Vingt-cinq ans après le président François Mitterrand, le Premier ministre français Edouard Philippe s'est rendu samedi sur le site de la bataille de Dien Bien Phu, y célébrant le passé "apaisé" de la France et du Vietnam.
"Il me semblait qu'il était utile de regarder notre passé commun de façon apaisée", a-t-il dit, après s'être rendu sur les petites collines aux noms féminins (Gabrielle, Eliane, Béatrice...) tenues en 1954 par l'armée française dans la cuvette du nord-ouest du Vietnam.
Il a fleuri les deux mémoriaux, français comme vietnamien, bâtis en souvenir des quelque 13.000 morts et disparus de la bataille et visité le bunker du général Christian de Castries, qui dirigea les troupes françaises jusqu'à sa capture et la défaite.
Et a rendu "hommage aux soldats français qui sont morts, qui se sont battus, qui ont parfois été faits prisonniers à la fin des combats".
Le Premier ministre français, qui avait salué la veille la mémoire du père de l'indépendance Ho Chi Minh dans le livre d'or signé à Hanoï, a aussi salué celle des "soldats vietnamiens qui se sont battus pour l'indépendance" d'un pays qui était alors une colonie française.
Aucun responsable vietnamien n'avait cependant fait le déplacement au mémorial français, ne rejoignant Edouard Philippe que pour la visite du mémorial vietnamien.
"Cette épopée a été une erreur sur le plan stratégique, mais cela n'a pas empêché le courage des hommes" sur le terrain, a témoigné auprès de l'AFP le colonel Jacques Allaire, 94 ans, ancien de Dien Bien Phu accompagnant le Premier ministre.
La veille à Hanoï, Edouard Philippe avait présidé à la signature de nouveaux contrats commerciaux. Le montant total des accords signés, dont certains ne sont pas définitifs, avoisine les 10 milliards d'euros, dont 5,7 milliards pour l'avionneur européen Airbus.
Après François Mitterrand en 1993, c'est la deuxième fois seulement depuis la terrible bataille de 1954 qu'un haut responsable français se rend sur le site de Dien Bien Phu.
"Je ne suis pas sûr d'avoir très envie de répondre à ceux qui ne comprennent pas pourquoi un Premier ministre français vient" à Dien Bien Phu, "ce qui peut me paraître surprenant c'est que finalement assez peu de gens l'aient fait avant moi", a déclaré Edouard Philippe, interrogé sur les critiques suscitées par sa venue sur le site d'une défaite française.
En 1993, le modeste mémorial français - une simple dalle de qualité médiocre érigée en 1984 par les autorités vietnamiennes pour respecter l'accord de Genève - tombait en ruine. C'est un ancien légionnaire d'Indochine d'origine allemande, Rolf Rodel, qui le restaure et y construit un obélisque d'un peu plus de trois mètres de haut, inauguré par les seules autorités locales en 1994, selon le récit de l'ambassade, qui l'entretient depuis 1998.
- "Plus aucun ressentiment" -
Edouard Philippe était accompagné de deux vétérans français de la bataille, Jacques Allaire et William Schilardi, 85 ans. Respectivement lieutenant et caporal à l'époque, ils ont survécu à l'hécatombe de la marche forcée des 10.000 prisonniers français après la défaite, dont seuls 3.000 sont revenus.
"On a perdu en captivité 70% de ceux qui ont été fait prisonniers à Dien Bien Phu. De maladie, de misère", a expliqué le vétéran Allaire, sans s'étendre sur les mauvais traitements subis.
Il a raconté sa propre captivité, débutée par trois mois de marche: "On a fait 800 kilomètres à pied. Nous étions dans le dénuement le plus complet et nous avons été dispersés dans des camps au nord, près de la frontière chinoise", se souvient celui qui a eu la chance d'être libéré au bout de quatre mois.
Après 56 jours - et nuits - de combats sanglants, de déluges d'obus et d'affrontements au corps à corps, la bataille prit fin le 7 mai 1954 par la chute du camp retranché français, qui scelle la fin de la présence française en Indochine et l'émergence du Vietnam en tant que nation indépendante.
L'ancien soldat vietminh Hoang Bao, 85 ans aujourd'hui, n'avait que 20 ans quand il traversa la jungle montagneuse du nord du Vietnam pour affronter l'adversaire français, prêt à mourir pour l'indépendance.
"Nous n'avons plus aucun ressentiment envers les Français", assure aujourd'hui ce colonel à la retraite interrogé par l'AFP à Hanoï, son uniforme vert foncé décoré de médailles.
"Nous avons perdu tant de camarades", se souvient Nguyen Tran Viet, un ancien médecin militaire de 87 ans, lui aussi vétéran de Dien Bien Phu. "Nous devrions vivre paisiblement désormais, ne plus laisser la guerre se produire".
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