
Dans la tragi-comédie des affaires de corruption qui touchent Airbus, il fallait un coup de théâtre pour parfaire le tableau. Il a été annoncé dans la nuit du 16 au 17 octobre : à la surprise générale, l'avionneur européen va prendre la majorité du programme de monocouloirs CSeries du canadien Bombardier, composé de deux avions, le CS100 (110 sièges) et le CS300 (135 sièges). Dans le détail, Airbus va acquérir 50,01% du programme, Bombardier conservant 31% et Investissement Québec détenant le solde (19%). "Un accord gagnant-gagnant, s'est réjoui le patron d'Airbus Tom Enders dans un communiqué. Le CSeries, avec son design à l'état de l'art et ses superbes performances économiques, complètent parfaitement ceux de notre famille actuelle de monocouloirs. Je suis convaincu que notre partenariat avec Bombardier stimulera les ventes et valorisera considérablement ce programme."
Que penser de ce rachat surprise ? A première vue, Airbus prend un risque conséquent. Le programme CSeries a représenté, depuis son lancement, un gouffre financier qui a failli emporter Bombardier avec lui. Lancée en grande pompe en 2008 à l'assaut des bestsellers A320 et 737, la famille d'appareils n'a jamais vraiment trouvé son marché, plafonnant à 360 commandes en un peu moins de dix ans, quand l'A320neo dépasse allègrement les 5.000 commandes. L'avionneur canadien avait même dû faire appel au gouvernement du Québec, où sont assemblés ses avions, pour sauver le CSeries. La province avait investi un milliard de dollars pour prendre 49,5% du programme en juin 2016.
L'épée de Damoclès de l'antidumping américain
Pire, la gamme d'avions canadiens était menacée de mort par les mesures anti-dumping que les Etats-Unis envisagent de prendre à son encontre. Suite à une dénonciation de Boeing, qui estimait que Bombardier avait gagné un contrat avec la compagnie américaine Delta en vendant ses avions à perte, Washington s'apprêtait à appliquer des droits de douanes ahurissants (300% !) sur les CSeries importés aux Etats-Unis. Une décision qui pourrait sceller les ambitions du fabricant canadien sur un des marchés les plus prometteurs pour son avion.
Que diable Airbus va-t-il donc faire dans cette galère ? A bien y regarder, le pari pourrait s'avérer un coup de maître si l'avionneur gère bien son affaire. D'abord, Airbus ne débourse pas un centime pour prendre le contrôle d'une gamme d'avions flambant neufs, et complémentaires de sa gamme de produits. Les CS100 et CS300 (respectivement 110 et 130 places) complètent sa gamme de monocouloirs par le bas (A320neo de 150 places, A321neo de 185 sièges). Il n'y a guère de cannibalisation à prévoir: l'A318 et l'A319, censés occuper le segment du CSeries, affichaient des ventes au point mort.
Boeing isolé
Deuxième avantage: en s'alliant avec Bombardier, Airbus encercle encore un peu plus la gamme de monocouloirs 737 MAX de Boeing, déjà à la peine face à l'A320neo (plus de 5.000 ventes contre 3.900). Le 737 MAX 7 américain affiche des performances commerciales plus que poussives. "Boeing ne dispose pas d'un concurrent viable sur la gamme des 100 à 150 sièges, estime Ernest Arvai, analyste chez AirInsight. Cela va accroître la domination d'Airbus sur les monocouloirs." Boeing a d'ailleurs dénoncé l'opération dès son annonce, évoquant "un accord contestable entre deux concurrents subventionnés par l'Etat".
Le troisième atout est plus défensif : en s'offrant le CSeries, Airbus évite le scénario, régulièrement évoqué, d'une prise de contrôle du programme par un acteur chinois comme l'avionneur Comac. L'alliance entre les moyens quasi-illimités de Pékin et l'expertise aéronautique canadienne aurait pu menacer la domination du duopole Airbus-Boeing. "Le CSeries aurait été bénéfique pour le programme C919 de Comac, et leur aurait apporté instantanément des capacités technologiques avancées", souligne Ernest Arvai. L'avionneur s'évite ce casse-tête, sans bourse délier.
Le CSeries relancé aux Etats-Unis ?
La dernière motivation de l'accord est encore plus subtile : la prise de contrôle du CSeries pourrait permettre à Bombardier de s'extirper des griffes des autorités anti-dumping américaines. Comment ? Airbus a d'ores et déjà annoncé qu'il allait produire les CSeries destinés au marché américain en agrandissant son usine de Mobile (Alabama). L'appareil ne serait ainsi plus considéré comme canadien, mais bien comme américain… évitant de ce fait les fameux 300% de droits anti-dumping. "Quand vous produisez un avion aux Etats-Unis, il n'est pas sujet des taxes d'importation selon les règles américaines", a ainsi indiqué le patron de Bombardier Alain Bellemare. Reste à voir quel accueil accorderont les autorités américaines à cet improbable jeu de cache-cache.
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