Margrethe Vestager trace son chemin avec constance et fermeté. Mercredi 4 octobre, la commissaire européenne à la concurrence, qui s’est déjà illustrée en imposant une sanction record de 13 milliards d’euros à Apple, a confirmé qu’Amazon avait bénéficié d’aides d’Etat illégales du Luxembourg et exigé, au nom du respect du droit de l’Union, que le géant américain de la vente en ligne restitue « environ 250 millions d’euros » au Grand-Duché.
Mme Vestager a par ailleurs profité de cette annonce pour dire</a> que la Commission va attaquer</a> l’Irlande, qui n’a toujours pas récupéré auprès d’Apple les plus de 13 milliards d’euros d’impôts impayés, comme Bruxelles le lui avait ordonné.
Depuis 2015, Bruxelles a multiplié les décisions pour aides d’Etat illégales : elle a épinglé Starbucks (avec les Pays-Bas) et Fiat (Luxembourg) en octobre 2015, une grosse trentaine de multinationales ayant bénéficié des largesses de la Belgique en janvier 2016, et ouvert des enquêtes au sujet des accords signés entre McDonald’s et Engie, toujours avec le Luxembourg.
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Que reproche la Commission européenne à Amazon ?
Bruxelles enquête depuis trois ans au sujet d’un rescrit (un accord fiscal) entre l’administration luxembourgeoise et la société de Seattle qui a permis à cette dernière, durant huit ans (entre 2006 et 2014) d’échapper en grande partie à l’impôt sur les sociétés en Europe. « Grâce aux avantages fiscaux illégaux accordés par le Luxembourg à Amazon, près de trois quarts des bénéfices d’Amazon n’étaient pas imposés », a insisté Mme Vestager, mercredi.
« Amazon a pu payer</a> quatre fois moins d’impôts que d’autres sociétés locales soumises aux mêmes règles fiscales nationales », a ajouté la Danoise, qui s’est fixée comme objectif, avec son collègue chargé de la fiscalité Pierre Moscovici, que les entreprises soient effectivement taxées là où elles réalisent leurs profits.
Comment Amazon a-t-il pu échapper</a> aux taxes dans l’UE ?
Le groupe a choisi de baser</a> son siège social européen dans le Grand-Duché, au travers, particulièrement, de sa filiale « Amazon UE », une société dite « d’exploitation », gérant l’ensemble des ventes d’Amazon dans l’Union, la logistique, les relations avec les clients, etc.
En vertu d’un rescrit émis en 2013 (et reconduit en 2011), le fisc du Grand-Duché a accepté que cette filiale verse des royalties, correspondant à des droits de propriété intellectuelle (usage de logiciels, de noms de marques…) à une autre entité luxembourgeoise, Amazon Europe Holding Technologies, une holding non imposable dans le Grand-Duché.
Le problème, c’est que les royalties versées à cette « coquille vide », selon les termes de Mme Vestager, ont atteint des montants considérables, jugés très exagérés par la Commission, correspondant aux trois quarts des bénéfices de la société « d’exploitation », conduisant donc Amazon à ne quasiment pas payer d’impôts.
Le rescrit n’est désormais plus appliqué mais jusqu’en 2014, il a permis que le taux d’imposition effectif d’Amazon en Europe, durant huit ans, soit plafonné à 7,25 %.
Que disent les autorités luxembourgeoises ?
« Amazon ayant été taxé en accord avec les règles fiscales en vigueur à l’époque, le Luxembourg estime que la société ne s’est pas fait garantir</a> d’aides d’Etat incompatibles avec les traités de l’Union », a protesté officiellement le Grand-Duché, mercredi, qui a cependant rappelé son engagement à « lutter fermement pour la transparence fiscale et contre la fraude et l’évasion fiscales. »
Le pays a changé sensiblement d’attitude après le scandale Luxleaks. Ce dernier ayant révélé fin 2014 que le Luxembourg avait signé des centaines de rescrits très généreux avec des multinationales. Le pays a notamment accepté l’obligation de transmission de ses rescrits aux autres capitales, permettant à l’Union de progresser</a> sur des sujets fiscaux réclamant l’unanimité en Europe.
Luxleaks a aussi contribué à sortir</a> Bruxelles d’une longue apathie vis-à-vis des abus fiscaux des multinationales. Ebranlé par un scandale touchant un pays dont il a été premier ministre pendant dix-huit ans, Jean-Claude Juncker, président de la Commission depuis fin 2014, a donné carte blanche à Mme Vestager.
Pourquoi la Commission attaque-t-elle Dublin à propos d’Apple ?
« La Commission assigne l’Irlande devant la Cour de justice de l’Union européenne (UE) pour non-récupération des avantages fiscaux perçus illégalement par Apple », a déclaré Mme Vestager, rappelant que « plus d’un an » s’était écoulé depuis le jugement de la Commission.
« Nous comprenons que dans certains cas, la récupération peut être</a> plus complexe que dans d’autres. Mais les Etats membres doivent faire</a> des progrès suffisants pour rétablir</a> la concurrence », a ajouté la Danoise.
Les Pays-Bas ont par exemple récupéré 100 % des sommes dues par Starbucks en neuf mois, et le Luxembourg en quatre seulement auprès de Fiat.
La réponse de Dublin n’a pas tardé : « L’Irlande n’a jamais accepté l’analyse de la Commission dans le cas de sa décision concernant Apple », a fait savoir</a> Dublin mercredi, qui s’est dit « extrêmement déçu » par l’assignation devant la plus haute juridiction de l’UE.
L’Irlande a multiplié les recours pour éviter</a> d’appliquer la décision bruxelloise, et ce malgré un débat national intense. Le pays, connu pour les conditions fiscales avantageuses réservées aux multinationales du numérique, craint de pénaliser</a> Apple, un des principaux employeurs privés du sud de l’île.
L’Europe s’acharne-t-elle sur les géants américains du net ?
Cette critique est formulée depuis plusieurs mois à l’encontre de Mme Vestager. Celle-ci a désormais une réponse bien rodée : « Toutes les entreprises opérant sur le territoire européen doivent respecter</a> les règles du marché intérieur, cela n’a rien à voir</a> avec les Etats-Unis, je n’ai aucun préjugé défavorable », s’est-elle défendue.
L’Europe aboutira-t-elle à un consensus sur une fiscalité adaptée au numérique ?
Peut-être. Jusqu’à présent, ce sont les opinions publiques qui ont poussé les gouvernements à agir</a>. Depuis la fin de cet été, la France défend à Bruxelles un impôt sur le chiffre d’affaires des géants du net, pour couper</a> court à leurs stratégies d’évitement fiscal.
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La Commission s’est engagée à rédiger</a> une proposition législative dans ce sens. Dix-huit pays ont rejoint la proposition hexagonale, mais il manque encore à l’appel les « usual suspects » (l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, Malte…) pour espérer</a> un accord valable au niveau européen.
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/10/04/la-commission-europeenne-sanctionne-amazon-au-luxembourg-et-apple-en-irlande_5196039_3214.htmlBagikan Berita Ini
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