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« Pertes & profits ». En costumes chamarrés et perruques opulentes, les hôtes accueillaient leurs invités à l’entrée du Grand Trianon. Le roi recevait à Versailles pour célébrer son remariage. Mais Carlos Ghosn aurait dû se méfier. Pour cette fête très XVIIIe siècle, le thème choisi, samedi 8 octobre 2016, était celui du film de Sofia Coppola, Marie-Antoinette. Comme un avant-goût de la chute derrière les avalanches de pâtisseries dont raffolait l’infortunée reine.
Le roi est désormais nu, enfermé dans une cellule de Tokyo, poursuivi pour fraude fiscale. Son héritier chez Nissan, le PDG Hiroto Saikawa, qu’il avait intronisé en avril 2017, l’accuse désormais de tous les maux, et notamment d’avoir fait financer par l’entreprise sa fête versaillaise. Peut-être le patron vedette de Renault aurait-il dû se rappeler le mot de Louis XIV : « Toutes les fois que je donne une place vacante, je fais cent mécontents et un ingrat. »
Voilà, une fois de plus, un destin exceptionnel stoppé net, celui du plus célèbre patron d’industrie au monde, qui a édifié en moins de quinze ans un véritable empire, désormais premier constructeur mondial d’automobiles, au coude-à-coude avec Volkswagen et Toyota. Mais l’âge et le succès aidant, il n’a pas vu à temps que son pouvoir absolu, son faste et son goût de l’argent allaient accélérer sa déchéance.
Symbole de cet enivrement, le salaire du tout-puissant patron, gouvernant ses entreprises japonaises (Nissan, Mitsubishi) et européennes (Renault, Dacia, Lada) du haut de son jet privé qui le transportait chaque mois sur tous les continents. A patron exceptionnel, salaire d’exception : plus de 15 millions d’euros en 2017. La norme aux Etats-Unis, mais pas en France ni au Japon. Akio Toyoda, le PDG de Toyota, le constructeur généraliste le plus rentable au monde, touche cinq fois moins.
Edifice à la fois puissant et fragile
Au Japon, il n’est pas bon de se démarquer par une individualité trop forte. Une version nipponne de l’hubris, cette maladie d’orgueil inventée par les dieux grecs pour s’assurer que les hommes ne cherchent pas à les imiter. Gare à ceux qui franchissent la ligne. D’autant que l’édifice bâti par le roi Carlos est à la fois puissant et fragile.
L’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est unique au monde par son ampleur et son ambition, qui lui donne un pouvoir considérable sur ses fournisseurs et ses clients. Mais son architecture est délicate, centralisée à l’extrême pour faire tenir des intérêts contradictoires, ceux de l’entreprise et de son actionnariat baroque, où le petit Renault possède 43 % du gros Nissan qui, en retour, ne détient que 15 % du français, tandis que l’Etat français reste le premier actionnaire de l’ensemble.
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