La France va-t-elle recevoir une mauvaise note ? L'agence de notation américaine S&P Global Ratings doit rendre son verdict vendredi. Dans les couloirs de Bercy, la pression monte. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire ne cesse de vouloir donner des gages de « sérieux budgétaire ». « Nous avons apporté des arguments solides sur la crédibilité de notre détermination à baisser la dette, à ramener les déficits sous les 3 % et à tenir la dépense publique [...] Ça fait un an que j'alerte sur la nécessité impérative de redresser les comptes publics à un moment où les taux d'intérêt augmentent. Nous tiendrons nos 4,9 % de déficit en 2023, nous avons gelé un certain nombre de dépenses que nous n'estimons pas utiles », a déclaré le ministre ce jeudi 30 novembre sur l'antenne de France Inter . Au printemps, le gouvernement avait balayé d'un revers de main la dégradation de la note par l'agence Fitch. A l'époque, l'adoption de la réforme des retraites au 49-3 et l'échec des motions de censure à l'Assemblée avaient provoqué une vague de sidération. Depuis, les tensions sociales sont retombées. Mais les mauvais nuages s'accumulent.
La croissance du PIB tricolore a enregistré un léger repli (-0,1%) au troisième trimestre 2023. L'OCDE a dégradé la prévision de croissance du PIB de la France en 2024 à 0,8% contre 1,2% auparavant. « Sur l'ensemble de l'année 2023, la France s'en sort pas si mal mais le vent est en train de tourner », confie à La Tribune Denis Ferrand, économiste et directeur général de Rexecode. « Les entreprises sont de plus en plus prudentes et le marché du travail ralentit », poursuit-il. En dépit de ce repli, le ministre de l'Economie a redit sur l'antenne de Radio France que le gouvernement maintenait son objectif de croissance du PIB de 1% en 2023 et 1,4% en 2024.
Et la Commission européenne et le FMI ont récemment tapé sur les doigts de la France pour ses dépenses publiques jugées « excessives ». S&P clôt ainsi les revues d'automne des grandes agences de notation pour la France. La note AA qu'elle lui donne actuellement est équivalente au Aa2 de Moody's. Fitch est un cran en dessous avec AA-, après avoir dégradé la France en avril.
Un endettement record...
La succession des crises ces dernières années (pandémie, guerre en Ukraine, crise énergétique) ont obligé l'Etat et les pouvoirs publics a injecté des milliards d'euros dans l'économie pour limiter la casse économique et sociale. Entre 2020 et 2023, les mesures de relance et d'urgence ont fait grimper la facture pour les finances publiques de 280 milliards d'euros selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Résultat, la France a atteint un niveau inédit d'endettement depuis la Seconde guerre mondiale à 112% du produit intérieur brut. Mais depuis la crise énergétique, l'environnement économique a complètement changé. La Banque centrale européenne (BCE) a remonté ses taux à un niveau inédit depuis la création de la zone euro et les conditions financières se sont brutalement durcies.
...mais pas encore de risques sur la soutenabilité de la dette
Dans ce contexte, les économistes interrogés par La Tribune ne veulent pas trancher sur le verdict à venir. « C'est de la politique fiction », explique Denis Ferrand. « La notation ne va pas changer grand chose. Les marchés n'attendent pas la notation pour anticiper », poursuit l'économiste. « Il existe un risque de dégradation car l'un des principaux critères des agences concerne les finances publiques », estime de son côté Anne Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet BDO France. « Mais la France ne sera peut être pas sanctionnée car d'autres pays de la zone euro sont également très endettés. Le gouvernement a fixé un objectif de réduction des déficits et mis en oeuvre des réformes structurelles ».
Pour la professeure d'économie à la Sorbonne, « la notation a surtout de l'importance aux yeux des investisseurs mais elle a peu d'importance sur la soutenabilité de la dette». Pour Charlotte de Montpellier, économiste chez ING, « la situation budgétaire n'est pas favorable. La France est la lanterne rouge de la zone euro en 2023. Et les perspectives pour 2024 ne sont pas bonnes. Le gouvernement table sur une croissance du PIB à 1,4% en 2024 mais cet objectif va être très difficile à tenir. Cela va faire moins de recettes publiques dans les caisses de l'Etat ». A ce stade, « la situation n'est cependant pas dramatique dans l'absolu ».
Des craintes sur les intérêts payés sur la dette à court terme
En revanche, les intérêts payés sur la dette pourraient augmenter. Les ministres de Bercy n'ont cessé de tirer la sonnette d'alarme depuis la présentation du budget 2024 à la fin du mois de septembre. L'envolée des taux d'intérêt mise en place pour faire baisser l'inflation a dégradé les conditions de financement de l'Etat. « La France est sortie de la période de baisse des OAT (obligations du trésor) », souligne Denis Ferrand. Au début du mois d'octobre, les tensions sur les marchés obligataires avaient suscité de vives inquiétudes.
Au printemps Fitch avait également pointé le risque d'un relèvement des taux sur la trajectoire budgétaire de Bercy. « La hausse des taux d'intérêt pourrait rendre la consolidation budgétaire encore plus difficile » . En dépit d'une maturité de long terme sur des titres de créances (8,3 ans en moyenne), « une part relativement élevée de la dette (15%) doit être remboursée dans les 12 prochains mois », a poursuivi la célèbre agence financière. L'indexation des obligations d'une partie de la dette continue « de mettre la pression » sur les dépenses publiques. En effet, les pensions de retraites et une partie des aides sociales sont indexées sur l'inflation en France
Par ailleurs, l'écart entre le taux d'intérêt (r) et le taux de croissance (g), un indicateur très scruté par les économistes et les marchés financiers, pourrait redevenir positif en 2024, en raison du coup de frein de l'activité et de la brutale remontée des taux. Au moment de la crise des « subprimes » de 2008, cet écart avait atteint des sommets en France et dans les autres pays avancés, avant de redescendre tout au long de la décennie 2010. Le risque sur les intérêts de la dette serait principalement à court terme comme le montre une récente étude de la direction générale du Trésor.
Un stress-test pour Bercy
Cette avalanche de verdicts des agences de notation constitue « un stress test » pour les ministres de Bercy. En plein débat sur les règles budgétaires européennes, la France espère peser dans les négociations. En effet, la Commission européenne doit trancher sur de nouvelles règles de finances publiques d'ici la fin de l'année 2023.
Mais les déboires économiques et budgétaires de l'Allemagne ne vont sans doute pas faciliter la tâche des Européens pour s'entendre sur ces nouveaux mécanismes. Une dégradation de la note hexagonale vendredi soir fragiliserait la crédibilité de l'exécutif dans sa capacité à peser dans les débats européens.
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