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L'Etat et EDF trouvent un accord dans la douleur sur le «juste prix» de l'électricité nucléaire - Libération

L’exploitant français devrait pouvoir revendre 70 euros le MWh produit par ses réacteurs nucléaires. Mieux que le prix actuel (42 euros) mais loin de ce qu’espérait l’électricien (100 euros) pour construire ses futurs EPR et faire face au mur d’investissement qui l’attend.

Quel est le «juste prix» pour le MWh d’électricité nucléaire produit par EDF ? Celui supportable par le consommateur qui s’apprête à subir une nouvelle augmentation de 10 % sur sa facture d’électricité début 2024, après déjà 25 % de hausse cette année ? Ou celui qui permettra à l’électricien de financer le mur d’investissement à venir pour entretenir son parc de centrales nucléaires et construire les six nouveaux réacteurs EPR commandés Emmanuel Macron pour 2035-2040 ? Après des mois de négociations difficiles, de coups de pression et de portes claquées, l’Etat actionnaire et EDF sont sur le point d’annoncer un accord à l’arrache, qui relevait de la quadrature du cercle mais s’imposait à tous avec l’extinction programmée du dispositif actuel de l’Arenh (pour «Accès régulé à l’électricité nucléaire historique») prévue fin 2025. Selon le compromis trouvé entre le gouvernement et EDF, le prix de référence de l’électricité produite par les 56 réacteurs de l’exploitant nucléaire s’établirait désormais à 70 euros le MWh, comme le souhaitait l’Etat, a indiqué un membre de l’exécutif ce lundi après-midi à l’agence Reuters. Information confirmée à Libération par une autre source proche du dossier.

Le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, avait dit son optimisme, ce lundi matin, sur l’imminence d’un accord avec le PDG de l’électricien, Luc Rémont : la négociation «est sur le point d’aboutir dans les heures qui viennent» et «je suis convaincu que le résultat auquel nous parviendrons […] est un bon résultat qui permettra de reprendre la souveraineté sur nos prix.» Et une ultime réunion, mardi à la première heure à Bercy, entre les deux hommes et la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, devait sceller le principe et les contours de l’accord trouvé entre EDF et l’Etat avant son officialisation dans la journée. Mais le résultat est-il aussi bon que Bruno Le Maire le dit pour le géant français de l’électricité ?

Compromis tarifaire

Pour EDF, c’est un net progrès par rapport au prix jusqu’ici prévu par l’Arenh qui contraignait le groupe à revendre son électricité à ses concurrents à 42 euros le MWh seulement. Loin, très loin, des coûts de production réels de ses centrales nucléaires et le plus souvent à perte. C’est un mieux aussi par rapport au prix de 60 euros qu’avait estimé la CRE, la Commission de régulation des prix de l’énergie. Mais on est vraiment loin de ce qu’espérait l’électricien qui chiffrait à au moins 100 euros, voire 120 euros, le seuil lui permettant d’assurer le financement de ses grands projets nucléaires pour les années à venir.

Le compromis tarifaire auquel sont arrivés les négociateurs des ministères de l’Economie et de la Transition écologique et la direction d’EDF se rapproche toutefois du prix auquel s’échangeait ce lundi midi l’électricité en France sur le marché Epex Spot, 77 euros le MWh, soit bien moins qu’en Allemagne (121 euros), en Italie (114 euros) ou au Royaume-Uni (98 euros). Mais les prix de l’électricité en Europe, qui ont dramatiquement flambé depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022 du fait de leur alignement sur ceux du gaz, ont connu depuis d’énormes fluctuations. Ils ont atteint jusqu’à 1 200 euros l’année dernière et ont largement contribué à l’inflation, contraignant le gouvernement français à recourir à de coûteux boucliers tarifaires sur le gaz et l’électricité.

Endettement abyssal d’EDF

Paris a décidé de mettre fin progressivement à ce «quoi qu’il en coûte» tout en cherchant à continuer à limiter la casse pour le consommateur en revoyant les règles de fixation des prix au niveau européen. Une étape décisive a été franchie dans cette direction avec l’accord complexe auquel les 27 pays de l’Union européenne sont parvenus le 17 octobre pour «rendre les prix de l’électricité moins dépendants de la volatilité des prix des combustibles fossiles et protéger les consommateurs des flambées des prix». Depuis, la France avait la voie libre pour fixer le prix de référence auquel EDF doit revendre son électricité nucléaire, ce dernier ayant l’assurance d’être remboursé par l’Etat de la différence si le cours du marché de gros de l’électricité s’avère en deçà. Ce sera le cas si les prix de l’électricité retombent en dessous du seuil des 70 euros prévus par l’accord. A contrario, si les prix de l’électricité se négocient au-dessus de ce seuil, l’Etat procédera à une taxation par paliers des revenus du groupe issus du nucléaire, afin de redistribuer ensuite les montants collectés aux consommateurs et empêcher que leur facture flambe. Un «coupe-circuit» serait par ailleurs mis en place dans la nouvelle régulation quand les prix de marché dépasseront 110 euros /MWh, l’Etat pouvant prélever jusqu’à 90 % des revenus excédentaires correspondant. En contrepartie, EDF a obtenu des «clauses de revoyure» permettant de garantir dans la durée un prix moyen de revente de son électricité à 70 euros /MWh, ce qui devrait lui donner une meilleure visibilité et rassurer ses créanciers.

Le compromis trouvé ce lundi entre EDF et son actionnaire public ne fera toutefois pas bondir de joie l’électricien dont la trajectoire financière reste des plus incertaines avec un endettement abyssal de 65 milliards d’euros et une falaise d’investissements sans précédent depuis le grand programme lancé dans les années 70 par le Premier ministre de l’époque, Pierre Messmer, pour faire de la France un pays nucléarisé comme peu d’autres dans le monde.

Le groupe va ainsi devoir payer non seulement les intérêts de sa dette avec des taux qui repartent à la hausse, mais débourser au bas mot 60 milliards pour construire les six EPR dont la première paire sera édifiée sur la centrale normande de Penly (Seine-Maritime), en attendant deux autres paires à Gravelines (Nord) et au Bugey (Ain). EDF devra dans le même temps continuer à financer son «grand carénage» à hauteur de 65 milliards d’euros pour prolonger de quarante à cinquante ans la durée de vie de ses réacteurs actuels, mais aussi provisionner plusieurs milliards pour arrêter et démanteler ses réacteurs les plus anciens, construire une nouvelle piscine à La Hague pour accueillir le combustible usé et financer l’enfouissement des déchets radioactifs les plus dangereux sur le site Cigéo de Bure (Haute-Marne)… N’en jetez plus.

Schizophrénie de l’Etat

Toute la question est maintenant de savoir si ce prix de 70 euros imposé par l’Etat à EDF lui permettra de dégager assez de cash flow tous les ans pour reconstituer sa trésorerie et faire face à cet énorme défi industriel et financier. «Le temps où le nucléaire est capable de payer pour l’ensemble de la collectivité doit venir à sa fin. Le nucléaire doit être en mesure d’investir dans son propre avenir […], nous avons besoin d’une prise de conscience collective», avait prévenu le PDG d’EDF, Luc Rémont, lors de son audition devant la commission d’enquête du Parlement sur les causes de la perte de souveraineté énergétique de la France. «Ce qui préoccupe le gouvernement, c’est l’intérêt du consommateur et la compétitivité de notre économie et de nos industries», lui avait répondu sèchement la Première ministre, Elisabeth Borne, témoignant de la schizophrénie de l’Etat qui veut tout et son contraire : des prix durablement bas pour les consommateurs et une relance à marche forcée du nucléaire français d’ici 2050… que l’électricien ne pourra pas financer à n’importe quelles conditions. L’avenir dira si EDF est en mesure d’assurer la souveraineté énergétique du pays entre ces deux injonctions contradictoires.

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