
Tout ça pour ça ? A première vue, la semaine de tergiversations sur le prélèvement à la source a pu donner un sentiment de mise en scène. L'intervention du Premier ministre, Edouard Philippe, au « 20 heures » est apparue d'un naturel tel qu'on aurait presque pu croire à une opération de « storytelling » dont l'ambition serait de susciter le débat et de faire adhérer les Français à ce nouveau mode de collecte de l'impôt.
A en croire ce qui peut filtrer de l'Elysée ou de Bercy, il semble pourtant que le chef de l'Etat a bel et bien failli tirer un trait sur le prélèvement à la source, après trois ans de travaux. S'il avait été mis en scène, ce moment d'hésitation - alors que les contribuables recevaient leur avis d'imposition et que les entreprises commençaient à mettre à jour leurs logiciels de paie - aurait été pour le moins risqué, tant il a altéré la réputation de la réforme. Pour beaucoup de Français, prélèvement à la source rime désormais avec bug et perte de pouvoir d'achat .
Non, l'explication la plus plausible de cet incroyable cafouillage, c'est tout simplement que l'Elysée a soudainement pris peur. Lorsque Emmanuel Macron a exprimé publiquement ses doutes en Finlande, le 30 août dernier, il souhaitait bien, initialement, préparer les esprits à un abandon de l'impôt à la source avant que l'administration envoie les taux de prélèvement aux employeurs durant la deuxième quinzaine de septembre.
Extrême prudence
C'est qu'en l'espace d'un an, les vents politiques ont tourné. La polémique sur la CSG des retraités est passée par là, l'affaire Benalla aussi, avec les reproches qui se sont amplifiés de « président déconnecté ». La décision de baisser en deux temps les cotisations salariales pour les employés du privé, en janvier puis en octobre 2018, est apparue comme une erreur politique, car ce décalage a conduit à diluer l'effet psychologique de cette mesure, alors qu'elle constitue l'une des principales mesures de pouvoir d'achat du gouvernement.
Dans ce contexte, on peut comprendre l'extrême prudence du chef de l'Etat face aux assertions de Bercy selon lesquelles tout allait bien se passer. D'autant que la bascule vers un impôt à la source sera irréversible, contrairement à d'autres mesures fiscales. On imagine mal l'Etat se priver d'une année de recettes d'impôt sur le revenu pour revenir à une taxation en année n + 1...
Risque de choc psychologique
Même si Emmanuel Macron a fini par donner son feu vert au lancement de la réforme, les inquiétudes sont toujours là. Elles portent autant sur le risque de « bugs techniques » que sur le choc psychologique lié à un impôt prélevé sur la fiche de paie. Toute la difficulté étant qu'il n'existe pas d'expérience similaire récente. La plupart des pays développés ont adopté l'impôt à la source dans les années 1920 ou les années 1940, avant l'informatisation, et à l'époque où l'écho d'un « bug » ne se répandait pas en quelques minutes sur les réseaux sociaux. Le dernier pays à avoir effectué cette transition est l'Islande dans les années 1980. Rien de comparable avec la France en termes de population, d'autant plus que le prélèvement à la source en Islande s'était accompagné d'une réforme fiscale. « L'année blanche » s'était traduite par un surplus de croissance, ce qui ne semble pas être le cas pour l'instant en France. Au contraire, l'activité économique s'est plutôt tassée, du moins au premier semestre.
D'ici à la fin de l'année, l'Insee devrait chiffrer dans sa note de conjoncture l'impact économique du prélèvement à la source. Mais cette évaluation restera somme toute théorique car la statistique peine à appréhender les effets psychologiques. Mathématiquement, la très grande majorité des ménages sera gagnante en trésorerie , puisque l'impôt sera étalé sur douze mois, au lieu de dix avec la mensualisation. C'est ce qui fait dire à la députée Cendra Motin (LREM), chargée d'une mission sur le prélèvement à la source, que l'effet négatif sur la fiche de paie sera rapidement absorbé, car les contribuables ne seront plus prélevés en milieu de mois ou n'auront plus à régler leur tiers provisionnel en février. Les ménages se comporteront-ils de manière aussi rationnelle ? Pas si sûr... Dans le système actuel, beaucoup de ménages pensent que payer par tiers est plus favorable pour leur trésorerie. C'est une idée reçue : mi-mai, ils ont payé les deux tiers de leur impôt, contre seulement la moitié pour les ménages mensualisés.
Epargne de précaution
Une autre inconnue vient compliquer l'équation. Aucune étude n'a jamais évalué l'impact économique de notre mode actuel de collecte, notamment sur le point de savoir si les régularisations en septembre sur l'avis d'imposition - parfois conséquentes - jouent sur la consommation des ménages. Certains économistes pointent du doigt une épargne de précaution élevée chez les Français, pour payer l'impôt l'année suivante. Mais on peine à évaluer les effets économiques du système actuel sur le consentement à l'impôt.
Finalement, la transition la plus comparable avec le prélèvement à la source reste sans doute le passage à l'euro en 1999. A l'époque, la bascule s'était étonnamment bien passée. A ceci près que, pendant des années, les citoyens ont eu le sentiment que l'euro avait fait monter les prix. C'était une illusion d'optique : l'Insee a démontré le contraire par A plus B...
Plus à perdre qu'à gagner
Qu'en sera-t-il de l'impôt à la source ? Cette fois, le gouvernement a bien plus à perdre qu'à gagner sur le plan politique. Même si ce type de prélèvement recueille une majorité d'opinions favorables, ce n'est pas sur ce terrain que les Français attendent les politiques, mais plutôt sur le front de l'emploi. S'il y a des bugs en série, si les contribuables s'approprient mal cette réforme, on mettra en cause les ministres de Bercy et le président pour ne pas avoir arrêté à temps la machine. Si la transition se fait sans heurts, l'impôt à la source nous apparaîtra vite comme une évidence. On se demandera simplement comment on faisait, avant, quand on payait ses impôts un an après avoir perçu les revenus.
https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/0302233774873-impot-a-la-source-la-grande-peur-du-bug-de-lan-2019-2205252.phpBagikan Berita Ini
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