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La SNCF est-elle vraiment menacée par l'ouverture à la concurrence ? - latribune.fr

C'est désormais inéluctable. Ce samedi 18 décembre, il en sera fini de l'exclusivité de la SNCF sur le transport domestique de passagers. Le premier train de Trenitalia s'élancera à 7h26 de la gare de Lyon pour arriver à la Part-Dieu moins de deux heures plus tard. Il continuera ensuite son chemin jusqu'à Milan, qu'il atteindra à 14h07 après avoir desservi Chambéry, Modane et Turin. C'est le premier pas d'une libéralisation du marché qui doit s'accélérer dans les prochaines années. L'Agence de régulation des transports (ART) a déjà reçu pas moins de 38 notifications de la part de cinq opérateurs alternatifs : Trenitalia France, Renfe, Flixtrain, Le Train et Railcoop. Préparée depuis plusieurs années, reportée à cause de la crise sanitaire, cette ouverture à la concurrence se concrétise donc et marque théoriquement la fin du monopole de la SNCF. Dans les faits, il en faudra plus pour venir concurrencer le mastodonte ferroviaire français.

Un marché largement couvert par la SNCF

Pour réussir à s'imposer face à la SNCF, la concurrence se doit d'apporter une différence sur le produit, comme le note François Guénard, consultant chez Roland Berger. Une tâche qui n'est pas aisée, la SNCF s'étant attelée à bien couvrir le marché avec Inoui sur le segment « high end » et du low cost avec Ouigo.

Pour y faire face, Trenitalia arrive avec pas moins de quatre classes de confort à bord : Standard, Business, Executive et Sala Meeting, un espace de travail privé pouvant accueillir cinq personnes. Si tous les segments de marché semblent ainsi couverts, l'accent est notamment mis sur le haut de gamme, où l'opérateur public italien est très bien positionné. Pour François Guénard, il a mis en place une véritable réflexion sur la manière de capter des voyageurs d'affaires, notamment grâce à son expérience sur la ligne Rome-Milan - qui s'apparente au Paris-Lyon avec un fort trafic business et deux trajets de l'ordre de deux heures. Trenitalia a pu s'y frotter à la concurrence de l'avion mais aussi de l'opérateur ferroviaire Italo NTV, qui représente aujourd'hui environ 40 % de l'offre ferroviaire sur cette ligne.

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Une fragilité sur le haut de gamme

Cette expérience constitue un avantage face à la SNCF, même si le marché français peut s'avérer différent de l'Italie. La SNCF a d'ailleurs semblé prise quelque peu de court sur ce segment haut de gamme : alors qu'il avait anticipé la monopole couverture du bas du marché en lançant Ouigo sur le Paris-Lyon dès 2020, il n'a lancé officiellement la riposte sur le premium qu'en octobre dernier avec la Business première. Celle-ci offre une prestation de service améliorée mais un aménagement cabine identique à la première classique (rangée de trois sièges en 2 + 1), qui reste en-deçà de ce que peut offrir Trenitalia en classe Executive (deux sièges en 1 + 1).

Pour François Guénard, il faudra donc attendre encore un peu avant de voir la SNCF apporter une réponse véritablement structurelle sur ce segment, ce qui laisse de la place à la concurrence. Il estime d'ailleurs que c'est réflexion que tout opérateur ferroviaire doit avoir pour la période post-Covid avec la recomposition du voyage d'affaires, notamment pour aller chercher des parts de marché face à l'avion. Pour la SNCF, cette réflexion passe indubitablement par l'intégration du TGV-M à partir de 2024. « Le TGV-M sera l'arme principale par rapport à l'arrivée de la concurrence, avec un design et des services que n'auront pas les autres », déclarait d'ailleurs cet automne Alain Krakovitch, le directeur de Voyages SNCF.

Un possible talon d'Achille entre Inoui et le Ouigo

Si le très haut de gamme reste donc vulnérable encore quelques années, il existe un autre segment potentiellement attaquable par la concurrence selon François Guénard. Il s'agit du marché situé entre les offres Ouigo et Inoui, très sensible au prix mais voulant tout de même disposer d'un niveau de confort garanti. La SNCF tente de combler cet écart avec les services auxiliaires sur Ouigo, mais il reste un peu de place selon le consultant.

Le constat est un peu différent pour Christopher Michau, directeur des relations opérateurs pour la société de billetterie ferroviaire britannique Trainline : « Aujourd'hui, quand on voit le politique tarifaire et la qualité de l'offre de services de Trenitalia, il semble qu'il soit plus en compétition économique avec Inoui qu'avec Ouigo ». Pour autant, il affirme que l'opérateur italien - dont les nouveaux trajets sont en cours d'intégration sur la plateforme de Trainline - n'abandonne pas le segment loisir, en particulier à travers son positionnement vers les familles avec des trajets gratuits sur les enfants.

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La compétition sur les prix commence

Dans tous les cas, cette offre de services devra se combiner avec une politique de prix attractifs pour pouvoir être compétitive sur le marché. A ce jeu-là, comme l'explique Christopher Michau, Trenitalia aura du mal à venir chercher Ouigo dont les prix d'appel sont à 16 euros sur le Paris-Lyon (sans parler des 10 euros du Ouigo vitesse classique). Il précise, en revanche, que l'opérateur italien est venu se positionner « un cran en dessous » d'Inoui avec des tarifs d'appels environ deux euros moins chers, allant de 23 euros sur la classe confort Standard à 139 euros sur l'Executive. En face, SNCF va de 25 à 142 euros. De son côté, François Guénard rappelle qu'il faudra comparer les prix dans la durée et notamment les variations en fonction du yield.

Fort de son expérience sur l'Italie, Christopher Michau tente tout de même de se projeter à plus long terme. Il estime qu'il ne s'agit pour l'instant que d'un début et que la montée en puissance de la concurrence va contribuer à faire baisser les prix : « Nous avons pu voir en Italie, où la concurrence est beaucoup plus exacerbée sur la haute vitesse qu'en France, avec Trenitalia et Italo NTV, que les prix ont baissé de l'ordre de 40 % en cinq ans sur la ligne Rome-Milan ».

Trouver les bons sillons

L'évolution des prix dépendra donc aussi du nombre de fréquences mises en ligne par les concurrents de la SNCF. Avec 24 allers-retours par jour sur le Paris-Lyon, dont deux Ouigo, l'opérateur français n'a pas hésité à quadriller sa ligne la plus rentable. Pour l'instant, Trenitalia n'a que deux allers-retours à y opposer. Il a tout de même réussi à se positionner sur la pointe du matin, avec un départ à 7h26 de Paris et une arrivée à Lyon à 9h20. Le deuxième départ est moins intéressant avec un départ à 15h18, mais il est imposé par le fait que le train arrive de Milan.

La situation évoluera l'an prochain avec l'ajout de trois rotations supplémentaires qui seront concentrées sur le Paris-Lyon (sans aller jusqu'en Italie). L'opérateur public italien a d'ailleurs déjà sécurisé les sillons auprès de SNCF Réseau.

Pour aller au-delà, la question de la capacité du réseau se posera. SNCF Réseau y travaille en tout cas, et l'installation d'un nouveau système de signalisation ERTMS en 2025 devrait offrir un supplément de capacité. Cela devrait notamment permettre d'accueillir la Renfe, qui projette d'arriver à cet horizon sur la ligne phare du réseau français.

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SNCF Réseau joue le jeu

Après quelques difficultés, l'attribution de sillons par SNCF Réseau aux transporteurs alternatifs semblent en tout cas s'être normalisée. C'est du moins ce que rapporte Luc Lallemand, PDG de SNCF Réseau, mais aussi Nicolas Debaisieux, directeur général de Railcoop. Dans le cadre d'une rencontre organisée par l'Association des journalistes des transports et des mobilités (AJTM) le 17 novembre, il a ainsi rapporté que SNCF Réseau avait fait évoluer le Document de référence du réseau pour permettre aux nouveaux opérateurs de se positionner plus facilement pour l'attribution de sillons, ce qui avait considérablement amélioré la situation.Après avoir dû reporter le lancement de sa ligne Bordeaux-Lyon, prévue initialement en juin 2022, Railcoop semble désormais en mesure de lancer l'exploitation en décembre prochain.

SNCF Réseau affirme également avoir tout mis en place pour faciliter l'intégration des nouveaux opérateurs dans ses infrastructures, avec une offre de services importante. Comme le note François Guénard, cette aide peut s'avérer nécessaire lorsqu'on ne parle pas « SCNF première langue ».

Petit coup de pouce, la tarification 2021-2023 de SNCF Réseau prévoit une incitation au démarrage avec une réduction de péages pour les nouveaux entrants. Une mesure dont va bénéficier Trenitalia, mais aussi Railcoop l'an prochain, ou encore Le Train qui veut débuter sur le Nantes-Bordeaux en 2023. Par la suite, il faudra voir si le dispositif est reconduit dans la prochaine tarification.

La maintenance reste un frein

Si SNCF Réseau semble donc avoir fait le nécessaire - sous l'œil attentif de l'ART - la maintenance pourrait également constituer un frein à l'arrivée de la concurrence en France, notamment pour les opérateurs étrangers. Or c'est un facteur majeur de la qualité de l'offre et de la régularité.

La maintenance légère ne devrait pas poser de problème, la SNCF ayant ouvert ces technicentres pour régler les problèmes légers.La maintenance un peu plus lourde, effectuée tous les deux à trois jours, va obliger Trenitalia à ramener ses trains en Italie régulièrement. S'il veut monter en fréquence, notamment pour la desserte du Paris-Lyon uniquement, l'opérateur italien devra probablement trouver des solutions de maintenance en France. Le fait d'exploiter des trains Bombardier dans un pays qui ne connaît quasiment qu'Alstom jusqu'ici pourrait être une complication supplémentaire.

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Une augmentation du gâteau

La plupart des acteurs s'accordent à dire que la concurrence sera bénéfique pour le train, et entraînera une augmentation de la part modale du ferroviaire. C'est bien sûr le discours du groupe SNCF, qui s'attèle à montrer que la véritable compétition se déroule face à l'avion et face à la route. Luc Lallemand déclarait ainsi il y a quelques jours : « Pour l'instant, en France, seulement 7,4 % des voyages sont effectués en train. Si on prend l'exemple de l'Italie, c'est 20% de trafic en plus chaque année entre 2012 et 2018 avec l'ouverture du marché. Chez nos amis britanniques, le trafic régional a quasiment doublé, avec plus de 97 % entre 1998 et 2016. Nous voyons que ce sont vraiment des progressions spectaculaires, tant en volume qu'en chiffre d'affaires. Nos espoirs et nos attentes, et nous nous y préparons depuis longtemps, c'est que ça se passe de la même façon sur le sol français. »

Christopher Michau affine le parallèle avec l'Italie en mettant l'accent sur la concurrence entre Trenitalia et Italo NTV sur le Rome-Milan. Il explique ainsi qu'en cinq ans, le nombre de voyageurs a augmenté de 50 % en cinq ans. La part modale du train est ainsi passé de 38 à 75 %, tandis que la route a été divisée par deux à 8%, et que l'aérien a perdu d'une vingtaine de pourcents pour tomber à 17 %.

Si ce schéma se reproduit en France - notamment dans un climat de défiance face à l'aérien - la SNCF pourrait donc profiter de l'engouement sur le train s'il arrive à contenir la concurrence à un niveau raisonnable.

Ce constat est partagé par François Guénard, même s'il rappelle que cela concernera essentiellement certaines lignes à fort potentiel. Avec une concurrence en accès libre, sans allotissement comme c'est le cas en Espagne par exemple, les opérateurs étrangers comme Trenitalia et l'espagnol Renfe vont se positionner uniquement sur des liaisons rentables. Une situation qui diffère largement de celle de la SNCF : opérateur historique, elle opère un certain nombre de lignes structurellement déficitaires dont elle ne pourra pas se désengager sauf à créer un séisme politique.

Gérer le régional en parallèle

Dans le même temps, la SNCF va aussi devoir gérer l'ouverture à la concurrence des lignes régionales. Contrairement aux grandes lignes en accès libre, elle doit là affronter les autres opérateurs au travers d'appels d'offres avec plusieurs lots en jeu. Le premier round s'est joué en région Provence-Alpes-Côte d'Azur en octobre où l'opérateur national a perdu pour la première fois une ligne de TER : le lot Marseille-Nice au profit de Transdev, soit un contrat de concession d'une durée 10 ans, à partir de 2025, estimé à 870 millions d'euros.

La SNCF doit désormais se préparer sur quatre autres régions de France : le Grand-Est, les Hauts-de-France, l'Ile-de-France et les Pays-de-la-Loire ont ainsi annoncé leur volonté d'expérimenter l'ouverture à la concurrence de leur TER.

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