De nouveaux éléments, révélés par Europe 1, viennent éclairer les sombres stratégies du groupe Lactalis pour passer entre les mailles des contrôles sanitaires. Trois anciens salariés d’un laboratoire nantais chargé de détecter les allergènes des produits du groupe (œufs, gluten, fruits à coque etc.) ont divulgué le système de pressions qui permettait à Lactalis de commercialiser ses produits infectés. Selon eux, l’entreprise aurait demandé au laboratoire de maquiller ses résultats pendant des années. 

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La fraude est scandaleusement simple. Selon l’un des anciens salariés, les laborantins faisaient repasser en boucle des «échantillons spécifiques» jusqu’à obtenir le résultat souhaité par l’entreprise. «A chaque fois que le résultat obtenu n’était pas celui espéré, ça devenait un automatisme pour nous. Le responsable nous disait "vous pouvez refaire l’analyse"», affirme l’un des témoins.Tout cela sous une «vraie pression» de Lactalis. L’un des salariés affirme même avoir eu «peur de Lactalis».

«Contrat à plusieurs millions d’euros»

Car dans le cadre d’un «marché très concurrentiel», les laboratoires d’analyses doivent «être plus compétitifs au niveau du tarif, mais aussi au niveau de la satisfaction des clients», affirme un ex-laborantin. Impossible donc de déplaire à Lactalis, qui représentait près de 50% de l’activité du laboratoire en question. Pour «un client lambda qui fait peu d’analyses annuelles, on ne va pas s’embêter. On va rendre le résultat tel quel, que ça lui plaise ou non», affirme un autre témoin. Mais pour ce «contrat à plusieurs millions d’euros», on s’arrange. Au lieu de faire détruire des millions de tonnes de produits à chaque anomalie détectée, comme l’exige la loi, le laboratoire accepte la manipulation. Méprisant les procédures scientifiques les plus élémentaires. 

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«C’est statistique. Plus vous retestez le même échantillon, plus on peut passer d’une barrière à une autre. C’est ce petit jeu qui permet de passer sous la barre, alors qu’on était au-dessus» détaille l’une des ex-laborantins. Les chiffres problématiques sont effacés. «C’est le dernier résultat, le seul visible sur le rapport, qui compte.» Au risque, bien sûr, de mettre en péril la santé du consommateur. «On s’est souvent dit entre nous qu’un jour, un scandale sanitaire allait arriver, regrette l’ancien laborantin. Parce qu’on rendait des résultats qu’on savait biaisés.» 

Une logique qui complexifie encore la lutte contre les fraudes. Le ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, qui a déclaré dimanche vouloir obliger les entreprises à communiquer sur la détection de bactéries dans leurs usines de production (et non plus seulement sur le produit fini) risque d’avoir encore du travail. Car le véritable cœur de ce scandale sanitaire, l’autocontrôle des entreprises agroalimentaires, reste dans l’angle mort de cette mesure. 

Emile Boutelier