Search

Mort de Jacques Calvet, capitaine d'industrie et ex-PDG de Peugeot-Citroën - Le Monde

Jacques Calvet, alors PDG de Peugeot-Citroën, en janvier 1991.
Jacques Calvet, alors PDG de Peugeot-Citroën, en janvier 1991. MICHEL CLEMENT / AFP

Jacques Calvet, mort jeudi 9 avril à l’âge de 88 ans à Dieppe, était une grande voix. Au propre comme au figuré. Une voix chuintante, reconnaissable entre toutes lorsqu’il défendait ses « ouatures ». Une voix tonnante dont il sut jouer pour faire entendre celle du patron du constructeur automobile PSA Peugeot Citroën qu’il fut quinze ans durant.

De 1982 à 1997, l’homme tracera sa route d’estoc et de taille, étrillant et rendant coup pour coup aux constructeurs japonais, à l’Europe, à Renault… Et aux socialistes. Un « grand patron », comme on disait naguère. A l’ancienne. Grand jusqu’à la grandiloquence parfois. Jusqu’à l’excellence souvent. Paternaliste et visionnaire. « Sûr de lui et dominateur », pour reprendre une expression du général de Gaulle, auquel il ne dédaignait pas d’être comparé.

Car tout était politique pour ce grand commis de l’Etat devenu capitaine d’industrie. En 1994, à trois ans de sa retraite, devant quelques journalistes dans les coulisses de Roland-Garros (dont Peugeot était un sponsor), il évoqua comme en passant la possibilité de briguer la présidence de la République en 1995. Succéder à Francois Mitterrand… Une fin de carrière rêvée pour cet émule de Giscard. En 1992, ne s’était­-il pas préparé au duel, briguant la place de grand contradicteur pour le fameux débat télévisé à la veille du référendum sur le traité de Maastricht ? L’Elysée mettra son veto, préférant le « vrai » politique Philippe Séguin.

Dans les pas de Valéry Giscard d’Estaing

Né le 19 septembre 1931 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), ce fils d’un prof de khâgne choisit la fac de droit et Sciences Po Paris. A l’ENA, il croise Edouard Balladur (promotion France-­Afrique, 1957). Entré « dans la carrière » à la Cour des comptes, il y sympathise avec un autre « grand Jacques » : Chirac. Tandis que le futur président fait ses premières armes aux côtés de Georges Pompidou, Calvet, lui, mettra ses pas dans ceux de Valéry Giscard d’Estaing, dont il partageait, outre la haute taille, le fameux chuintement et la grandeur parfois hautaine…

Incontournable et intraitable directeur de cabinet de l’inamovible ministre des finances de la France gaullo-­pompidolienne – il concoctera pour VGE une douzaine de budgets pour la République française, de 1959 à 1974 –, Jacques Calvet semble être sur une irrésistible rampe de lancement. Pourtant, à la surprise générale, il n’est pas nommé ministre par son mentor élu à l’Elysée en 1974. Il aurait refusé, selon certains ; Giscard ne le lui aurait pas proposé, assurent d’autres. Il est vrai que « l’impossible Monsieur Calvet », comme le baptisera L’Express, a déjà bâti son personnage, tout de grandeur et d’autorité. Personnage qu’il mettra un constant et réel talent à entretenir tout au long de sa carrière patronale.

Bombardé en 1975 à la présidence de la BNP, première banque française – « Il est bon pour la BNP d’avoir l’Etat pour actionnaire », disait en ce temps­-là ce colbertiste assumé qui se révélera dix ans plus tard l’imprécateur le plus farouche de l’interventionnisme public –, il en sera évincé en 1982 par François Mitterrand, qui a besoin d’hommes à sa main pour mener les nationalisations promises. Le président socialiste deviendra dès lors l’une des têtes de Turc préférées de Jacques Calvet, ­­avec son homologue de Renault Raymond Lévy, les fonctionnaires de Bruxelles, les concurrents japonais…

PDG-général en chef

La famille Peugeot récupère cet « énergumène » – l’un de ces mots gourmands dont il aimait à émailler ses propos –, qu’elle charge de sortir de l’ornière le groupe automobile mal remis des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. S’emparant de toutes les commandes, Calvet ne les lâchera plus jusqu’au 30 septembre 1997, date à laquelle il quittera les feux de la scène industrielle et politique. Il peut se targuer d’avoir réussi à faire marcher d’un même pas le Lion (Peugeot) et les Chevrons (Citroën), « l’infanterie de marine et la cavalerie légère », disait le PDG-­général ­en ­chef.

L’ancien grand commis a découvert non sans plaisir les travaux et les jours – et surtout le pouvoir – d’un grand patron, du privé cette fois. Une autre façon de faire de la politique. Le sauvetage de PSA restera le grand œuvre de sa vie. Un « choc de compétitivité » avant l’heure… Sous sa présidence, le chiffre d’affaires du groupe va doubler, les fonds propres seront multipliés par dix, la capitalisation boursière par vingt… et 50 000 emplois supprimés. L’usine Citroën d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), qui finira par fermer en 2014, était déjà sur la sellette. Ce catholique fervent, à la barre d’un groupe protestant emblématique du capitalisme cher à Max Weber, dira souvent ses « interrogations personnelles terrifiantes » lorsqu’il décide de licencier « [ses] gaillards ». Façon de briser l’armure sans pour autant déposer les armes. « Je crois à la convergence de l’économique et du social », affirmait-­il sans vraiment convaincre.

En 1989, alors qu’une grève dure paralyse le groupe automobile, Le Canard enchaîné dévoile la déclaration de revenus du PDG, en forte augmentation, alors même qu’il refuse de lâcher quelques pour cents à ses ouvriers. Une révélation qui confirme, au passage, la pingrerie des Peugeot à l’égard de celui qui fit pourtant exploser leur fortune… « Je gagne en un an ce que le PDG de General Motors gagne en trois jours », dira-­t-­il deux ans plus tard sur le plateau de « L’Heure de vérité », la grande émission politique d’Antenne 2. Le patron y battra tous les records d’audience jusqu’ici détenus par des politiques.

Addict à « la drogue de la décision »

Une popularité qui agace ladite famille, pas mécontente, en 1997, de se débarrasser du tonitruant, omniprésent et omnipotent dirigeant. Les Peugeot lui refuseront le siège au conseil de surveillance, jusque-­là offert de tradition à tout PDG partant en retraite… A 66 ans révolus, celui qui se dit volontiers addict à « la drogue de la décision » ne se résignera à lâcher le volant qu’après avoir tenté vaille que vaille de jouer les prolongations. Le PDG a espéré jusqu’au bout atteindre son ultime objectif, son cheval de bataille : faire de « sa » firme le premier constructeur automobile européen. Un objectif assigné à « ses » troupes dès 1992. Las, le Poulidor français, pourtant champion mondial du petit diesel, restera dans la roue du maillot jaune Volkswagen.

Sa retraite, Jacques Calvet, après une tentative avortée d’entrée en politique, aux élections législatives puis aux européennes, ne la passera pas à tailler ses rosiers dans sa maison de Veulettes­-sur-­Mer (Seine­-Maritime). Dès 1997, il cumule les sièges d’administrateur, histoire de continuer à faire entendre sa voix inimitable, aux Galeries Lafayette, à la Société générale, au groupe André, à la Générale des eaux – le futur Vivendi, où Calvet sera l’un des opposants les plus farouches au controversé Jean­-Marie Messier.

Omniprésente à ses côtés – jusques ­et y compris avenue de la Grande-­Armée (siège historique de Peugeot à Paris) –, son épouse adorée Françoise fut de tout temps sa muse. Elle avait fixé un nouvel objectif à son grand Jacques : « Centenaires ensemble. » N’est-ce pas elle qui lui aurait sauvé la vie face à Action directe ? L’organisation terroriste avait inscrit sur sa liste de patrons à abattre celui de PSA, après l’ingénieur général Audran (DGA) et Georges Besse (Renault), assassinés en 1985 et 1986. Calvet était numéro 3 par ordre alphabétique… La légende familiale raconte que Françoise Calvet éconduisit avec une naïveté feinte et un sang-­froid sans pareil l’étrange VRP venu sonner à la porte de leur domicile parisien, en lui expliquant d’un ton cordial qu’il s’était trompé d’adresse…

De la carrière politique qu’il n’aura pas faite, l’homme n’avouait qu’un regret : ne pas avoir été « simultanément ministre des finances et des affaires européennes, pour sauvegarder les intérêts légitimes de la France et construire l’Europe au rythme du possible ». Un parcours que résume sa dédicace dans le livre d’or de « L’Heure de vérité », empruntée à Montesquieu : « C’est un pesant fardeau que celui de la vérité lorsqu’il faut la porter jusqu’aux princes. »

Dates

19 septembre 1931 Naissance à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine)

1959-1974 Occupe différents postes au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing

1975 PDG de la BNP

1983-1997 Dirige PSA Peugeot Citroën

2020 Mort à Dieppe

Let's block ads! (Why?)

https://news.google.com/__i/rss/rd/articles/CBMifmh0dHBzOi8vd3d3LmxlbW9uZGUuZnIvZGlzcGFyaXRpb25zL2FydGljbGUvMjAyMC8wNC8xMC9qYWNxdWVzLWNhbHZldC1hbmNpZW4tcGRnLWRlLXBldWdlb3QtY2l0cm9lbi1lc3QtbW9ydF82MDM2MjIzXzMzODIuaHRtbNIBAA?oc=5

Bagikan Berita Ini

0 Response to "Mort de Jacques Calvet, capitaine d'industrie et ex-PDG de Peugeot-Citroën - Le Monde"

Post a Comment

Powered by Blogger.