
Voilà, c'est fait. La confrontation entre la direction d'Air France et les syndicats a mené au crash avec la démission du directeur de la compagnie, Jean-Marc Janaillac. Personne ne sait quelle sera la suite et les syndicats qui ont gagné la consultation ne semblent pas capable d'avancer une proposer concrète. A chacune des débats que je conduis sur le sujet dans les médias, je reste étonné de l'incapacité des deux camps à se comprendre. Tout part en réalité d'une promesse du DRH qui remonte à 6 ans: un blocage des salaires tant que la compagnie serait en difficulté, puis un rattrapage de l'inflation lorsque les choses iraient mieux.
1) La compagnie va-t-elle bien?
Côté syndicats, on argue que le groupe a réalisé un résultat d'exploitation de 1,2 milliards d'euros en 2017, ce qui devrait permettre d'offrir le rattrapage de l'inflation subi sur la période, soit une augmentation de 10% initialement demandée avant d'être ramenée à 6%. La direction s'est d'ailleurs octroyé une augmentation de 41% l'an dernier, signe que la générosité est de mise.Côté direction, le constat est certes bon puisqu'il s'agit des meilleurs résultats pour la compagnie depuis plus d'une décennie, mais l'origine de cette amélioration est loin d'être structurelle. La facture annuelle de carburant a ainsi été réduite de 1,5 milliard d'euros par rapport à 2015, autrement dit: si le pétrole était resté à un niveau élevé, la compagnie serait encore dans le rouge. Air France reste donc fragile, surtout lorsqu'on la compare ses concurrentes directes. Sa marge opérationnelle est ainsi de seulement 4%, quand Lufthansa et KLM font 9% et que IAG (British Airways) est à 12%. L'urgence est donc de consolider ces premiers résultats et de repartir de l'avant: amélioration de la compétitivité, lancement de la compagnie Joon pour ré-ouvrir les lignes qui n'étaient plus rentables avec Air France, développement de la low cost du groupe Transavia, investissements dans de nouveaux avions plutôt que de louer des appareils en leasing... Bref, la priorité ne serait pas encore à la hausse des rémunérations, d'autant que les pilotes coûtent bien plus cher que leurs homologues européens.
2) Les pilotes coûtent-ils trop cher?
Un pilote d'Air France touche en moyenne une rémunération brute annuelle de près de 200.000€ (17.842€ mensuel pour un commandant de bord, 12.759 pour un copilote). Ces chiffres sont très proches de ce que l'on observe en Europe, mais pour qu'un pilote perçoive une rémunération nette de 100€, il en coûtera 210€ à Lufthansa mais 274€ à Air France... Il en résulte une masse salariale beaucoup plus importante en France que dans les autres pays, ce qui n'est pas une spécificité du secteur aéronautique. Sauf que les pilotes, qui ne représentent que 5% des effectifs, pèsent plus de 25% de la masse salariale pour Air France, une proportion qui ne cesse de croître.
Comment croître alors qu'il n'y a officiellement aucune augmentation? Et bien grâce à l'évolution de la carrière ! La rémunération d'un pilote dépend de la taille de son avion, des distances franchies, du nombre de vols réalisés, de ses éventuelles fonctions d'encadrement, de son ancienneté, autant de critères permettent par exemple d'obtenir une progression annuelle de 7% des salaires individuels en 2015 malgré un blocage officiel. La rémunération mensuelle brute des copilotes a donc progressé de près de 2000€ brut entre 2011 et 2016 malgré l'absence d'augmentation.
Sans recrutement ni hausse de rémunération, la masse salariale s'accroît donc année après année, tirée par les personnels navigants.
3) La compagnie est-elle en danger?
Air France a été sauvée de la faillite par l'Etat dans les années 90 et a pu résister à une décennie de résultats négatifs grâce à son actionnariat majoritairement public. Elle semblait repartir de l'avant, favorisée par un pétrole faible, mais pour 2018, on a:
- une grève qui a (déjà) coûté 300 millions d'euros,
- une facture carburant qui va s'accroître de 350 M€,
- une hausse des rémunérations de 240 M€ qu'il va falloir concéder au vu de la consultation gagnée par les syndicats,
- l'évitement de la compagnie par une partie des clients potentiels...
On peut annoncer sans trop prendre de risque que l'on repart dans le rouge, c'est pour ne pas avoir à assumer cette situation que Jean Marc Janaillac avait mis sa démission en jeu. Autant d'éléments qui vont amputer la confiance en la compagnie et sa capacité à investir, donc à croître.
Mais le temps est à la consolidation dans le secteur aérien. En Europe, les compagnies faibles disparaissent ou se font racheter: Air Berlin, Nikki, Alitalia et Monarch Airlines ont fait faillite en 2017, faisant suite à Swiss Air ou Sabena pour ne citer qu'elles. Il ne restera bientôt plus que des acteurs majeurs et des proies, mais Air France ne fait pour l'instant partie d'aucune de ces catégories et a tendance à voir son poids relatif diminuer année après année... Il n'y a pas d'urgence immédiate et de faillite en vue à brève échéance, mais il va falloir renforcer les points forts et peut-être accepter d'abandonner certaines lignes court et moyen-courrier déficitaires. La filiale Transavia qui connaît une croissance à deux chiffre pourrait être une voie de succès, mais sa taille reste limitée par un accord avec les syndicats du groupe. Si par malheur les analystes internationaux qui dégradent les perspectives du groupe avaient raison, la compagnie n'aurait peut-être pas les reins assez solide pour supporter une nouvelle période de déficits, et l'Etat ne serait alors plus là pour jouer les secouristes. Espérons donc que cette question n'ait jamais à être posée...
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