
Pascal Pavageau ne cache pas son amertume dans un courrier dont l'AFP a obtenu copie, et qui, a-t-il indiqué, sera son unique expression publique. "Pour l'ensemble de ces documents et ces erreurs de fonctionnement qui ternissent l'image de notre organisation ainsi que mes actions, je vous présente sincèrement mes excuses", écrit-il. "Visiblement, la cabale ne s'arrêtera pas là. Je savais qu'en acceptant le mandat de secrétaire général, tous mes actes seraient passés au crible, mais jamais à ce point". La direction élargie de Force ouvrière, composée de 35 membres, a décidé, à l'issue de près de six heures de réunion, de convoquer le parlement du syndicat pour gérer l'après Pavageau, les 21 et 22 novembre. Stéphane Sirot, spécialiste du syndicalisme et des relations sociales et enseignant à l'université de Cergy-Pontoise, revient sur cet épisode syndical.
Que vous inspire ce départ fracassant de Pascal Pavageau à la tête de Force ouvrière?
Il était attendu depuis les révélations du Canard Enchainé. Pascal Pavageau savait qu’il serait désavoué par la commission exécutive. Sa manière de condamner l’existence de ces fichiers, assez légère, a certainement joué contre lui. En période de campagne électorale, comme ce fut le cas avant le congrès d’avril qui l’a porté à la tête de FO, il est assez courant d’étudier quels sont ses soutiens, de noter des informations sur untel ou untel. Avant, on le faisait sur un petit carnet ou des bouts de papier. Pas sur des clés USB. Mais ce qui est exceptionnel, ce sont les annotations sur les antécédents médicaux, les orientations sexuelles, la dureté de certains propos. Le secrétaire général ne pouvait pas soutenir qu’il n’était pas au courant.
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"On aurait pu imaginer un scénario où l’organisation sert les rangs derrière le leader attaqué, mais la plupart des dirigeants et cadres étaient fichés!
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Que reflète ce rapprochement entre réformistes et trotskystes pour le renverser?
C’est une alliance des contraires qui traduit deux choses : d’abord, une volonté de revanche du camp réformiste sur le dernier congrès dont les divisions ont laissé des traces. De l’autre, un souci de préserver le bastion de FO dans la Fonction publique alors que les élections professionnelles auront lieu en décembre. Cette fédération, une des plus puissantes au sein de FO, n’avait pas intérêt à laisser traîner cette affaire. D’autant qu’une fois l’engrenage enclenché, d’autres fuites peuvent se produire. Souvenez-vous de Thierry Lepaon, éphémère numéro un de la CGT, qui, après le scandale sur les travaux dans son bureau et logement de fonction, a vu le montant de sa prime de licenciement perçue lors de son précédent poste dévoilée par la presse. Entre la parution de l’enquête du Canard Enchainé et le départ de Pascal Pavageau, il s’est passé moins d’une semaine. Cette chronologie ne doit rien au hasard. On aurait pu imaginer un scénario où l’organisation sert les rangs derrière le leader attaqué, mais la plupart des dirigeants et cadres étaient fichés!
Cette alliance peut-elle tenir pour prendre le pouvoir?
Les trotskistes qui tiennent l’éducation nationale et la culture ne sont pas des proches des métallos, qualifiés de socialistes ou de cédétistes par le fichier! Quand il y a des enjeux de succession ou de ligne, traditionnellement, ils s’affrontent toujours. Là, ils ont des intérêts convergents. Pascal Pavageau n’avait plus que le soutien des anarchistes. Il était le successeur désigné de Jean-Claude Mailly, dont il avait soutenu la stratégie notamment au moment de l’adoption des ordonnances Travail. Son positionnement avait ensuite beaucoup évolué car il sentait que les dernières prises de position de FO passaient mal en interne. La rapidité du lâchage du secrétaire général témoigne aussi de la fragilité de ses soutiens et de sa difficulté à imposer un style et un projet pour la confédération.
Quelles vont être les conséquences pour la confédération?
D'abord, il faut qu’elle trouve un nouveau dirigeant, ce qui est loin d’être simple car personne ne s’impose naturellement. Peut-être quelqu'un d’une grosse fédération, d’une mouvance politique identifiée. Mais dans tous les cas, il ou elle ne sera pas légitimé par une élection en congrès. Parvenir à asseoir sa légitimité dans ces conditions sera compliqué, une période de flottement va s’installer. Rien ne dit que cette histoire ne laissera pas quelques traces marginales sur le scrutin dans la Fonction publique qui pourrait, du coup, profiter à la CGT. Il y a quatre ans, l’affaire Lepaon a éclaté quelques mois avant l’élection toujours dans la Fonction publique. La CGT avait perdu 2-3 points.
"Les organisations syndicales ont besoin d’être incarnées par une figure. Une direction collégiale n’est pas la solution idéale
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Un binôme est-il envisageable?
Ça n’est pas forcément souhaitable pour FO ou bien, de façon transitoire d’ici le prochain congrès, ce qui risque cependant d’être très long pour un intérim. Or, les organisations syndicales ont besoin, comme les partis politiques, d’être incarnées par une figure. Une direction collégiale n’est pas la solution idéale.
FO se distingue dans le paysage syndical par ses multiples courants…
C’est une sœur cadette de la CGT. Sa diversité politique va de l’extrême droite à l’extrême gauche, un éventail des plus vastes sur l’échiquier syndical. Les grandes colonnes vertébrales qui cimentaient cette diversité et la structuraient, comme l’anticommunisme, la laïcité, la franc-maçonnerie, se sont effritées. FO se positionne comme un syndicat qui négocie mais qui est aussi combatif, il doit donc faire sans cesse la synthèse entre ces différentes tendances politiques et son ADN réformiste. Tout ça complique le vivre-ensemble dans l’organisation.
Est-ce une mauvaise nouvelle pour le syndicalisme?
C’est un mauvais coup alors que son image déjà bien écornée est indexée sur celle des partis politiques. La réaction de Laurent Berger, numéro un de la CFDT, qui a invité Pascal Pavageau à démissionner, ce qui est rarissime, montre bien les risques pour la crédibilité du mouvement syndical.
Un retour de Jean-Claude Mailly, l'ancien leader de FO, est-il possible?
C’est impensable car il a beaucoup terni son image en interne les derniers mois avant son départ et sa reconversion dans un cabinet de conseil a aussi fait quelques vagues. Son retour serait symptomatique d’un état de faiblesse assez avancé de la confédération. Qu’il joue un rôle en coulisse, cela va de soi.
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