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Prix du carburant : six questions sur la vente à perte par les distributeurs, que le gouvernement veut autoriser - franceinfo

"On parle quasiment d'un demi-euro potentiellement en moins par litre", a déclaré, dimanche, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement.

Face à la flambée des prix du carburant, le gouvernement compte monter au créneau. Elisabeth Borne a promis samedi 16 septembre, dans une interview au Parisien, d'obtenir des "résultats tangibles pour les Français, sans subventionner le carburant". Pour cela, la Première ministre a annoncé que les distributeurs, "les gros industriels", seraient autorisés à vendre le carburant "à perte" pendant six mois. Une mesure "inédite", a insisté Elisabeth Borne. Que cela signifie-t-il ? Avec quels effets attendus ? Franceinfo revient sur cette mesure qui doit être incluse dans un projet de loi "dès le début du mois d'octobre", selon le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, interrogé dimanche sur France Inter.

1Que signifie la vente "à perte" ?

Avec cette autorisation, les distributeurs vont avoir le droit de vendre le carburant à un prix inférieur à celui auquel ils l'ont acheté. Il s'agit d'un bouleversement car la revente à perte est interdite en France depuis 1963. Les commerçants ne peuvent "revendre ou annoncer la revente d'un produit en l'état au-dessous de son prix d'achat effectif", explique la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

La vente à perte est habituellement autorisée pour une poignée d'exceptions. La répression des fraudes mentionne la cessation ou le changement d'activité commerciale, les fins de saisons (pendant les soldes d'hiver ou d'été), en cas d'"obsolescence technique ou [pour des] produits démodés", ou encore si des produits périssables sont "menacés d'altération rapide".

2A quelle baisse de prix faut-il s'attendre à la pompe ?

"On parle quasiment d'un demi-euro potentiellement en moins par litre", a avancé le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, sur RTL, dimanche. "On ne dit pas que l'essence va tomber à 1,40 euro dans toutes les stations pendant six mois", a-t-il tempéré.

Si la vente à perte correspond à une baisse de 25% par rapport au prix d'achat, "cela peut être jusqu'à 47 centimes d'économisés sur un litre d'essence", a estimé sur franceinfo Pieyre-Alexandre Anglade, président (Renaissance) de la commission des Affaires européennes à l'Assemblée nationale, vantant "un geste considérable".

3Les distributeurs vont-ils suivre l'incitation ?

François Geerolf, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), s'attend à ce que les grandes surfaces qui disposent de pompes à essence s'engouffrent dans la brèche. Pour elles, "cela va être un argument commercial très important", anticipe-t-il. "Le pari [pour une enseigne de supermarchés ou d'hypermarchés], c'est que les gens viennent pour l'essence. Le groupe va perdre de l'argent sur le carburant. En revanche, ces clients vont rester faire leurs courses", décrit-il.

Dans le commerce, on parle de "produit d'appel", c'est-à-dire un produit-phare affiché à un prix particulièrement attractif pour attirer les consommateurs dans sa zone de vente dans le but de vendre d'autres produits dans la foulée.

4Cette vente à perte peut-elle être compensée par la hausse des prix d'autres produits ?

"C'est tout à fait possible. Rien n'interdit de le faire", juge François Geerolf. "On pense qu'il n'y aura pas de risque d'effet rattrapage", a déclaré de son côté Olivier Véran, qui mise sur la "bonne volonté affichée par ceux qui vendent de l'essence de faire des efforts supplémentaires". Le député Pieyre-Alexandre Anglade se veut aussi rassurant. Il affirme que le gouvernement s'assurera "qu'il n'y a pas de contreparties ou que cela ne se répercute pas par ailleurs sur d'autres produits de la vie du quotidien".

5Les distributeurs indépendants sont-ils menacés ?

La vente à perte est "une pratique considérée comme potentiellement dangereuse", explique à franceinfo François Geerolf. "De façon générale, seuls les grands groupes ont la capacité financière pour se permettre des pertes pendant plusieurs mois", développe-t-il. Les plus petits acteurs, eux, ne le peuvent pas toujours, et "cela crée une forme de concurrence déloyale".

Le président national de la branche "Distributeurs carburants" du syndicat Mobilians, Francis Pousse, n'a pas caché son inquiétude, dimanche, sur franceinfo. En effet, sur les 6 000 stations-service de France (hors grandes surfaces) représentées par cette organisation patronale, 3 400 stations du groupe TotalEnergies mènent déjà des opérations de plafonnement des prix avec un blocage des tarifs à 1,99 euro le litre. "Je vous annonce que les [2 600] restantes ne pourront pas vendre à perte (...) On a des stations qui font jusqu'à 50% ou 60% de leur marge brute avec du carburant", précise Francis Pousse. Il s'inquiète également de la concurrence avec les grandes surfaces qui, elles, pourront baisser leurs prix. Cela "déstabilise encore plus le marché en défaveur de ceux que je représente. Donc, je suis très, très, très inquiet pour le devenir de mes stations", confie-t-il.

Cette crainte est partagée par Frédéric Plan, délégué général de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffages. Pour lui, les stations-service indépendantes risquent de se retrouver dans une situation intenable. "Soit elles vendent à perte et la banque ne leur prêtera plus d'argent pour la trésorerie, le fournisseur de produits pétroliers ne leur vendra plus de produits parce que ce sont des entreprises qui vont [être] en situation de faire faillite, explique-t-il. Soit elles ne peuvent pas le faire, et elles ne vendront pas d'essence [car elles ne seront pas compétitives] ou très peu, pour les dépannages."

6Pourquoi l'Etat ne baisse-t-il pas les taxes sur les carburants ?

"Le gouvernement fait face à une équation budgétaire qui n'est pas simple. Le déficit public du pays se trouve à un niveau historique", rappelle François Geerolf. La Cour des comptes a d'ailleurs demandé "un effort substantiel" sur les dépenses afin de réduire le déficit d'ici à 2027. Or une remise à la pompe risquerait de plomber les finances de la France. Ainsi, une remise de 20 centimes sur les prix des carburants pendant un an coûte 12 milliards d'euros, a affirmé Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, sur franceinfo, le 7 septembre. "La responsabilité de l'Etat, c'est aussi de baisser son déficit et sa dette", a fait valoir Elisabeth Borne.

Au-delà des considérations budgétaires, le gouvernement met en avant un principe d'équité pour ne pas reconduire cette mesure "qui n'est pas juste", a argué Olivier Véran.

"Les gens qui gagnent 1 500 euros par mois comme ceux qui gagnent 6 000 euros avaient la même ristourne. Ce n'est pas très égalitaire."

Olivier Véran, porte-parole du gouvernement

sur RTL, dimanche

Des raisons diplomatiques et géopolitiques sont également avancées par l'exécutif. Une baisse du prix de l'essence décidée par l'Etat "veut dire que vous payez la diplomatie pétrolière de Monsieur Poutine et de l'Arabie saoudite qui visent à réduire les volumes pour augmenter les prix", a estimé Bruno Le Maire. "On n'a pas vocation à payer les choix politiques et géopolitiques" de ces pays.

>> Pourquoi une nouvelle ristourne sur le prix du carburant n'est pas prévue

La baisse du prix de l'essence est également écartée pour des raisons environnementales. Le ministre de l'Economie répète régulièrement l'objectif de faire de la France la première économie verte d'Europe à l'horizon 2040. Il faut pour cela investir en faveur de la transition écologique et orienter différemment les fonds. Selon Christophe Béchu, "la solution qui consiste à prendre des mesures budgétaires pour abaisser artificiellement le prix des énergies fossiles au lieu d'investir dans la transition écologique" revient à "mettre un pansement sur une jambe de bois".

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