Depuis le début de la crise, des milliers de pilotes ont perdu leur emploi à travers le monde. Sans horizon, certains optent pour une reconversion. Les compagnies aériennes, elles, s’adaptent pour que les pilotes encore en poste conservent leurs compétences malgré une chute du trafic sans précédent.
La pire crise de son histoire. Foudroyé par la pandémie de Covid-19 et l’interruption du trafic, le secteur du transport aérien a essuyé 118 milliards de dollars de pertes en 2020. Une débâcle sans précédent qui s’est rapidement matérialisée par des restructurations en cascade au sein des compagnies, mêlant licenciements et plans de départs volontaires.
Partout dans le monde, des milliers de pilotes de ligne se sont retrouvés sur le carreau sans réelle perspective d’avenir à court terme, alors que la plupart des campagnes de recrutement ont été gelées pour une durée indéterminée et qu’un retour de l’activité à son niveau d’avant crise n’est pas espéré avant 2024, au mieux. "Depuis le début de la crise, il y a à peu près 400 pilotes qui ont perdu ou qui risquent de perdre leur emploi en France et 18.000 en Europe", estime Olivier Rigazio, membre associé du bureau exécutif du syndicat des pilotes SNPL ALPA.
Pôle Emploi ne dispose pas de chiffres spécifiques pour les pilotes de ligne, ceux-ci étant inclus dans une catégorie de demandeurs d'emploi beaucoup plus large intitulée "pilotage et navigation technique aérienne". Si elle regroupe plusieurs métiers de l'aérien (radariste, moniteur de simulateur, pilote d'hélicoptère, électronicien de bord navigant de l'armée...), elle permet tout de même de mesurer l'impact de la crise sur le secteur. Relativement stable depuis dix ans, le nombre de demandeurs d'emploi qui la composent est ainsi passé de 1520 en décembre 2019 à 2390 un an plus tard, soit une progression de 57%.
"Ils partiraient n'importe où pour presque rien"
Dans un domaine où l’"expérience récente" est primordiale, de nombreux pilotes sont aujourd’hui prêts à accepter un poste à l’autre bout du monde, quitte à revoir considérablement à la baisse leurs exigences salariales. D’autant que certains d'entre eux qui exerçaient pour une compagnie basée à l’étranger n’ont pas toujours droit aux allocations chômage.
"Il y en a qui vont en Asie. La particularité du pilote de ligne, c’est d’être très mobile. Donc il ira là où il y a du travail parce que, pour garder une valeur marchande, il est obligé de travailler. Même pour des petits salaires voire, des fois, pour pas de salaire du tout, en étant juste défrayés", assure Olivier Rigazio.
"Ils partiraient n’importe où pour presque rien. S’ils pouvaient y aller, ils iraient!", confirme Geoffroy Bouvet, président de l’Association des professionnels navigants de l’Aviation (APNA). Mais la crise étant mondiale, le phénomène reste autant limité que les opportunités sont rares. Seuls quelques pays d’Asie ont pour l’heure vu leur trafic intérieur rebondir. Parmi eux, la Chine, qui est toutefois autosuffisante et n’a donc pour l’instant pas besoin de faire appel à des pilotes étrangers.
Reconversions
Victime collatérale de la crise sanitaire, la profession qui faisait tant rêver a perdu de son prestige en seulement quelques mois. A tel point que le manque de débouchés favorise désormais les reconversions. En Suisse, la compagnie nationale Swiss et le principal syndicat des pilotes Aeropers encouragent par exemple les pilotes d'avions à devenir conducteurs de trains alors que les Chemins de fer fédéraux suisses (CFF) et les Chemins de fer rhétiques (RhB) manquent de personnel.
Dans l’Hexagone, si les personnels navigants d’Air France ne sont pas encore invités à rejoindre la SNCF, ils sont de plus en plus nombreux à changer de métier: "On a surtout observé cela chez les jeunes qui sont difficilement employables parce qu’ils ont peu d’expérience. S’ils ont eu une formation à côté, ils retournent dans leur fonction précédente. Certains sont redevenus ingénieurs, d’autres coachs sportifs", rapporte Olivier Rigazio.
De son côté, l’APNA aide les jeunes pilotes à suivre des formations complémentaires pour trouver un emploi dans les fonctions supports des compagnies ou dans un secteur proche de l’aérien (ingénierie, mécanique…). "Un pilote est d’abord un gestionnaire de risque, et la gestion de risque peut s’exercer dans n’importe quel métier. (…) Toutes les compétences qui sont acquises dans notre secteur s’utilisent dans beaucoup d’autres secteurs", assure Geoffroy Bouvet.
Le SNPL préconise lui aussi aux jeunes pilotes de profiter de la crise pour élargir leur champ de compétences à travers de nouvelles qualifications. "C’est très difficile d’imaginer de faire autre chose quand on arrive si près du but, mais pour leur bien et leur futur, c’est utile de se diversifier", conseille Olivier Rigazio.
Maintenir les compétences
Au regard de la violence de la crise sanitaire sur le transport aérien, les compagnies ont été contraintes de réviser à la baisse leurs programmes de vol en 2020 et de recourir lorsqu’elles le pouvaient au dispositif d’activité partielle. Si bien que les pilotes qui ont pu conserver leur emploi ont vu leur temps passé dans les airs nettement se réduire.
Dans ce contexte exceptionnel, les compagnies ont dû s’organiser afin que ces derniers ne perdent pas la main et continuent de respecter les exigences du métier. Pour obtenir le renouvellement de leur licence, les pilotes doivent en effet passer une visite médicale annuelle et assister à quatre séances de simulateur au cours desquelles leurs compétences et connaissances des procédures d’urgence sont évaluées. Ils doivent de surcroît justifier d’une expérience récente, à savoir au moins trois décollages et trois atterrissages sur 90 jours, en avion ou simulateur, pour pouvoir être planifiés sur des vols.
Si des dérogations ont été accordées par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) au plus fort de la crise en mars 2020, une organisation spécifique a été rendue nécessaire chez Air France. Lors du premier confinement, la compagnie "a mis en place un important dispositif de réintégration des cockpits afin de garantir le plus haut niveau de sécurité à bord des vols" et de maintenir "au plus haut niveau les compétences de (ses) pilotes", explique-t-elle, évoquant "des entrainements dans l’un des 16 simulateurs d’Air France pour tous les pilotes qui n’avaient pas volé récemment", "le suivi de modules de formation spécifiques" et un "accompagnement personnel, encadré par l’un des 470 instructeurs de la compagnie".
Pour davantage de sécurité, Air France a également instauré en mai 2020 des "séances Covid" en rajoutant une séance de 2h30 à 3h30 de simulateur en complément des quatre séances annuelles classiques, et en passant de trois à cinq le nombre d’atterrissages et décollages exigés sur une période de 90 jours. Avec un programme de vols assuré à 39% seulement en février 2021, la compagnie assure que tous ses pilotes parviennent désormais à "voler régulièrement" et que "leur activité est réduite dans des proportions un peu plus faibles que son programme de vols".
Payer pour voler
La situation est avant tout délicate pour les jeunes pilotes sans emploi. Dans la période actuelle, difficile pour eux d’acquérir l’expérience si valorisée dans la profession et de remplir les conditions nécessaires au renouvellement de leur licence. "Beaucoup de compagnies exigent 500 heures de vols. Or, quand on sort de l’école, on a juste sa licence, et licence ne veut pas dire employabilité", rappelle Geoffroy Bouvet.
Pour les soutenir, le SNPL a mis en place "en partenariat avec une école, des formations à des tarifs préférentiels afin que ce ne soit pas trop cher", souligne en outre Olivier Rigazio. "Et on trouve au sein de notre population des volontaires instructeurs qui veulent bien faire des séances de simulateurs gratuitement pour eux", ajoute-t-il.
Ce manque d’expérience pose moins de problèmes en période de croissance continue du trafic aérien, lorsque le marché de l’emploi est plus tendu. Mais avec la crise sanitaire, les chances pour un jeune pilote d’être recruté sont infimes. Alors, certains préparent l’avenir et tentent de mettre toutes les chances de leurs côtés en recourant au système du "pay to fly". Cette pratique dont usent surtout des compagnies asiatiques, mais également Air Baltic ou Tunisair, consiste à faire payer un pilote pour lui permettre de voler 500 heures sur leurs appareils. Le tout pour un tarif moyen de 30.000 euros, sans qu’il y ait pour autant de promesse d’embauche.
Le phénomène n’est pas nouveau mais semble prendre de l’ampleur ces derniers mois: "A chaque crise, il y a de nouvelles offres parce que les jeunes pilotes ont besoin de voler pour avoir de l’expérience", observe Olivier Rigazio, dénonçant "un système où vous payez pour travailler". "Pour la formation du pilote et pour son portefeuille, ce n’est pas bon. On combat ce système, mais ça continuera d’exister", déplore également Geoffroy Bouvet.
Maigres perspectives
Si l’Ecole nationale de l’aviation civile (Enac) ainsi que les écoles privées n’ont pas interrompu la formation des élèves pendant la crise sanitaire, ces derniers risquent d’arriver sur un marché en lambeaux. Chez Air France, les embauches ont été gelées tandis que sa filière "Cadets" a été suspendue. Et quand les recrutements s’ouvriront de nouveau à la faveur d’une reprise du trafic aérien, les pilotes tout juste sortis d’écoles risquent de ne pas être prioritaires. Par souci d’expérience là-encore.
"En général, quand il y a une reprise, on commence par recruter des commandants de bord instructeurs, (…) ensuite on cherche des gens avec de l’expérience et malheureusement, en dernier, ceux avec peu d’expérience", indique Olivier Rigazio. "On privilégie toujours le pilote expérimenté", abonde Geoffroy Bouvet, avant de tempérer : "Sauf si le candidat a suivi un cursus de formation validé par la compagnie recruteuse".
Entre les pilotes ayant reçu une promesse d’embauche qui n’a pas pu être honorée, ceux de sa filiale Hop! auxquels on a promis un reclassement et ses Cadets, Air France a déjà "une liste d’attente d’environ 500 pilotes", estime le président de l’APNA. Autant dire que ceux qui ne rentrent dans aucun des trois cadres devront sans doute chercher ailleurs.
C’est pourquoi "ceux qui sortent des écoles aujourd’hui doivent absolument se tourner vers des formations complémentaires, des plans B (…)", martèle Geoffroy Bouvet. "Il faut envisager temporairement l’avenir autrement qu’en étant pilote, tout en essayant de rester dans un métier qui sera valorisant pour sa future sélection de pilote en compagnie", préconise-t-il.https://news.google.com/__i/rss/rd/articles/CBMihgFodHRwczovL3d3dy5iZm10di5jb20vZWNvbm9taWUvZW1wbG9pL3BpbG90ZS1kZS1saWduZS11bmUtcHJvZmVzc2lvbi1wcmVzdGlnaWV1c2UtZWJyYW5sZWUtcGFyLWxhLWNyaXNlLXNhbml0YWlyZV9BTi0yMDIxMDMwNjAxNzMuaHRtbNIBigFodHRwczovL3d3dy5iZm10di5jb20vYW1wL2Vjb25vbWllL2VtcGxvaS9waWxvdGUtZGUtbGlnbmUtdW5lLXByb2Zlc3Npb24tcHJlc3RpZ2lldXNlLWVicmFubGVlLXBhci1sYS1jcmlzZS1zYW5pdGFpcmVfQU4tMjAyMTAzMDYwMTczLmh0bWw?oc=5
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