Gros revers judiciaire pour le géant de l’agrochimie Bayer-Monsanto. Le tribunal administratif de Lyon a annulé mardi l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, un herbicide à base de glyphosate commercialisé par Monsanto, filiale depuis 2018 de l’Allemand Bayer. Pesticide le plus utilisé au monde – rien que dans l’Union européenne, les produits à base de cette molécule représentent un marché d’environ un milliard d’euros –, le glyphosate a été classé «cancérogène probable» par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), créé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) des Nations unies.

«Erreur d’appréciation»

S’appuyant sur les études du CIRC, les juges ont estimé que le Roundup Pro 360, utilisé entre autres sur les cultures légumières, fruitières et la vigne, devait «être considéré comme une substance dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé». Saisi en mai 2017 par le Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen), le tribunal a estimé que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) avait «commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution» inscrit dans la Charte de l’environnement en autorisant ce produit le 6 mars 2017.

«Malgré l’approbation de la substance active (glyphosate) par l’Union européenne, le tribunal a estimé que les études scientifiques et les expériences animales montraient que le Roundup Pro 360, préparation dont la toxicité est plus importante que celle du glyphosate, est un produit potentiellement cancérigène pour l’homme, suspecté d’être toxique pour la reproduction humaine et pour les organismes aquatiques, explique la juridiction administrative de premier degré dans un communiqué. Il en a déduit que l’utilisation du Roundup Pro 360 porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé humaine.»

«Décision généralisable à tous les Roundup»

Pour Corinne Lepage, avocate du Criigen et ancienne ministre de l’Environnement, il s’agit là d’une «grande première qui doit être généralisée». «La justice française prend une sorte de leadership en Europe sur ce sujet, en prenant une décision qui est généralisable à tous les Roundup, car ce qui est bon pour le Roundup Pro 360 est bon pour les autres. Il n’y a aucune différence entre celui-ci et les autres en termes de dangerosité», explique-t-elle à Libération. Quand le Criigen a décidé de faire le recours, le Roundup Pro 360 était le dernier à avoir été autorisé : c’est donc c’est celui-ci que l’avocate a attaqué, mais cela aurait pu être un autre produit de la marque.

Bien que le jugement du tribunal administratif de Lyon ne porte pas spécifiquement sur la substance active (le glyphosate) mais sur le produit phytosanitaire (le Roundup), l’avocate estime que celui-ci pourrait créer un précédent et faire jurisprudence pour le glyphosate. «Ce jugement porte sur le Roundup en tant que cette préparation comporte 41,5% de glyphosate. Comme vous n’avez jamais de glyphosate pur dans un produit, mais toujours du glyphosate avec autre chose, à mon avis c’est valable pour pratiquement tous les produits contenant du glyphosate.»

Corinne Lepage redoute-elle une annulation de ce jugement en appel, au motif que celui-ci appliquerait le principe de précaution de façon très extensive, en indiquant de facto comment l’Anses aurait dû agir, alors que d’ordinaire, ce principe se borne à indiquer qu’il faut agir, sans dire commen ? «Il y a toujours des risques d’annulation en appel. Mais à mon avis, il s’agit ici d’une application extrêmement rigoureuse du principe de précaution, très très bien motivée, justifiée», répond-elle.

Effet immédiat

La décision rendue mardi prend effet immédiatement. Pour le Roundup Pro 360, c’est comme si l’autorisation n’avait jamais été donnée. «En conséquence, la vente, la distribution et l’utilisation du Roundup Pro 360 sont interdites à compter de ce jour», a réagi mardi l’Anses. L'agence se contente pour l'heure d'assurer qu’elle examinera «avec attention» la décision du tribunal administratif de Lyon, sans donner d’indication quant à la décision qu’elle compte prendre. Va-t-elle reprendre la même décision d’autorisation de mise sur le marché en la motivant mieux qu’avant, ou non ? «Pour les autres produits Roundup, il n’y a pas d’effet immédiat bien sûr, mais je pense que le gouvernement et l’Anses doivent prendre position», estime Corinne Lepage, pour qui la décision, «historique, peut créer un précédent» à même d’accélérer l’interdiction du glyphosate en France, promise fin 2017 par Emmanuel Macron dans un délai de trois ans.

Mardi, les appels en ce sens se multipliaient déjà. «Le gouvernement doit tirer toutes les conséquences de cette décision en appliquant immédiatement l’article L253-7 du code rural qui lui permet de prendre une mesure d’interdiction de tous les produits à base de glyphosate dans l’intérêt de la santé publique», a demandé Delphine Batho, présidente de Génération écologie et ancienne ministre de l’Ecologie de François Hollande.

«Organiser la sortie» du glyphosate

«Alors que l’usage des pesticides à base de glyphosate est interdit pour les particuliers depuis le 1er janvier 2019 grâce à la loi proposée par le sénateur écologiste Joël Labbé, la décision du tribunal, prise en application du principe de précaution, permet d’envisager la fin de l’usage des pesticides à base de glyphosate pour les professionnels», estime pour sa part EE-LV. Le parti indique avoir introduit un recours similaire devant le tribunal administratif de Paris contre le Roundup Pro 360 et l’ensemble des produits à base de glyphosate : «L’affaire est pendante et nous avons toutes les raisons d’espérer que celui ci suive les conclusions du tribunal administratif de Lyon.» Et d'appeler le gouvernement à «organiser la sortie» du glyphosate en faisant bénéficier les agricultrices et agriculteurs d’un «plan d’urgence pour les accompagner dans la transition vers une agriculture moins dépendante des produits chimiques, plus rémunératrice, et plus intensive en emplois».

Même requête de la part les eurodéputés socialistes et radicaux. «L’Etat français, à défaut de pouvoir interdire le glyphosate lui-même – ce qui relève du ressort communautaire – peut invoquer le principe de précaution pour bannir sur son territoire l’usage de produits contenant cette substance active», estiment-ils mardi dans un communiqué de presse. Ils demandent au gouvernement français «la suspension de l’ensemble des produits à base de glyphosate, dans l’attente d’une étude impartiale, objective et indépendante». Référence à une étude commandée par plusieurs eurodéputés de gauche et écologistes et publiée mardi, selon laquelle le rapport de l’institut fédéral allemand d’évaluation des risques (BfR), réalisé à l’occasion du renouvellement de la licence du glyphosate en Europe, «recopie mot pour mot» des passages de la demande déposée par Monsanto, ce qui constitue «de toute évidence du plagiat» orienté.

Coralie Schaub