Coup de théâtre vendredi : alors que sa détention semblait prendre fin, Carlos Ghosn a fait l’objet d’un nouveau mandat d’arrêt pour abus de confiance. Le parquet lui reproche d’avoir fait couvrir par Nissan des pertes personnelles au moment de la crise financière d’octobre 2008. La somme incriminée s’élève à 1,85 milliard de yens (14,6 millions d’euros). Asako Matoba, professeure associée en droit à la Kyoto Women’s University, revient sur la situation du PDG de Renault et de l’alliance Renault-Nissan.

La demande d’extension de garde à vue de Carlos Ghosn a été rejetée jeudi. Un tribunal japonais a désavoué le parquet. C’est un rebondissement inattendu !

Oui, c’est une décision rare, j’étais très étonnée. Mais finalement Carlos Ghosn a fait l’objet le lendemain d’un troisième mandat d’arrêt, avec un motif plus grave. Sa garde à vue est maintenue, d’une durée de dix jours renouvelable. La décision du tribunal ne lui sera pas utile. En revanche son bras droit Greg Kelly, arrêté en même temps, pourrait être libéré sous caution dans les prochains jours.

Pour le tribunal, il n’y avait peut-être pas de raison suffisante pour renouveler la garde à vue de Carlos Ghosn. Le motif avancé était en effet presque le même. Le dirigeant de 64 ans a été inculpé le 10 décembre pour avoir minoré ses revenus de 5 milliards de yens (plus de 39 millions d’euros) à travers cinq rapports financiers, de 2010 à 2015. La garde à vue devait être étendue pour des revenus minorés de 4 milliards de yens de 2015 à 2018.

Le tribunal a-t-il été influencé par les critiques venues du monde entier après l’arrestation de Carlos Ghosn et son long maintien en détention ?

Peut-être et si c’est le cas j’en suis heureuse. Cet homme n’est pas condamné mais il vit depuis son arrestation le 19 novembre, soit depuis plus d’un mois, dans une cellule étroite et sans confort d’un centre de détention de Tokyo. A mes yeux, cela va à l’encontre des droits de l’homme. Depuis longtemps des voix s’élèvent au Japon, notamment parmi les avocats, pour critiquer ce système. Mais il n’est pas facile de changer les choses. La pression internationale offre une belle occasion de reconsidérer la situation.

Carlos Ghosn est interrogé par les procureurs d’une cellule très particulière, le bureau d’enquêtes spéciales du parquet de Tokyo. De quoi s’agit-il ?

Le Tokyo Chiken Tokubetsu Sosabu, en japonais, est un bureau indépendant du ministère de la Justice mais qui a la même importance. Il traite principalement des affaires politiques et économiques. Il est réellement très puissant. S’il décide de mettre un suspect en examen, ce dernier est alors quasi sûr d’être condamné. Même des hommes d’Etat japonais ne lui résistent pas. Il a ainsi fait tomber Kakuei Tanaka, Premier ministre très populaire de 1972 à 1974, qui a été condamné à quatre ans de prison pour avoir accepté un pot-de-vin du constructeur américain Lockheed. Le fait que Carlos Ghosn soit poursuivi par ce bureau est donc de mauvais augure pour lui.

Rafaële Brillaud à Kyoto