
Les boss de Siemens Joe Kaeser et d'Alstom Henri Poupart-Lafarge ont fait le service après vente de leur mariage ferroviaire. L'allemand rachète sans équivoque le français mais pour «faire gagner l'Europe». Les garanties sur l'emploi ne rassurent pas.
«Les Français disent que nous sommes rachetés par les Allemands et les Allemands ont l'impression d'être rachetés par les Français» : c'est par cette pirouette que le PDG d'Alstom, Henri Poupart-Lafarge, a répondu à une question de Libération sur l'impact politique et symbolique, de ce côté-ci du Rhin, de l'opération qui va se traduire par une prise de contrôle sans équivoque du fabricant du TGV par le conglomérat allemand. Et tout était à l'avenant lors de la conférence de presse donnée ce matin avenue d'Iéna, à Paris, par Henri Poupart-Lafarge, qui dirigera le nouvel ensemble Siemens-Alstom, et son nouveau boss, le président et CEO de Siemens AG, Joe Kaeser.
Un rendez-vous donné aux caméras et aux micros pour faire le service après-vente du deal annoncé tard mardi soir et qui va se traduire par l'entrée du géant allemand à hauteur de 50% dans le capital d'Alstom d'ici le 31 juillet 2018. Siemens deviendra le premier actionnaire du nouveau «champion européen» en échange de l'apport ses activités ferroviaires (Siemens Mobility) valorisées à 7,5 milliards d'euros, soit peu ou prou la capitalisation boursière du groupe français.
Une «fusion entre égaux» dixit les deux hommes, mais qui n'en est une que sur le papier : c'est bien Siemens, dix fois plus lourd avec 75 milliards d'euros de chiffre d'affaires, qui rachète Alstom, promis à devenir une simple division du géant basé à Munich, trois ans après avoir déjà été contraint de céder sa branche énergie à l'américain GE. La fin d'une histoire industrielle française qui suscite un vent de critiques en France, à droite comme à gauche, sur l'air du «bradage» par Emmanuel Macron d'un de nos derniers fleurons. «La vente d'Alstom aux Allemands est scandaleuse», a encore estimé aujourd'hui le patron de la CGT, Philippe Martinez, dans le sillage de Jean-Luc Mélenchon, mais aussi des Républicains Laurent Wauquiez ou du souverainiste Dupont-Aignan.
«Victoire pour l'Europe» et strapontin
Conscient de la charge symbolique d'un «TGV sous pavillon allemand» et ce qui s'apparente à un démantèlement de l'ancien fleuron Alstom au pays du patriotisme économique déclinant, Poupart-Lafarge et Kaeser ont tenté de rassurer en mettant en avant «une victoire pour l'Europe et un signal fort pour le monde» au moment où le mastodonte chinois CRRC, deux fois plus lourd que Siemens-Alstom réunis, mène la consolidation du secteur ferroviaire. Mais ni l'un ni l'autre n'ont repris l'élément de langage de «l'Airbus du rail» vendu par le gouvernement. Et pour cause : dans le vrai Airbus, l'Etat français est resté au capital au même niveau que les Allemands, alors qu'il ne s'invitera pas dans celui de Siemens-Alstom comme il aurait pu le faire en rachetant les 20% de Bouygues… Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, qui a approuvé l'opération sans réserves, a expliqué ce matin à Bercy qu'il ne servait à rien de garder un «strapontin» dans Alstom en mettant en avant les garanties négociées par l'Etat avec Siemens : maintien de l'emploi et des sites français d'Alstom pendant quatre ans…
A tout seigneur tout honneur, c'est Joe Kaeser qui a ouvert le bal en anglais par une déclaration solennelle pour saluer la naissance d'un «global european mobility champion» (soit un «champion européen de la mobilité de niveau mondial») comptant 60 000 salariés, affichant 15 milliards d'euros de chiffre d'affaires et un carnet de commandes de trains, métros, tramways et autres matériels de signalisation ferroviaire atteignant les 60 milliards. «Au moment où les nationalismes montent, le message est clair, il est aussi politique : l'esprit européen est vivant et la naissance de Siemens-Alstom en est la preuve», a déclaré le grand patron de Siemens. Pour lui le nouveau «global champion» du rail ne sera pas allemand, il sera «français, allemand, européen». Tout comme le TGV. Et «les questions de pourcentage au capital» ou de dirigeants sont des détails qui n'intéressent que les journalistes cocardiers, notamment français. Cette fusion qui «renforcera l'Europe»,«il fallait la faire» pour faire face à l'offensive low-cost venue d'Asie.
Monde de brutes
Henri Poupart-Lafarge, en anglais également, n'a pas dit autre chose en se félicitant de «cette opportunité de créer le numéro deux mondial du ferroviaire». Pour le Français, «il n'y avait pas urgence à se marier» jusqu'au début de l'année «car Alstom était en forme sur un marché en pleine croissance». Seulement voilà, les pourparlers entre Siemens et le canadien Bombardier ont, semble-t-il, forcé Alstom à reprendre langue avec l'Allemand, qui avait déjà tenté de racheter le groupe français en 2014 sans succès, ce dernier préférant vendre sa branche énergie à GE pour faire cavalier seul dans le ferroviaire. Mais même musclés, les petits ont toujours tort dans ce monde de brutes où le chinois CRRC vend désormais ses trains 30 à 40% moins cher que Siemens ou Alstom. Alors va pour le mariage avec l'ennemi et concurrent de toujours : «Siemens était notre premier choix», a assuré Poupart-Lafarge.
Les deux hommes ont vanté la complémentarité technologique et géographique de leurs petits trains et assuré que Siemens-Alstom serait le mieux placé pour franchir le «next step» : répondre à l'énorme demande mondiale de solutions de mobilités et technologies numériques de gestion de trafic qui s'annonce «avec bientôt 70% des gens vivant sur cette planète habitant dans des grandes métropoles». Le marché annuel du matériel ferroviaire est estimé à 122 milliards d'euros par an sur la période 2019-2021 selon l'Union des industries ferroviaires européennes.
«Ajustements d'effectifs globaux»
Est forcément venu le moment des questions qui fâchent : quid de l'emploi en France et en Allemagne demain chez Alstom et dans la division ferroviaire de Siemens ? Joe Kayser a vite évacué le sujet, renvoyant aux garanties de «job protection» négociées par l'Etat français et qui figurent dans l'accord : dans les quatre ans qui suivront la réalisation de l’opération, c'est à dire jusqu'à juillet 2022, les sites et les emplois seront préservés dans les deux pays, promettent les deux entreprises la main sur le cœur.
«Aucun site ne sera fermé en France et le niveau de l'emploi sera globalement équivalent», a indiqué à Libération Henri Poupart-Lafarge pour répondre aux syndicats qui s'inquiètent à nouveau pour Belfort et les autres sites français. Mais aussi pour l'usine allemande Alstom de Salzgitter, en Basse-Saxe, qui fabrique trains et métros et emploie 2 500 personnes, alors que Siemens emploie 6 500 salariés outre-Rhin dans cette même activité. «Il pourra y avoir des ajustements d'effectifs globaux ici où là si le besoin s'en faisait sentir un jour, mais tout se fera sur la base du volontariat, sans licenciements forcés», a précisé le futur PDG de Siemens-Alstom. Autant dire que ces ajustements pourraient toucher avant quatre ans les salariés des deux groupes dans le reste du monde…
Les syndicats, qui s'inquiètent pour les 8 500 salariés français d'Alstom, l'attendent au tournant. Car les deux mariés ont de nombreux doublons de matériels et de solutions dans la grande vitesse (TGV et ICE), les trains régionaux, les métros. Alstom est «en choc frontal avec Siemens sur toutes ses activités» constatent les représentants CFE-CGC, CFDT et FO d'Alstom. Et les synergies prévues dans l'opération sont annoncées à 470 millions d'euros d'économies par an sur les achats, la R&D, les fonctions supports.
Il faudra bien les trouver pour satisfaire les actionnaires et la bourse. Et les promesses non tenues dans le cadre de la vente de la branche énergie d'Alstom à GE ne sont pas là pour rassurer (1 200 emplois supprimés au lieu des 1 000 créations de postes promises). «Le meilleur moyen de créer des emplois, ce ne sont pas les garanties données, le meilleur moyen c'est de construire un groupe plus fort», a répondu Joe Kaeser avec un pragmatisme tout allemand. On a déjà entendu ça dans de nombreuses entreprises fusionnées, avec les résultats que l'on sait.
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