A l’UFC-Que Choisir, on «pense beaucoup de bien de la décision» de la Cour de cassation. D’après le référent télécoms de l’association de consommateurs, Antoine Autier, elle vient sanctionner un «manque de clarté» dans le subventionnement des mobiles par les opérateurs télécoms, qu’il estime préjudiciable au portefeuille des acheteurs de téléphones portables. Un système qui permet aux clients d’acquérir un smartphone à moindre prix au départ mais pas à long terme, puisqu’il est lié à la souscription sur une ou deux années d’un forfait d’une gamme supérieure.

Exemple glané chez Bouygues Telecom ce vendredi : pour la conservation d’un forfait à 20 euros par mois, sans nouvel engagement, l’iPhone X d’Apple (64 Go) est vendu au prix de 937 euros et 8 euros par mois pendant 24 mois, soit 1609 euros tout compris. Mais il est également proposé au tarif beaucoup plus attractif de 580 euros et 8 euros par mois. Avec un engagement sur 24 mois pour un forfait de 85 euros par mois la première année, puis 100 euros la seconde. Soit un coût total de 2992 euros… Ou comment passer du simple au double. «Le subventionnement est une fausse bonne affaire», résume Antoine Autier.

Victoire juridique

Dans un arrêt daté du 7 mars, la Cour de cassation estime que ce système est une «facilité de paiement», se félicite Free Mobile dans un communiqué. L’opérateur télécoms de Xavier Niel juge que les obligations liées à l’attribution d’un crédit à la consommation doivent donc s’y appliquer, comme la mention du taux du prêt déguisé qui porte en réalité ce subventionnement ou celle des risques liés au surendettement. Autant d’éléments qui inviteraient les clients à se méfier et à comparer les prix proposés ici ou là. «L’arrêt de la Cour de cassation rend donc impossible, sans le respect des règles du crédit à la consommation, le paiement étalé du prix de téléphones dans le cadre de forfaits mobiles», analyse Free Mobile.

Pour l’entreprise, cette décision est une victoire juridique. Elle est la suite d’une procédure engagée en 2012 par l’opérateur contre SFR (propriétaire de Libération) et ses mécanismes de subventionnement. En première instance devant le tribunal de commerce et en appel, Free avait été éconduit. Depuis son entrée sur le marché du mobile, la boîte de Xavier Niel ferraille contre cette pratique à laquelle elle-même ne recourt pas, préférant des contrats de location ou de paiement en plusieurs échéances, et qu’elle juge nuisible à la concurrence dans le secteur. Un combat désintéressé mené au nom des consommateurs ? Pas vraiment. A cause du subventionnement, une grosse partie du marché du mobile échappe à Free. Environ un tiers de ce marché est fait d’offres «sur engagement» de plusieurs mois, à des prix souvent supérieurs à la moyenne. Une belle promesse de chiffre d’affaires, donc.

«Raconter une belle histoire aux marchés»

A écouter Free, cette décision est de nature à bouleverser le paysage. «Quand on lit cet arrêt, il apparaît clairement que beaucoup de contrats en vigueur aujourd’hui sont illicites. De nombreux consommateurs pourraient obtenir la libération de leurs engagements sans frais de résiliation», jubile un dirigeant de Free, sous couvert d’anonymat. Selon cette interprétation, un abonné d’Orange, de SFR ou de Bouygues Telecom ayant acheté un iPhone X à prix cassé en souscrivant un nouveau forfait est désormais en droit de dénoncer cet engagement sans avoir à rendre son précieux smartphone… Si cette analyse est juste, cela pourrait coûter cher aux opérateurs ayant pratiqué le subventionnement.

Contactés par Libération, SFR et Bouygues Telecom expliquent que leurs services juridiques étudient les implications de l’arrêt de la Cour de cassation. Mais on reste très sceptique devant la communication de Free. «Cela leur permet de raconter une belle histoire aux marchés, de les faire rêver sur une nouvelle perspective de croissance, se méfie-t-on chez l’un de ces deux rivaux. A quelques jours de la publication de leurs résultats financiers, cela tombe à point nommé. Il faudra bien regarder l’évolution de leurs chiffres…» Façon de dire qu’ils auraient allumé un contre-feu. En attendant d’y voir plus clair, Antoine Autier, de l’UFC-Que Choisir, rappelle une «règle générale» aux consommateurs : «Mieux vaut acheter son téléphone et son forfait séparément.»

Jérôme Lefilliâtre