Oui, mais non. Oui, quelques difficultés sont à reconnaître, mais non, nous n’avons pas fauté : c’est en substance ce qu'a déclaré le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier, au JDD. Ce dimanche, six semaines après le déclenchement de l’affaire Lactalis – soit la contamination de 35 nourrissons, dont huit hospitalisés, depuis fin 2017, par des salmonelles dans des poudres de lait produites dans l’usine de Craon en Mayenne –, le patron secret du leader mondial des produits laitiers est sorti de son silence. Un entretien qui a tout de l’opération déminage. Deux pages et deux photos pour un homme invisible de tous, notamment des pouvoirs publics et les médias, depuis qu’il a pris en 2000 la direction du groupe fondé par son grand-père.

Un long entretien dans lequel il admet d’abord qu’il y a pu avoir des «erreurs humaines», tant sur le site de production qu’au niveau de la gestion par le groupe «des retraits» des lots en cause. Ou encore sur le fait «qu’il manquait cinq lots dans le premier fichier que nous avons transmis à Bercy. Cela a été corrigé dès le lendemain».

«La bactérie a été détectée sur un balai et un carrelage»

Mais non, affirme-t-il, l’usine de Lactalis n’a pas commis d’erreur dans la gestion de ce qu’il convient d’appeler une crise sanitaire. «Nous considérons qu’il n’y a pas eu de manquements de notre part sur les procédures», déclare Emmanuel Besnier au JDD. Puis : «Nous n’avions pas d’informations sur de possibles contaminations avant le 1er décembre.» Affirmant pourtant : «Nous avons eu deux alertes en août et en décembre 2017. La bactérie a été détectée sur un balai et un carrelage autour de la tour de déshydratation numéro 1, mais pas au même endroit.» Confirmant ainsi les informations du Canard enchaîné, qui a fait état de deux autocontrôles réalisés par l’usine avant la déclaration officielle, lesquels n’ont pas été notifiés aux autorités sanitaires, et relevant des traces de salmonelles dans l’usine de Craon.

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Mais malgré la seconde alerte, «nous n’avions toujours pas d’éléments montrant que nos produits étaient touchés», explique le PDG. Or, «nous sommes seulement obligés de communiquer si des produits sont touchés, ce qui n’a jamais été le cas». Donc, malgré deux alertes en août et en décembre sur la présence de ces bactéries sur le site, Lactalis n’a pas établi que des poudres de lait pouvaient ou étaient contaminées. Pour seule explication concernant la présence de salmonelles dans la tour numéro 1 de Craon, Emmanuel Besnier avance des «travaux au premier trimestre dans l’usine. A cette occasion, la bactérie peut avoir été réintroduite à l’intérieur des installations. Nos investigations portent sur la manière dont les travaux ont été effectués». Pour mémoire, en 2005, avant que Lactalis rachète cette usine, cette dernière avait déjà été frappée par la présence de salmonelles.

«Indemniser toutes les familles»

Quant à la décision de retrait des produits possiblement infectés, le milliardaire laitier n’hésite pas à contredire le ministre de l’Economie, qui a annoncé la semaine passée avoir décidé lui-même de procéder à ces retours, car Lactalis refusait de le faire. «Au contraire, dit-il. C’est moi qui l’ai proposé à Bruno Le Maire pour simplifier la procédure de rappel. Si cela a été présenté par certains médias comme une injonction du ministre, c’est à tort.» Jeudi, il a pourtant été clairement présenté par Bercy, lors d’un point presse, qu’après les premiers constats de cas de salmonellose, c’est le ministre de l’Economie qui a exigé le rappel des lots de lait en poudre de Caron, possiblement contaminés. Le laitier reconnaît néanmoins que son groupe préconisait «un retrait des lots produits après le 1er mai alors que le ministère de l’Economie voulait remonter au 15 février. La préconisation du gouvernement était la meilleure». Une prise de conscience bienvenue, mais un peu tardive. «La période des fêtes a pu avoir un impact sur les opérations de retrait», avance nonobstant et tranquillement Emmanuel Besnier.

La suite de l’entretien au JDD relève de la pure communication de crise. Le milliardaire de Laval promet d’«indemniser toutes les familles qui ont subi un préjudice». Et de payer intégralement sur les fonds du groupe les 250 salariés du site contraints au chômage technique. Avant de promettre : «Nous allons tirer les leçons de cette crise et rebâtir un plan de contrôle sanitaire encore plus strict en concertation avec les autorités.» Quoi qu’il en soit, «à aucun moment il n’a eu une intention de cacher les choses». Pas sûr que cette rarissime sortie médiatique suffise à rassurer les consommateurs qui, par centaines, ont déposé plainte dans toute la France contre l’industriel.

Philippe Brochen