«Ecouter» sans céder. «Comprendre» sans reculer. «Etre attentif», mais «maintenir le cap». Au lendemain de la mobilisation des «gilets jaunes» contre la hausse des taxes sur le carburant, le gouvernement a épuisé dimanche le répertoire des refus polis. Opposant ces formules convenues à un mouvement décidément hors-cadre, dans sa forme comme dans le bilan humain de sa première apparition : une morte et plus de 400 blessés, dont 14 graves, selon le ministère de l’Intérieur, qui a dénombré 287 710 participants sur 2 034 sites (lire page 4). Certains blocages se poursuivaient dimanche.

Deux fois supérieure à celle des manifestations du 1er Mai, cette affluence n’a pas empêché le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, d’évoquer dimanche une «mobilisation importante, mais pas massive». Autre argument de l’exécutif : la colère des gilets jaunes viserait autant, et peut-être plus, les précédents gouvernements que celui d’Emmanuel Macron. «L’expression d’hier ne sanctionne pas les derniers mois, mais des années de sentiments d’oubli», estime un ministre. Même si, dans un sondage Ifop publié dimanche dans le JDD, Emmanuel Macron comme Edouard Philippe sont au plus bas, avec des taux de popularité respectifs de 25 % et 34 %.

Indécrottables

Au fond, ont tenté de faire valoir les plus hardis représentants de l’exécutif, les manifestants du 17 novembre auraient exprimé vis-à-vis du gouvernement non pas un rejet, mais une simple «impatience». Adhérant sans le savoir au projet présidentiel puisque, selon les mots du député LREM et futur patron du parti Stanislas Guerini, «toute notre politique est pensée pour eux». Y compris l’augmentation des prix de l’essence, censée sauver les plus indécrottables rouleurs du «piège du tout-voiture» dénoncé dans le Parisien par François de Rugy.

Hors de question, donc, de revenir sur la trajectoire de la fiscalité des carburants, qui doit voir augmenter les taxes sur l’essence et le diesel non seulement au 1er janvier 2019, mais chaque année jusqu’à la fin du quinquennat. «La trajectoire carbone que nous avons fixée, nous allons la tenir», a déclaré Edouard Philippe dimanche au 20 heures de France 2. Reconnaissant la «souffrance» des manifestants, mais estimant qu’on avait vu dimanche «des scènes qui relevaient de l’anarchie».

Le camp présidentiel n’avait, dans l’immédiat, pas grand-chose de plus à dire aux manifestants, ayant devancé le mouvement en annonçant dès mercredi une série de mesures d’«accompagnement» de la transition énergétique. Principalement des aides supplémentaires pour le remplacement des véhicules polluants et des chaudières au fioul.

«Le dispositif est bon, cela peut répondre aux questions de beaucoup de monde, estime le député LREM Matthieu Orphelin, proche de Nicolas Hulot. A condition de le faire connaître et que les gens s’en saisissent.» L’élu attend des avancées supplémentaires de la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont la présentation doit intervenir d’ici la fin novembre. Mais il constate, inquiet, que «pour le moment, sur la rénovation énergétique des bâtiments, on n’y est pas. Il faut absolument des mesures radicales, par exemple pour accélérer le versement du crédit d’impôt pour la transition énergétique».

Niveau global

Reste à savoir si ces mesures, ciblées sur la transition énergétique et parfois sur les ménages les plus modestes, peuvent contenir la contestation du niveau global des prélèvements, qu’ils relèvent ou non de la fiscalité écologique. Comme dans le cas de la hausse de la CSG, dont 300 000 retraités supplémentaires ont été exonérés en septembre, les ajustements techniques annoncés a posteriori semblent sans prise sur une opinion intolérante à tout prélèvement supplémentaire. Au point que le moindre d’entre eux éclipse les mesures de pouvoir d’achat prises par le gouvernement (baisse des cotisations et de la taxe d’habitation, future suppression des cotisations salariales sur les heures supplémentaires).

Le mouvement des gilets jaunes a «voulu montrer qu’il y avait un ras-le-bol fiscal», a convenu sur Radio J le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin. Reconnaissant que l’exécutif, soucieux de «toucher notamment les catégories les plus populaires», n’a «peut-être» pas baissé «les impôts de ceux qui manifestent». De leur côté, LR et le RN ont enfoncé le clou en se faisant les avocats de ces Français «trop pauvres pour être riches et trop riches pour être pauvres», selon les mots de Marine Le Pen sur RTL. Les deux partis ont appelé les gilets jaunes à poursuivre leurs actions dans les prochains jours.

Dominique Albertini