Des négociations opérées dans « la plus grande opacité », un « manque de transparence », « une feuille volante non signée », « aucun engagement »... Lors d'une conférence de presse, organisée ce jeudi 4 juillet à l'occasion de la publication du rapport d'information de la Commission d'enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité, Vincent Delahaye, sénateur de l'Essonne et rapporteur, a multiplié les critiques à l'égard de l'accord conclu entre EDF et le gouvernement. L'épais document, de quelque 700 pages, est le fruit de 140 auditions menées depuis janvier dernier, bien avant l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale donc. Pourtant, ses conclusions portant sur les prix de l'électricité viennent « percuter cette campagne [des législatives anticipées, ndlr], mais l'alimenter aussi », a souligné Vincent Delahaye, alors que la question du pouvoir d'achat et du prix de l'énergie s'est largement imposée dans les débats.
Pour rappel, en novembre dernier, EDF et l'exécutif s'étaient mis d'accord sur le cadre de la politique commerciale de l'électricien post-2025, une fois que le mécanisme actuel de l'Arenh - qui contraint le groupe public à vendre une partie de son électricité nucléaire à 42 euros du mégawattheure (MWh), soit en dessous de son coût de production - tirera sa révérence. En 2026, ce mécanisme sera remplacé par un dispositif « tout marché ». En d'autres termes, la vente de l'électricité nucléaire sur le marché de gros (là où l'électricité est négociée et achetée par les fournisseurs aux producteurs avant d'être commercialisée sur le marché de détail puis distribuée à travers le réseau de distribution), ne sera pas encadrée par les pouvoirs publics par des prix plafond ou plancher. Cette approche sera seulement complétée par un système d'écrêtement, qui permettra de partager les rentes issues des ventes de l'électricité nucléaire au-dessus d'un certain seuil.
Un dispositif « tout sauf protecteur »
Or, selon le rapport d'information, adopté à la quasi unanimité, cet accord « ne protège ni EDF ni les consommateurs ». Il organise même « la décorrélation structurelle des coûts de production et des prix de l'électricité en exposant totalement ces derniers aux aléas des marchés de gros ». « Le dispositif retenu par le gouvernement est tout sauf protecteur pour les consommateurs et compromet les perspectives de réindustrialisation du pays. Par ailleurs, puisqu'il ne prévoit aucune garantie de prix de vente, il expose dangereusement EDF à une situation de prix bas prolongés sur les marchés de gros. Les évolutions des marchés depuis novembre 2023 rendent cette hypothèse de plus en plus vraisemblable », est-il écrit dans la synthèse du document.
« Les prix de l'électricité sur le marché de gros en France sont actuellement très bas et sur les deux années qui viennent, les prix à terme ne sont pas orientés à la hausse non plus. Ils oscillent entre 60 et 70 euros du mégawattheure », confirme Jacques Percebois, économiste spécialiste des marchés de l'énergie.
A la place, le rapport préconise le déploiement d'un contrat pour différence. Les CFD (selon l'acronyme anglais) sont censés sécuriser les producteurs d'électricité d'un côté et limiter la flambée des factures de l'autre. En cas de profits supérieurs à un prix plafond déterminé à l'avance, les pouvoirs publics s'engagent à reverser le surplus aux consommateurs. A l'inverse, si les revenus sont inférieurs à un prix plancher préalablement délimité, l'Etat compensera le manque à gagner afin de soutenir le producteur, en l'occurrence EDF.
Les CFD boudés par EDF... mais jusqu'à quand ?
Cette solution avait un temps eu la faveur de l'exécutif, qui s'était d'ailleurs battu à Bruxelles pour obtenir l'autorisation de l'appliquer au nucléaire existant. Mais EDF, hanté par le spectre du plan Hercule et les risques de démantèlement associés, refuse catégoriquement cette option craignant que Bruxelles exige, de nouveau, des contreparties. Lesquelles entraîneraient une séparation de l'activité nucléaire. Et ce, au nom du respect du droit de la concurrence, puisque la mise en place d'un prix plancher reviendrait à une aide d'Etat.
« Nous sommes allés à Bruxelles, nous avons vu des députés et des représentants de la Commission. (...) Et, il nous semble, à ce stade, que ces craintes sont infondées », a néanmoins assuré le sénateur de l'Essonne devant la presse.
« Les raisons profondes des revirements d'EDF comme de l'État restent mystérieuses. Aucun élément probant venant les corroborer n'a jamais pu être porté à la connaissance de la commission d'enquête, » indique également la synthèse
« Je pense qu'EDF fait une erreur de s'arc-bouter sur l'idée que la Commission européenne va demander des contreparties », estime, pour sa part, Jacques Percebois, convaincu que cette solution finira par primer dans la mesure où la prolongation de prix de marché bas risque d'affaiblir EDF, déjà largement endetté et confronté à un mur d'investissements.
La perspective de débats interminables
Reste que porter politiquement ce contrat pour différence apparaît aujourd'hui bien délicat. « Je continue de penser que ces CFD sont pertinents, mais qui va vouloir défendre l'instauration d'un prix plancher pour protéger EDF après qu'on ait refusé de mettre en place un système de régulation protégeant les consommateurs ? », s'interroge Nicolas Goldberg, expert énergie chez Columbus Consulting.
Par ailleurs, la mise en place d'un CFD pourrait conduire à d'interminables débats sur la fixation d'un prix plancher alors que la Commission de la régulation de l'énergie (CRE) a évalué les coûts de production d'EDF à 60 euros du mégawattheure (MWh), un niveau bien en-dessous des 74 euros, estimés par EDF. Le rapport sénatorial estime, lui, qu'un CFD « se traduirait par un prix de la fourniture d'électricité des consommateurs structurellement situé à environ 60-65 euros par MWh ». Ce qui se traduirait par « une économie de plus de 300 euros pour un foyer moyen par rapport aux prix actuels », précise le document. Si le Rassemblement national accédait au pouvoir à l'issue du scrutin du 7 juillet prochain, ces débats pourraient néanmoins tourner court. En effet, au Parlement européen, le parti d'extrême droite s'était clairement opposé au mécanisme des CFD.
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