
Accusée d’avoir sollicité de riches contribuables français afin de leur permettre de dissimuler une partie de leur fortune, l’Union des banques suisses est jugée à partir de ce lundi à Paris. Près de 11 milliards d’euros seraient concernés. Un procès inédit pour l’évasion fiscale après cinq ans d’instruction.
Un procès sans précédent. Et pour la première fois, un pilier de la finance helvète. L’Union des banques suisse (UBS), 28 milliards de chiffre d’affaires et 1 milliard de profits nets l’an dernier, se retrouve au prétoire. Plus précisément devant la 32e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Durant cinq semaines, à partir de ce lundi, la justice va examiner le fonctionnement de cette banque poursuivie pour démarchage bancaire illicite et blanchiment de fraude fiscale. Elle est accusée d’avoir sollicité de riches contribuables français jusqu’en 2009 afin de leur permettre de dissimuler, en Suisse, tout ou partie de leur fortune. Selon l’instruction menée par les juges Guillaume Daïeff et Serge Tournaire, près de 11 milliards d’euros auraient gagné les rives du lac Léman à l’insu du fisc français. Le ministère de l’Economie est d’ailleurs partie civile dans ce dossier. Il demandera, sans doute, de solides réparations, au titre de l’impôt, sur ces sommes qui lui sont passées sous le nez.
Si cette affaire devrait mettre en lumière une opération d’évasion fiscale organisée de manière industrielle compte tenu des sommes en jeu et du nombre d’acteurs, le mode opératoire, lui, s’est avéré très artisanal. Ce sont en effet de simples carnets dans lesquels sont mentionnés les bonus de commerciaux de la banque qui ont permis aux policiers et aux douaniers d’étayer leur enquête.
«Carnets du lait»
Et dire que ce procès qui va être celui de l’évasion fiscale aurait pu ne jamais avoir lieu. UBS, comme sa consœur HSBC (lire page 17), a tenté de négocier un accord avec la justice française. A l’instar des procédures en vigueur depuis belle lurette aux Etats-Unis, le Parquet national financier (PNF) peut, depuis 2016, conclure une transaction avec une entreprise poursuivie pour blanchiment de fraude fiscale. Pas de procès en échange du règlement immédiat d’une pénalité. Seul hic, pour UBS, la barre a été placée assez haut : 1,1 milliard d’euros. Cette somme correspond à la caution demandée et obtenue par les deux juges d’instruction durant l’enquête sur la banque helvète. Dès lors, la justice ne pouvait, pour une transaction, demander moins que ce 1,1 milliard d’euros. Au risque, sinon, de devoir rendre une partie de la caution à UBS. Un tel chèque de remboursement du Trésor public, en l’absence de procès, aurait pour le moins fait désordre… De son côté, la banque - qui a réussi à transiger en Allemagne, en Belgique ou encore aux Etats-Unis à des sommes inférieures - aurait proposé, selon les informations recueillies par Libération, moins de 300 millions d’euros. Dès lors, aucun accord n’a pu être trouvé.
Voila pourquoi la maison mère UBS-AG, sa filiale française et pas moins de sept anciens dirigeants de la banque sont embarqués pour cinq semaines de procès. Ils risquent jusqu’à cinq ans de prison, et la banque une amende de 3 millions d’euros assortis de dommages et intérêts bien plus lourds. UBS a néanmoins choisi une ligne de défense assez dure : «Il n’y a pas eu de démarchage illicite et nous contestons le blanchiment de fraude fiscale», indique à Libération Denis Chemla, l’un des avocats d’UBS-AG.
Les deux juges d’instruction ont, eux, une tout autre vision. Dans un document de 76 pages qui résume cinq ans d’enquêtes et d’auditions, ils décrivent un système apparemment bien rodé d’évasion fiscale présumée. UBS, à travers sa filiale française, organisait ou sponsorisait au début des années 2000 de prestigieuses manifestations (des «events», dans le jargon maison). Tournois de golf, soirées à l’opéra… Autant d’occasions de convier des profils fortunés, déjà ou pas encore clients de la banque, afin de leur proposer placements financiers et autres prestations diverses. Jusque-là, rien de répréhensible a priori.
Les choses se compliquent lorsque les clients français sont approchés par des commerciaux suisses, venus spécialement dans l’Hexagone pour leur proposer des opérations offshore. En clair, mettre une partie de leurs économies en Suisse en utilisant des trusts ou des fondations. Ces montages ont l’immense avantage de dissocier la structure qui reçoit les fonds de son propriétaire, dont le nom n’apparaît pas.
Ce démarchage est révélé par des documents à l’appellation romanesque : «les carnets du lait». Historiquement, les éleveurs suisses y notaient leur comptabilité. Cette fois-ci, il s’agit de documents dans lesquels sont soigneusement répertoriés les montants récupérés par les commerciaux français ou suisses pour leur faire sauter discrètement la frontière. Et comme UBS apprécie visiblement les références agricoles, la base de données dans laquelle sont répertoriés ces clients très spéciaux s’intitule «le fichier vaches».
Envie pressante
Un morceau de choix pour les juges qui estiment, au 1er juillet 2006, à 10,7 milliards d’euros les sommes ainsi collectées et réparties sur 34 733 comptes. Mais si ces informations sont parvenues à la justice française, ce n’est pas grâce à la bonne volonté d’UBS ou des autorités suisses. Ces chiffres émanent des services fiscaux allemands, et surtout d’ex-salariés français d’UBS témoins directs et atterrés de ces agissements (lire page 15). La banque, elle, semble avoir toujours cherché à déculpabiliser ses clients. Et à protéger leur anonymat : elle avait ainsi mis en place un service de «banque restante». Cette prestation, facturée, permettait au client de ne pas recevoir de courrier d’UBS à son domicile. Interrogé par les juges à ce sujet, l’un des patrons d’UBS indique, sans rire, qu’il s’agissait de garantir la confidentialité à l’égard d’une épouse dépensière ou d’un gardien d’immeuble indiscret.
Pour autant, UBS avait semble-t-il aussi prévu quelques incidents de parcours. Ainsi, un ancien dirigeant de la banque reconnaît, lors de son interrogatoire, l’existence d’un «manuel de sécurité» dans lesquels sont notamment expliquées des techniques de blocage des ordinateurs portables, y compris «en cas d’interrogatoire par la police». Non dénué d’humour, il justifie ce document par «l’unique souci de protéger le secret bancaire».
Reste qu’à partir de 2011, sentant l’étau se resserrer, la banque a brutalement changé d’attitude en ne laissant que deux options à ses clients français très spéciaux : se mettre en conformité avec le fisc français ou fermer leur compte et se trouver une autre banque. Et UBS a visiblement été entendu… Les services fiscaux français ont recensé, au 30 octobre 2015, 3 893 contribuables titulaires d’un compte chez UBS ayant eu une envie pressante de régulariser leur situation. Ils ont donc fait un passage par la cellule de dégrisement fiscal mise en place par Bercy et ont rapatrié 3,7 milliards euros. L’administration française des impôts a récupéré 962,6 millions de taxes et pénalités sur cette somme.
Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg pour Bercy, qui sera présent au procès, sur le banc des parties civiles. Le ministère de l’Economie va vraisemblablement demander des dommages et intérêts largement supérieurs au milliard déjà laissé en caution par la banque. Si jamais le fisc français est entendu par les juges, la direction d’UBS risque de regretter amèrement de ne pas avoir signé une transaction avec le Parquet comme elle l’a fait dans les autres pays où elle a été mise en cause.
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