
Les réservations non-honorées persistent et poussent toujours plus de restaurateurs vers l’empreinte bancaire. Les instituts de beauté tentent de leur emboîter le pas.
«Il y a deux types de poseurs de lapins: ceux qui ont réservé leur table longtemps à l’avance et ceux qui réservent quelques heures avant. Tous sévissent davantage l’été que l’hiver et frappent surtout le week-end». Gérant de trois établissements bistronomiques dans le 9e arrondissement, Arthur Lecomte a appris à jongler avec le «no-show», ou, dans la langue de Molière, les réservations non-honorées de ses clients. «Ça a toujours existé mais les confinements ont eu un vrai effet d’accélérateur», explique celui qui tient, depuis près de dix ans, un restaurant ironiquement baptisé «Bien Élevé». Bien élevés, ses clients ne le sont pas toujours: chaque semaine, l’indélicatesse de certains d’entre eux lui fait perdre plus d’une vingtaine de couverts. À l’arrivée, le manque à gagner hebdomadaire avoisine les 1000 euros par établissement. «Ce n’est pas négligeable pour notre chiffre d’affaires global, insiste le gérant. Mais tout le monde est touché, y compris les étoilés...»
Mis en lumière l’an passé, le «no-show» est devenu l’un des premiers sujets de préoccupation parmi les restaurateurs. Nombreux sont ceux qui ont interpellé leur clientèle sur les réseaux sociaux pour tenter de la raisonner. Une tribune intitulée «No more no-show» a même fait son apparition sur le site du Fooding en juin 2022. Une manière de rappeler qu’outre le préjudice financier, les réservations manquées impactent toute la vie d’un restaurant: produits gâchés, cuisine perturbée, organisation ébranlée... «C’est dur à accepter surtout quand on considère les épreuves que traversent les restaurants depuis la fin du Covid», s’agace Mattia Taiuti, co-fondateur de Casa Bini, table italienne du quartier de l’Odéon à Paris.
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«C’était devenu intenable»
Avec l’inflation du prix des matières premières et les pénuries de main-d'œuvre, la tolérance des restaurateurs s’est émoussé. Ceux-ci ont donc multiplié les initiatives pour lutter contre ce phénomène. On ne compte ainsi plus les établissements qui ont franchi le pas de la réservation par empreinte bancaire. «Je m’y étais toujours refusé car je ne trouvais pas cela accueillant pour le client. Mais c’était devenu intenable, dans la mesure où nous fonctionnons quasi-exclusivement par réservation», plaide Mattia Taiuti. Le restaurateur ne regrette pas d’avoir franchi le Rubicon. «Le taux de réservations non-honorées, qui pouvait atteindre 30% lors de certaines soirées, a été divisé par trois», assure-t-il.
Comme nombre de ses confrères, le gérant de Casa Bini a jeté son dévolu sur le leader français des solutions technologiques dédiées au secteur de la restauration, Zenchef. Présente dans 15 pays, la plateforme de réservation a déjà séduit plus de 7000 restaurants, dont plusieurs groupes de restauration majeurs comme Groupe Bertrand, Del Arte et La Criée. Le principe, calqué sur l’hôtellerie, est simple: au moment de réserver sa table, le client est invité à renseigner ses coordonnées bancaires. En cas de réservations non-honorées ou d’annulation tardive, il est directement prélevé sur son compte. Si les restaurateurs sont libres de choisir eux-mêmes l’ampleur de la punition, elle dépend en général de la gamme de prix pratiqués par le restaurant. «Le but n’est pas d’exagérer», argue Mattia Taitu. Le gérant prélève 20 euros par client absent. «Dans les pays scandinaves, le client paye tout son repas à l'avance. Alors, nous, on ne fait pas d’argent avec ça!», défend-il.
D’autant que Zenchef a un coût. Chaque année, le restaurateur débourse un peu moins de 2000 euros pour bénéficier du service, en plus des commissions retenues sur les prélèvements en cas de no-show. «Vu l’efficacité de la plateforme, ce n’est pas énorme», estime Mattia Taitu, dont les deux restaurants germanopratins enregistrent deux millions de chiffres d’affaires par an.
«Ce n’est pas donné, mais pour la valeur ajoutée, ça vaut le coup», concède, plus timidement, Arthur Lecomte. Ce dernier manie la réservation par empreinte bancaire avec prudence. Il ne l’utilise que dans deux de ses restaurants, uniquement sur les grandes tables de plus de six couverts et le week-end. Pour sa troisième adresse, plus populaire, il s’y refuse. «J’ai peur des blocages que ça pourrait susciter chez nos clients. Psychologiquement et financièrement, ce n’est pas facile de déposer 20 euros pour chaque convive sur une table de cinq lors d’un anniversaire, par exemple». Arthur Lecomte mise sur le «civisme» de ses clients, plus que sur la coercition. «Le “no-show” commence à reculer de lui-même, et je reste persuadé que ceux qui croient dur comme fer à l’empreinte bancaire ratent une partie du paysage», grince-t-il.
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Les instituts de beauté sur le pont
Les Français devront pourtant s’habituer à sortir leur carte bleue avant de bénéficier d’une prestation de service, quelle qu’elle soit. Après l’hôtellerie et la restauration, les instituts de beauté s’y mettent à leur tour. Là encore, c’est l’explosion des réservations non-honorées qui a poussé les gérants d’établissements à serrer la vis. «C’est devenu un réel problème au moment du Covid, à partir du moment où les instituts ont facilité la prise de rendez-vous en acceptant les réservations en ligne», explique Planity, l’une des plateformes de réservation du secteur.
Pendant de Zenchef, Planity se présente comme un antidote au no-show dans l’univers de la beauté. «Avec l’instauration du paiement en ligne, intégral ou partiel, les rendez-vous non-honorés reculent de moitié», clame l’entreprise, qui indique ne pas prélever de commissions sur les créneaux réservés en ligne. Les instituts payent tout de même un abonnement fixe, qui inclue également un estimateur de rentabilité et un agenda intelligent. «Notre clientèle est séduite et ne cesse de grandir», assure la plateforme.
Reste que la réservation par empreinte bancaire se prête plus aux soins de luxe qu’à un simple brushing chez le coiffeur. Ces derniers n’ont pas encore trouvé la formule magique. «Chaque jour, ce sont au minimum trois ou quatre rendez-vous qui sautent, selon la grandeur du salon. Comment allons-nous faire pour freiner ce phénomène en pleine expansion ?» s’inquiète Christophe Doré, président de la Fédération des coiffeurs. Comme les restaurateurs, l’artisan du cheveu n’en finit pas de sonder la psychologie des clients fantômes. «Les lapins sont facilités par le clic, bien sûr, mais pas uniquement puisque cela arrive aussi fréquemment avec les réservations par téléphone. C’est une perte de respect et de civisme, relativement inédite vis-à-vis des commerces de proximité», décrypte-t-il avec amertume.
En attendant de percer les mystères du genre humain, Christophe Doré multiplie les réunions avec ses paires et les «plateformes de réservations». Celles-ci peuvent d’ores et déjà se frotter les mains. Avec la hausse des réservations non-honorées, leur activité a cru de manière spectaculaire. Fondé il y a seulement quatre ans, Planity détient déjà 75% de parts de marché en France et s’apprête à conquérir l’Allemagne, grâce à une levée de fonds de 30 millions d’euros en juillet. Zenchef, de son côté, s’est adossé à PSG Equity, une société de growth equity de premier plan pour poursuivre son expansion. Après l’Hexagone, la jeune pousse ambitionne de séduire d’autres pays en Europe. Si les incivilités ont de quoi exaspérer, force est de constater qu’elles font recette pour certains.
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