New York (awp/afp) - La cuisante déconvenue de Kraft Heinz, le fabricant des ketchup Heinz, célèbre pour être le champion des économies, montre les limites des cures d'austérité comme principal moyen de préserver la rentabilité d'une entreprise.
Le géant américain de l'agroalimentaire né de la fusion à 49 milliards de dollars en 2015 de Kraft Foods et de Heinz a connu un quatrième trimestre 2018 désastreux: il a annoncé jeudi soir une perte nette de 12,6 milliards de dollars, conduisant à un plongeon de 27,46% de l'action vendredi à Wall Street.
"C'est la preuve que la stratégie des réductions drastiques de coûts a échoué", conclut dans un article cinglant le Wall Street Journal, la bible des milieux d'affaires américains.
Contrôlé par les milliardaires helvético-brésilien Jorge Paulo Lemann, via le fonds d'investissement 3G, et américain Warren Buffett (25% du capital de la société), Kraft Heinz a mis en place une stratégie fondée sur la baisse des dépenses, le "zero budgeting".
Justifier toute dépense
Grosso modo, chaque dépense est remise en cause, un mot d'ordre qui pousse les responsables de budget à réduire drastiquement les frais.
Seul hic: cette philosophie peut conduire à l'élimination d'investissements nécessaires pour une croissance durable et peut être mise à mal par un retournement du marché. Les industries alimentaires font par exemple face depuis plusieurs mois à un renchérissement des coûts, tant logistiques que des ingrédients et matériaux.
La stratégie a fonctionné pendant deux ans, permettant à Kraft Heinz de dégager des marges bénéficiaires que lui enviaient ses concurrents mais la croissance des ventes à taux de change et périmètre constants a calé au premier trimestre 2017. S'en sont suivis six trimestres consécutifs de déclin, qui ont débouché jeudi sur une dépréciation d'actifs de 15,4 milliards sur deux de ses marques phares, Kraft et les produits carnés Oscar Mayer.
"Et si la stratégie de serrage de ceinture de 3G était allée trop loin et avait nui aux marques", s'interroge Kenneth Goldman, analyste chez JPMorgan. "Les réductions intensives de coûts vont, sur la durée, nuire aux marques", conclut l'expert.
"Tout ce qu'ils ont fait, c'est de baisser les coûts au moment où les compagnies concurrentes telles que Danone et Nestlé investissaient dans les produits qui correspondent plus à la demande du public actuellement", renchérit Gregori Volokhine chez Meeschaert.
La dépréciation d'actifs chez Kraft Heinz reflète un changement du goût des consommateurs, qui se soucient de plus en plus des questions de santé et se tournent plus souvent vers les produits frais au détriment des aliments transformés.
Kraft a bâti sa notoriété sur des produits comme les macaronis au fromage prêts à manger ou des sauces d'apéritif au cheddar, tandis qu'Oscar Mayer est connu pour sa charcuterie ou ses hot-dogs.
De nouvelles acquisitions
La plupart des rivaux ont senti le vent tourner et se sont adaptés: McDonald's, le leader mondial de la restauration rapide, a décidé par exemple depuis 2016 de ne plus servir de poulet élevé aux antibiotiques et propose des hamburgers avec de la viande de boeuf fraîche.
Pour Gregori Volokhine, "on a l'impression que (Kraft Heinz) a appliqué des recettes qui marchaient à un moment mais le problème n'était plus dans les dépenses mais dans des produits devenus obsolètes, ou plus du tout dans l'air du temps, comme (les desserts gélatineux) Jell-O".
Pour se rattraper, Kraft Heinz a mis en urgence 300 millions de dollars sur la table l'an dernier pour étoffer le marketing de ses marques, recruter des commerciaux, améliorer sa chaîne d'approvisionnement et moderniser ses recettes afin de coller à l'air du temps.
"Nous étions ouvertement optimistes sur des économies qui ne se sont pas matérialisées", a reconnu jeudi Bernardo Hees, le PDG, lors d'une conférence téléphonique avec les analystes, sans complètement renier la philosophie des économies.
"Nous restons persuadés que notre modèle marche et a un énorme potentiel", a-t-il assuré.
Kraft Heinz envisage de se débarrasser des marques défaillantes, un toilettage en vue d'une potentielle fusion avec un autre géant, synonyme de nouvelles économies, via des synergies, afin de doper les bénéfices.
L'entreprise avait approché Unilever en 2017 mais avait retiré son offre de 143 milliards de dollars suite aux réticences du groupe anglo-néerlandais.
afp/rp
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