaume Pepy (c., arrière-plan) et du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian (2e à d.) le 1er juillet 2017 à la gare Montparnasse à Paris
afp.com/GEOFFROY VAN DER HASSELT
Ainsi, en 2016, d'après les chiffres de la SNCF, ce statut de "cadre permanent représente 92% des effectifs, les 8% restants étant des contractuels en CDD ou CDI", c'est-à-dire "liés à la SNCF par un contrat de travail conforme aux dispositions du Code du travail". Le gouvernement souhaite donc que chaque nouveau contrat qui sera signé par la future entité le soit sous ce régime.
La pyramide des âges rajeunit un peu
Il faut dire que, du point de vue du gouvernement, il y a urgence: en l'espace de six ans, la pyramide des âges des agents SNCF -donc sous statut- s'est déjà nettement rajeunie. Dans le détail, la tranche d'effectifs la plus importante est aujourd'hui celle des 35-44 ans, avec 45 485 personnes (2016), soit 35% des salariés. A titre de comparaison, en 2010, la catégorie la plus importante était celle des 45-54 ans, avec 52 518 personnes contre 42 415 pour les 34-44 ans. Si la SNCF rajeunit, c'est un atout pour la transformation de l'entreprise dont les métiers se digitalisent. Mais aussi une charge sur le long terme pour les comptes de l'entreprise, ce qui explique en partie pourquoi le gouvernement veut impérativement revoir le statut.

Évolution des effectifs à la SNCF en fonction des tranche d'âge
SNCF
Et ce n'est pas la première fois qu'une entreprise publique s'engage dans cette voie. Au virage des années 1992-1993, à mesure que l'ouverture à la concurrence du marché des télécoms est actée, l'opérateur national France Télécom, est contraint de changer de modèle. Comme il est envisagé aujourd'hui pour la SNCF, le gouvernement décide alors de bloquer les recrutements d'agents publics, tout en conservant les droits des salariés actuels.
"C'est ce qu'il s'est passé à partir de 1996, rappelle à L'Express Laurent Riche, délégué CFDT d'Orange (1ère force syndicale), en poste depuis 23 ans. Mais les choses se sont déroulées un peu différemment car on pouvait déjà être recrutés sous le statut de contractuel". A l'image de La Poste, d'EDF, de GDF-Suez, de Nexter ou de DCNS, de nombreuses entreprises à capitaux publics se sont retrouvées à jongler entre les statuts de fonctionnaires, d'agents ou de salariés de droit privé.
La moitié des salariés d'Orange encore sous statut
Hasard du calendrier, chez Orange, plus de vingt ans après la réforme du statut de France Télécom et de ses agents publics, l'année 2018 marque même "une bascule" comme l'explique Laurent Riche. "Aujourd'hui, l'entreprise compte 88 594 salariés. Sur ce total, 43 411 sont encore embauchés sous statut d'agent public. Mais ça baisse vite. Sur les trois dernières années, un quart sont partis d'Orange (15 000 de moins depuis 2014). D'après les projections, on estime qu'il n'y aura plus beaucoup d'ici 2030".
Au-delà de l'évolution naturelle, les effectifs de l'entreprise ont fondu pendant la grave crise sociale qu'a connue France Télécom en 2008-2009. "La direction d'alors [pilotée par Didier Lombard] a fait pression sur les agents publics pour qu'ils quittent l'entreprise", se souvient le syndicaliste, qui identifie là l'une des dérives possibles que pourrait subir ses homologues de la SNCF.

Chez Orange (ex France telecom), la moitié des salariés sont encore sous contrats d'agents publics.
AFP/JEAN-PIERRE CLATOT
Mais alors que les représentants du personnel de la compagnie ferroviaire font bloc, SUD-PTT et la CFDT dénonçant "une provocation" de la part du gouvernement, le syndicaliste comprend "que cela puisse être une source d'inquiétude" pour ses confrères de la SNCF. "Mais chez nous, l'histoire a montré que cette évolution du statut était nécessaire. Ce changement demande un temps d'adaptation. Mais si on fait en sorte de se préoccuper des deux catégories, ça peut marcher. Pour en avoir parlé avec mes collègues de la SNCF, le problème, c'est que ça fait très longtemps que cette entreprise n'a pas de ligne directrice. En fait ils sont surtout préoccupés par le modèle économique de l'entreprise".
Car si la SNCF se montre offensive sur la conquête de marché à l'international, beaucoup s'interrogent sur ses intentions et ses perspectives pour le marché national. Et ce à moins de deux ans de l'ouverture de ses lignes TGV à la concurrence, date de la libéralisation totale du transport ferroviaire en Europe.
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