Depuis trois jours, les oreilles de la filiale française d’Amazon n’en finissent pas de siffler. Et pour cause. Deux documents particulièrement critiques à l’égard du site de commerce en ligne ont été rendus publics à quarante-huit heures d’intervalle. Le tout à moins d’une semaine du «Black Friday», qui représente habituellement un pic de vente pour tous les commerçants présents sur Internet.

Le tir le plus nourri est sans conteste celui opéré par trois ONG : Attac, les Amis de la terre et Solidaires. Il a été révélé ce dimanche matin sous la forme d’un document de 60 pages. Amazon s’y fait tailler un costume sur mesure. Durant plusieurs mois, une équipe de huit personnes issues des trois associations a décortiqué tous les documents publics disponibles sur le géant du commerce aux 232,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018.

Organisation fiscale

Selon les calculs effectués par les trois organisations non gouvernementales, Amazon aurait réussi, en 2018, le tour de force de ne pas payer d’impôt sur les bénéfices, au niveau fédéral, alors qu’il a réalisé 11,2 milliards de dollars de profits. Une exemption rendue possible par le système qui permet de déduire les revenus versés aux dirigeants de l’entreprise non pas en salaire, mais sous forme d’actions (stock-options). En Europe, le site créé en 1994 par Jeff Bezos a choisi le Luxembourg comme plaque tournante de son organisation fiscale. Selon le mécanisme bien rodé des prix de transfert, Amazon délocalise une bonne partie de son chiffre d’affaires réalisé en France vers le Luxembourg où le taux d’imposition sur les bénéfices est bien plus bas. D’après les données compilées par Attac (1), le géant de la vente en ligne aurait réalisé, en 2017, 3,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’Hexagone mais n’aurait déclaré qu’1,6 milliard, soit une différence de… 57%. Parallèlement, la filiale Amazon logistics aurait perçu 5,6 millions d’euros au titre du CICE. Une situation un tantinet cocasse puisque ce dispositif existe pour booster la compétitivité des entreprises. Or ce n’est pas vraiment là le premier souci d’Amazon, numéro un mondial incontesté du commerce en ligne.

Le site de vente en ligne est également épinglé pour son bilan carbone. En 2019, il aurait émis 18,87 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent d’un Etat comme la Bolivie. L’avenir s’annoncerait encore plus préoccupant, dans la mesure où l’avion est un mode de transport en forte croissance pour Amazon. Il est certes plus rapide et permet de satisfaire les abonnés d’Amazon prime qui, en échange de leur cotisation mensuelle, peuvent espérer être livrés en vingt-quatre heures. Mais il est aussi plus polluant que l’acheminement par containers empilés sur des bateaux. Amazon dispose aujourd’hui de sa propre flotte de 50 avions-cargos et ambitionne de monter à 70 d’ici à 2021.

Pour un emploi créé, 2,2 supprimés

Fort de sa position de premier distributeur mondial, Amazon compte aujourd’hui 645 000 salariés sur la planète, dont 7 500 en France, répartis sur six sites logistiques et dix agences de livraison. La filiale française s’enorgueillit en outre de recruter près de 10 000 intérimaires pour faire face à la flambée de commandes de la fin de l’année. Pour autant, le bilan social de l’installation d’Amazon en France est semble-t-il loin d’être positif. Deux jours avant la parution du rapport d’Attac, une note réalisée par le député de Paris Mounir Mahjoubi a mis l’accent sur les destructions d’emplois liées à l’arrivée d’Amazon en France. Selon celui qui fut également secrétaire d’Etat à l’économie numérique, pour un emploi créé par le géant de Seattle, 2,2 seraient supprimés dans le commerce de proximité. Ainsi, en 2018, 20 239 emplois auraient disparu dans l’Hexagone du fait de la montée en puissance d’Amazon.

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Ces coups de boutoir, dont les auteurs ne se seraient pas concertés, interviennent à quelques jours du «Black Friday», cette semaine d’offres promotionnelles destinées à lancer les achats des fêtes de fin d’année. Or un mouvement grandissant est en train de se constituer afin de boycotter cette opération. En outre, l’Assemblée nationale commence à examiner, ces prochains jours, la loi «économie circulaire». Or, une des dispositions de ce texte prévoit de réglementer la destruction des produits invendus ou retournés aux plateformes de vente en ligne. Une pratique justement reprochée à Amazon après une enquête du magazine télévisé Capital.

Enfin, dans les semaines qui viennent, la firme de Jeff Bezos devrait ouvrir deux nouveaux sites logistiques à Senlis (Oise) et Metz (Moselle). Il est probable qu’à cette occasion, Attac appelle à des actions de désobéissance civile. Une manière, selon son porte-parole Raphaël Pradeau, de se démarquer du boycott du «Black Friday» auquel l’organisation ne s’associe pas : «21 millions de Français ont consommé chez Amazon l’an dernier. Il ne s’agit pas de les culpabiliser. Nous souhaitons surtout mettre la pression sur le gouvernement.»

(1) Dans un communiqué, Amazon «réfute les informations trompeuses du rapport Attac» qui, selon l’entreprise, «comporte de très nombreuses erreurs factuelles et spéculations sans fondement».

Franck Bouaziz