
Sérial entrepreneur, libéral bon teint, le nouveau patron du Medef compte bien lutter contre la taxation des contrats courts.
Une nuée de journalistes, des caméras TV sur le pont, une ambiance électrique dans la grande salle de mutualité au coeur de Paris en ce mardi 3 juillet. Jusqu'à la dernière minute, le suspens aura été entier. Mieux qu'une séance de tirs au but en phase finale du Mondial de foot. Puis un peu avant 11 heures, le résultat du vote est tombé : 284 voix soit 55,8% des votants pour Geoffroy Roux de Bézieux contre 224 voix pour son rival Alexandre Saubot.
S'il s'agissait de la présidence de la République, les commentateurs politiques auraient dit que la victoire est claire, implacable. Mais pour enfiler le costume de patron des patrons, ce score étonne et illustre en creux la crise existentielle que traverse l'organisation patronale. Il s'agit, en effet, de l'élection la plus serrée de toute l'histoire du Medef, davantage habitué à des plébiscites dignes d'une république bananière. En 2013, Pierre Gattaz avait été élu avec 95% des voix contre le très marginal Hervé Lambel. Trois ans plus tôt, Laurence Parisot avait rempilé avec 93,85% des votes. Et on ne parlera pas des élections à la tête du feu CNPF où il n'y avait qu'un seul candidat...
Le Medef en pleine crise existentielle
"Après les coup bas, les petites phrases assassines et les intimidations à peine voilées, il était temps que cette campagne se termine. Je crains qu'elle laisse quelques séquelles", confiait à L'Express quelques heures avant le résultat Patrick Martin, le président du Medef Rhône Alpes-Auvergne, aujourd'hui propulsé numéro deux de l'organisation. Sourire aux lèvres, le nouveau président a d'emblée voulu être beau joueur pour calmer les esprits déçus : "Ce n'est pas ma victoire, c'est celle du rassemblement. C'est d'ailleurs pour cela que je tends la main à Alexandre Saubot en lui proposant un poste d'invité permanent au Conseil exécutif" a déclaré Geoffroy Roux de Bézieux lors de son premier discours quelques minutes après l'annonce du vote.
Reste que la bataille qui a opposé pendant des semaines les deux hommes, masque une angoisse profonde que les cadres du Medef osent à peine formuler à voix haute : à quoi sert encore le Medef face à un gouvernement qui a mis l'entreprise au coeur de sa stratégie, enchaîne les réformes à en donner le tournis et considère les corps intermédiaires comme des poids lourds? "Faute d'avoir réfléchi à sa doctrine, dans l'incapacité de proposer une vision, et de ne bouger qu'en réaction, le Medef ne vit plus que sur la force de son organisation. Les jambes sont là, mais plus la tête", attaque Bernard Vivier, le président de l'Institut supérieur du travail.
L'homme qui a surfé sur la vague du dégagisme
Geoffroy Roux de Bézieux sera-t-il l'homme du changement de logiciel ? L'artisan du renouveau de la pensée ? L'inventeur d'une forme nouvelle du paritarisme ? Ce qui est certain, c'est qu'avant même d'être élu à la tête du Medef, "GRB" comme l'ont surnommé ses intimes a réussi un pari : casser son image. Plutôt la ripoliner. Se présenter comme un homme neuf, un anti-apparatchik, peu embarrassé par les pesanteurs de l'organisation, alors même qu'il a dirigé l'Unedic entre 2008 et 2010, qu'il était vice-président du Medef depuis 2013 et s'était présenté face à Pierre Gattaz lors de la dernière élection. Une sorte de Macron du patronat surfant sur la vague du dégagisme. Qu'importe, le "story telling" du serial-entrepreneur chantre de l'économie numérique, a fonctionné à merveille.
L'homme est malin, sait ce qu'entreprendre veut dire, se présente comme un libéral assumé, la carte catho en plus. Cet ex-commando marine à Djibouti, taillé comme un rugbyman, a fondé the Phone House puis Virgin Mobile. Virage à 180 degrés en 2014 : il abandonne les télécoms pour les plaisirs de la table et les jeux de plein air. Avec sa nouvelle pépite baptisée Notus Technologies, il rachète Oliviers&Co, un distributeur d'huile d'olive, le fondant baulois, un fabricant de gâteau au chocolat de La Baule, Chullanka, une enseigne de magasins spécialisées dans la distribution de matériel Outdoor et Amsterdam Air, le leader français de la vente en ligne de vélos et de triporteurs électriques...Un touche-à-tout, Roux de Bézieux ? "Ses différentes vies professionnelles font qu'il sera moins soumis aux lourdeurs de l'appareil des fédérations et qu'il pourra plus rapidement opérer le changement organisationnel dont le Medef a besoin", veut y croire Patrick Martin. Davantage de démocratie, de d'horizontalité et de collégialité. Un signe ? Quelques minutes après son élection, Geoffroy Roux de Bézieux a nommé dans la foulée une dizaine de nouveaux membres au conseil exécutif, des jeunes et des femmes.
Un paritarisme rénové
Mais le chantier le plus ardu qui attend le nouveau président est sans doute celui de la rénovation du paritarisme, c'est-à-dire la co-gestion de certains organismes de sécurité sociale par les syndicats de salariés et le patronat. Pour Emmanuel Macron, ce modèle, symbole du dialogue social à la papa et des petits arrangements entre amis, a échoué. La décision du gouvernement il y a quelques semaines de laisser les syndicats continuer de gérer l'Unedic mais dans un cadre désormais fixé par l'Etat est lourde de conséquence. "Notre crainte est que le Medef se dise que le paritarisme c'est fini et qu'il se borne à être un lobby travaillant main dans la main avec le gouvernement. Ce serait une faute historique de rompre avec le modèle de démocratie sociale, de nier 70 ans de paritarisme et de dialogue social", s'inquiète Pascal Pavageau, le nouveau président de Force Ouvrière.
De fait, pendant toute la campagne, Geoffroy Roux de Bézieux s'est interrogé sur la nécessité de garder un strapontin dans certaines organisations. "Que fait-on encore dans la gestion de l'assurance chômage alors que l'Etat a mis les partenaires sociaux sous tutelle", s'agace Thibault Lanxade, un des piliers du Medef et soutien de Roux de Bézieux.
La taxation des contrats courts, première grande bataille
A court terme, la menace du gouvernement de taxer les contrats courts sera le baptême du feu du nouveau président. Un dossier explosif sur lequel il a fait d'emblée appel aux talents de négociateurs de Saubot. Le projet de loi Avenir professionnel prévoit qu'en cas de désaccord des partenaires sociaux sur une solution pour enrayer le recours excessif aux CDD avant la fin de l'année, l'Etat pourra alors modifier lui-même les règles pour les employeurs et les salariés. En clair, instaurer un système de bonus-malus sur les cotisations sociales payées par les entreprises. Une éventualité qui rend rouge de colère le nouveau patron du Medef. "Certes, ce système existe aux Etats-Unis mais le marché du travail n'est pas dual avec des CDD d'un côté et des CDI de l'autre. Avant de penser au bonus-malus, il aurait fallu réformer les contrats de travail", critiquait récemment Geoffroy Roux de Bézieux devant l'Ajef, l'association des journalistes économiques et financiers.
Les cinq syndicats de salariés et les deux autres organisations patronales (l'UPA et le CPME) se disent prêts pour proposer une agenda social dès septembre. "J'invite le nouveau président du Medef à se mettre autour de la table avec nous dès juillet pour fixer les grandes lignes", affirme Pascal Pavageau. "Et pourquoi pas ne remplacerait-il pas le pin's un million d'emplois par un pin's négociation interprofessionnelle et paritarisme", poursuit le leader de FO. Pas certain que le nouveau patron des patrons qui souhaite faire émerger une nouveau "dialogue social mais aussi économique" soit un adepte de la chose.
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