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TF1, Orange, Canal : la guerre des écrans

C'est l'histoire d'un colosse de l'audiovisuel qui, en difficulté, décide de renverser le fragile équilibre qui le liait jusqu'ici à ses partenaires historiques.

TF1 est l'un des groupes audiovisuels les plus puissants de France et d'Europe, mais son audience s'érode. Les arrivées des chaînes privées, de la TNT et des plates-formes de streaming vidéo ont successivement bouleversé le paysage audiovisuel, dispersant le « temps de cerveau disponible » du public aux quatre coins d'une offre désormais pléthorique.

Et qui dit moins d'audience dit moins de revenus publicitaires, le nerf de la guerre pour un groupe comme TF1. A la recherche de nouveaux financements, la première chaîne s'est donc tournée vers ses distributeurs, les opérateurs télécoms et Canal, et leur a annoncé qu'ils paieraient désormais pour la diffusion de ses chaînes. Ceux-ci ne l'entendent évidemment pas de cette oreille. Retour sur cinq moments clés de cette guerre des écrans.

Avril 2017 : TF1 déterre la hache de guerre

C'est au printemps 2017 qu'Orange, Bouygues Telecom, SFR, Free et Canal comprennent que les intentions de TF1 sont sérieuses.  Ils viennent de recevoir une lettre recommandée leur signifiant qu'ils ne pourraient bientôt plus reprendre le signal des chaînes gratuites du groupe (TF1, TMC, NT1, HD1, LCI) sur leurs interfaces web s'ils ne payent pas pour ces contenus.

Dans le petit monde de l'audiovisuel, l'annonce fait l'effet d'une bombe : certains téléspectateurs pourraient se retrouver face à un écran noir dès le 30 avril, au beau milieu de l'entre-deux tours présidentiel. Orange, SFR et Canal pourraient même être privés de la Une, première chaîne de France, sur leurs box et décodeurs dès l'été.

Cela fait pourtant un an que le projet de TF1, soutenu par M6 , est dans les cartons. Mais la menace n'a jamais vraiment été prise au sérieux.

« C'est comme au loto, 100 % des gagnants ont tenté leur chance », s'amusait par exemple un dirigeant.

« Je ne vois pas très bien pourquoi les opérateurs accepteraient de payer pour quelque chose qu'ils ne payent pas aujourd'hui, commente pour sa part Stéphane Richard , le PDG d'Orange, en septembre 2016. Mais s'ils ont des services intéressants à proposer en plus, cela peut se regarder. »

Justement : contre rémunération, TF1 propose une sorte de « My TF1 premium », avec notamment l'ajout du « start-over », qui permet de reprendre depuis le début un programme déjà commencé, et l'allongement de la durée de disponibilité des contenus en replay.

Le groupe de Gilles Pélisson, qui ne voit pas pourquoi les opérateurs rechignent à payer quelques dizaines de millions d'euros de plus alors qu'ils s'arrachent les droits sportifs pour des montants dix fois supérieurs, espère retirer 100 millions d'euros par an de ces négociations.

Eté 2017 : premières estocades

Cette fois, la guerre est vraiment déclarée entre TF1 et SFR. Le 29 juillet, leurs accords de diffusion sont arrivés à échéance et l'un comme l'autre sont restés campés sur leur position.  La filiale de Bouygues a donc mis ses menaces à exécution et coupé la diffusion du replay « MyTF1 » sur les box et l'application SFR TV de Numericable-SFR. Elle demande aussi au groupe de Patrick Drahi de couper le signal de son bouquet de chaînes sur ses propres box.

Entre les deux camps, la tension est nettement montée d'un cran et la bataille se poursuit sur le terrain judiciaire. SFR, qui parle de « prise d'otage de ses clients », questionne la légalité de l'initiative et refuse de se saborder en privant ses abonnés des chaînes de TF1. Le groupe audiovisuel juge lui que SFR « poursuit l'exploitation commerciale de ses chaînes sans contrat », et « entend utiliser tous les moyens juridiques à sa disposition pour faire valoir ses droits ».

TF1 mène parallèlement des négociations houleuses avec Orange, dont le contrat de diffusion se termine fin août. Stéphane Richard, qui a appelé la chaîne à adopter « une attitude respectueuse » en avril, refuse de céder et se fait menaçant à son tour : « N'oubliez pas que le secteur des télécoms et du câble est un des tout premiers annonceurs chez TF1 ».

Dénonçant un abus de « position dominante dans la télévision et la publicité », l'opérateur historique  assigne à son tour TF1 devant le tribunal de commerce .

Novembre 2017 : la détente

Le 6 novembre, SFR accepte finalement de payer TF1 davantage pour reprendre ses chaînes dans son offre de télévision, mettant fin aux poursuites judiciaires dans lesquelles s'étaient engagés les deux groupes.

Si le montant de l'accord demeure secret, il pourrait néanmoins s'établir entre 20 et 30 millions d'euros par an. En échange, SFR obtient les nouveaux services promis pour « My TF1 » ainsi que l'exclusivité pour six mois d'une « nouvelle chaîne reprenant les programmes du groupe TF1 », disponible à partir du premier trimestre 2018. Enfin, la filiale de Bouygues prendra en charge le coût de transport des chaînes en clair.

Fin janvier, c'est justement avec Bouygues Telecom que TF1 parvient à s'entendre. Bien que soeurs, les deux sociétés ne se sont pas fait de cadeaux et l'accord - dont le montant reste confidentiel - serait très proche de celui conclu avec SFR.

Reste donc, pour le groupe de médias, à s'entendre avec Orange, Free et Canal.

Février 2018 : le pépin Orange

TF1 enchaîne les tractations réussies, mais tombe au 31 janvier sur un pépin nommé Orange. Deux fois prolongés, les accords de diffusion ne seront cette fois pas renouvelés en raison de désaccords sur le montant du contrat.

« On est parvenu à un équilibre de marché avec les concurrents. On ne voit pas pourquoi cela ne pourrait pas se faire avec Orange », souligne alors Régis Ravanas, directeur général adjoint publicité et diversification de TF1.

Suspension du service de replay, injonction à cesser la diffusion du bouquet de chaînes sur les offres d'Orange, assignation en justice : TF1 déploie la même stratégie qu'avec SFR pour faire plier l'opérateur. Sauf que son adversaire va cette fois lui répondre.

Stéphane Richard, qui multiplie depuis un an les sorties à l'encontre du groupe audiovisuel, a en effet décidé d'abattre la carte publicitaire. Mi-février, Orange annule des campagnes de communication prévues sur la première chaîne française.

« On n'a pas annulé des campagnes confirmées. On n'a pas levé des options et ce, en respectant les conditions générales de vente de TF1 », précise Orange. Il n'empêche, l'argument a du poids.

Les investissements publicitaires de l'opérateur représentent en effet 1,4 % des recettes brutes de TF1 en 2017, selon l'expert de Publicis Media Philippe Nouchi. Soit « quasiment toute la progression des recettes publicitaires du groupe de médias entre 2016 et 2017 ». Si Orange franchit le Rubicon et renonce à l'ensemble de ses campagnes sur TF1, ce serait un véritable coup dur pour ce dernier.

Dans un entretien au « JDD », Gilles Pélisson se veut pourtant rassurant : « J'ai bon espoir que nous allons aboutir », affirme-t-il à propos des discussions entre les deux groupes.

Mars 2018 : Canal coupe le signal

Le 2 mars au soir, au beau milieu d'un épisode de la série « Section de recherches » diffusé sur TF1, un message apparaît sur l'écran des abonnés aux bouquets Canal + : « Le groupe TF1 veut désormais faire payer ses chaînes gratuites [...] alors même que ces chaînes sont diffusées gratuitement sur la TNT et sur Internet. Cette diffusion payante aurait pour conséquence de vous faire payer l'accès à ces chaînes, ce que nous refusons [...]. »

Les dirigeants de Canal, qui dénoncent dans un communiqué « les exigences financières déraisonnables et infondées » de TF1, ont donc  décidé de prendre le groupe audiovisuel à son propre jeu .

Avec cette rupture des programmes - qui s'accompagne d'une  assignation devant le tribunal de commerce - l'escalade franchit donc un nouveau palier. Et ce n'est pas peut-être pas fini. Car dans la foulée du groupe Canal, c'est un autre diffuseur de poids qui pourrait aussi couper le signal de TF1 : selon nos informations, Free envisagerait de cesser rapidement la diffusion de la chaîne. L'opérateur télécoms n'est en effet pas du tout prêt à accéder aux demandes financières de la filiale de Bouygues, qui demanderait 22 millions d'euros.

Si Free passe à l'acte, ce sont près de 6,5 millions de téléspectateurs potentiels qui seraient donc privés de TF1 et des chaînes affiliées. Face à une telle menace, les négociations promettent d'être animées.

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