
Quitte à affronter une grève dure, autant mettre tous les sujets qui fâchent sur la table. C'est sans doute ce qui a motivé l'exécutif pour annoncer, lundi, l'ouverture d'un chantier sensible jusque-là prudemment laissé de côté : la filialisation de Fret SNCF, l'activité du groupe public consacrée au transport de marchandises par rail.
Lors d'une visite de terrain au port de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne), le premier ministre Edouard Philippe a demandé lundi à sa ministre des Transports Elisabeth Borne de « réfléchir à l'avenir » du fret ferroviaire, « en mettant tous les éléments sur la table ».
Un nouveau plan d'aides pour le secteur
Cette dernière devrait notamment plancher sur le maintien et la pérennisation de « l'aide à la pince », un coup de pouce financier accordée aux opérateurs du secteur. Elle devrait également mettre un frein au coût des péages (les redevances acquittées par les trains de marchandises pour circuler sur le réseau), censés en théorie grimper dans les années à venir selon les règles fixées par Bruxelles, ce qui pourrait porter un coup fatal au secteur. Par ailleurs, l'accent devrait être mis sur l'entretien des installations dédiées (petites lignes, voies de services) longtemps restées en déshérence.
Mais le principal sujet reste l'avenir de Fret SNCF . Depuis l'ouverture de ce secteur à la concurrence, en 2006, l'opérateur historique a cédé près de 40 % du marché aux nouveaux entrants. Surtout, il continue à accumuler les pertes (encore 120 millions en 2017), malgré une nette amélioration ces dernières années, due à une importante réorganisation et plusieurs plans d'économies qui ont amené à diviser par plus de deux le nombre d'agents affectés à cette activité (de 15.000 en 2008 à 6.000 entre 2008 et aujourd'hui).
4,3 milliards d'euros de dette
Conséquence, depuis sa dernière recapitalisation par l'Etat en 2005 (à hauteur de 1,4 milliard), Fret SNCF a accumulé 4,3 milliards d'euros de dette . Et ses fonds propres sont négatifs à hauteur de 4,1 milliards. Le gouvernement s'était jusque-là abstenu d'évoquer ce dossier, mais il ne pouvait le laisser en l'état, à partir du moment où il conditionne la reprise de la dette ferroviaire à un retour à l'équilibre du système.
Quelques heures après les annonces du Premier ministre, le groupe public a donc fait paraître un communiqué indiquant que Fret SNCF travaillait à « bâtir un plan d'affaires rentable », un scénario qui nécessite « l'assainissement de sa situation financière. Celle - ci appelle une recapitalisation [...] elle s'effectuera au sein du groupe SNCF. »
Fret SNCF devrait donc être sorti de SNCF Mobilités afin d'« être dotée d'une personnalité juridique propre, société dont le groupe public détiendrait 100 % du capital. » Une filialisation donc, même si le communiqué évite d'employer le terme. La recapitalisation se ferait de facto, en laissant la dette chez SNCF Mobilités.
Ramener enfin la marge opérationnelle dans le vert
La continuité des contrats de travail sera assurée, précise le texte. Par contre « un cadre social sur les métiers, l'organisation et les carrières devra être négocié ». Cette remise à plat du fonctionnement, avec sans doute l'introduction de plus de polyvalence, à l'image de ce qui se pratique chez ses concurrents privés EuroCargoRail et Europorte, doit permettre à Fret SNCF de doper sa productivité.
La réduction des charges de structures (qu'il s'agisse de celles de Fret SNCF, ou de celles acquittées par l'entité au titre de son appartenance à SNCF Mobilités, qui disparaîtront de facto) doivent contribuer elles aussi à ramener la marge opérationnelle dans le vert.
La création de cette nouvelle filiale pourrait intervenir au premier semestre 2020. Mais il faudra d'ici là obtenir le feu vert de Bruxelles, à qui l'opération de recapitalisation doit être notifiée, et qui pourrait demander des contreparties, par le biais de cessions d'activité par exemple.
Le projet de loi sur le « nouveau pacte ferroviaire » doit faire l'objet mardi d'un vote solennel à l'Assemblée, avant d'être transmis au Sénat.
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