Piocher dans un trésor de guerre de plus de 78 milliards d'euros. L'idée n'est pas nouvelle, mais en ces temps de disette budgétaire, elle remonte en haut de la pile. Les réserves de l'Agirc-Arrco, dont les comptes sont dans le vert, suscitent plus que jamais la convoitise du gouvernement. « Oui, Catherine Vautrin en a discuté avec les partenaires sociaux dans le cadre de leurs différents échanges », confirme l'entourage de la ministre du Travail. Selon nos informations, la piste a été évoquée pas plus tard que cette semaine dans des échanges bilatéraux avec le patronat et les syndicats, gestionnaires du régime complémentaire.
L'an dernier déjà, l'exécutif avait cherché à transférer une partie de ce magot vers le système général des retraites, déficitaire. Avec cet argument : en repoussant l'âge de départ de 62 à 64 ans, la réforme d'Emmanuel Macron améliore tous les comptes - dont ceux de l'Agirc-Arrco -, il est donc logique que ces caisses complémentaires contribuent à l'effort. « Le gouvernement, à travers le ministère du Travail, est toujours engagé pour le transfert au régime général des économies engendrées par la réforme des retraites », explique encore la Rue de Grenelle, qui compte notamment sur cette ponction pour financer la revalorisation des petites pensions, inscrite dans la réforme Macron. Montant estimé : plus de 1 milliard d'euros d'ici deux ans.
Seul hic, les partenaires sociaux y sont toujours opposés. Selon eux, les résultats positifs de l'Agirc-Arrco de l'an dernier ne sont pas liés aux effets de la réforme des retraites, qui n'est entrée en vigueur qu'à l'automne. Surtout, ils en font une affaire de principe : pas question que les cotisations des salariés du privé servent à combler les déficits d'autres régimes. L'argent de l'Agirc -Arrco appartient aux salariés et retraités du secteur privé qui ont cotisé toute leur vie. Cela s'apparente, à leurs yeux, à un hold-up.
Et une fois n'est pas coutume, syndicats et patronat font bloc. Soucieux de garder la main sur l'Agirc-Arrco, ils n'entendent pas céder, quitte à peser, une nouvelle fois, de tout leur poids sur les parlementaires. L'an dernier, c'est bien face à la levée de boucliers des députés que le gouvernement d'Élisabeth Borne, après avoir tenté de passer en force dans le budget 2024, avait finalement reculé. Depuis, la menace d'une ponction de l'Agirc-Arrco s'était d'autant plus évanouie qu'Olivier Dussopt, qui portait ce sujet, a quitté le gouvernement.
"Je n'ai pas vérifié, à ce jour, la bonne efficacité gestionnaire de l'État !"
Pour calmer le jeu, les partenaires sociaux ont toutefois accepté de plancher sur la façon dont le régime complémentaire pourrait se montrer plus solidaire avec le système général, notamment en soutenant les pensions les plus modestes. Sans grande motivation. Depuis l'automne, leur réflexion n'a guère avancé. Mais, comme le vent tourne de nouveau, ils ont prévu de se retrouver mardi prochain pour en discuter. Et pour cause, face à l'urgence de la situation budgétaire, et à l'approche de la préparation du budget pour 2025, - ou d'un budget rectificatif 2024 -, Catherine Vautrin entend remettre l'ouvrage sur le métier. Objectif : limiter le déficit de la protection sociale.
Pourtant, les résultats financiers positifs de l'Agirc-Arrco améliorent déjà les comptes de la nation, plaident les partenaires sociaux. Sans ces excédents, le déficit public publié mardi dernier serait de 5,7 % du PIB au lieu de 5,5 %. Et d'arguer aussi que ces réserves leur permettent d'anticiper les besoins futurs : 1 milliard d'euros transféré au régime général équivaudrait à une baisse de 1 % de revalorisation des pensions du privé. Autrement dit, si le gouvernement s'entête à vouloir ponctionner les caisses de l'Agirc-Arrco, il risque mécaniquement de faire baisser le niveau de vie des retraités du privé, principaux électeurs de la Macronie.
Aujourd'hui, syndicats et patronat craignent que le gouvernement n'emprunte finalement une autre voie. Un tour de passe-passe technique, consistant à ne pas rembourser totalement certaines exonérations de charges sur les salaires, comme il est tenu de le faire. À ce titre, en 2022, l'État a rendu au régime Agirc-Arrco 9 milliards d'euros.
« Ce système de compensation un peu mécanique existe pour l'Unedic, les retraites complémentaires, etc. Le gouvernement pourrait très bien, à l'avenir, décider de ne pas rembourser à l'euro près comme il le fait aujourd'hui, explique un connaisseur du dossier. Par exemple, s'il doit 9 milliards comme en 2022, à l'Agirc-Arrco, il ne reversera que 7 ou 8 milliards pour garder, au passage, 1 ou 2 milliards d'euros. » La modification de cette « CSG » dite de compensation pourrait alors être inscrite dans le prochain projet de loi de finances de la sécurité sociale 2025.
Le bras de fer entre exécutif et partenaires sociaux promet d'être d'autant plus violent qu'il s'inscrit dans un contexte tendu autour de l'assurance chômage. Patronat et syndicats n'apprécient guère la pression que le gouvernement met sur cette négociation, qui doit se terminer le 8 avril. Sur le fond, ils sont nombreux - y compris au sein du patronat - à estimer que Matignon et l'Élysée veulent taper beaucoup trop fort sur les demandeurs d'emploi, et que ce énième tour de vis ne réglera pas la situation calamiteuse de nos déficits publics.
Sur la forme, tous se disent ulcérés. Ainsi Sophie Binet, numéro un de la CGT, compare-t-elle « le gouvernement à un mauvais génie qui plane au-dessus de la négociation, et menace sans cesse de reprendre la main ». Patrick Martin, le président du Medef abonde : « Entre l'Unédic, la gestion de la branche de la Sécurité sociale sur les accidents du travail et les retraites complémentaires, le paritarisme s'occupe au total de plus de 235 milliards d'euros de prestations sociales. À ma connaissance, c'est bien géré, et cela contribue à la bonne marche sociale du pays. Alors que je n'ai pas vérifié, à ce jour, la bonne efficacité gestionnaire de l'État ! » La bataille autour de la cagnotte Agirc-Arrco ne fait que commencer.
Bagikan Berita Ini
0 Response to "Bras de fer en vue sur le magot de l'Agirc-Arrco - La Tribune.fr"
Post a Comment