Les concentrations se poursuivent dans la distribution, sur fond d'union sacrée «omnicanal» des enseignes traditionnelles en dur et des marchands en ligne. Après celui des Galeries Lafayette et de La Redouteà la fin de l’été dernier et l’entrée de Carrefour au capital de Showroomprive.com fin 2017, l’enseigne Monoprix, leader de la distribution en centre-ville, vient d’annoncer ce lundi être entré en négociations exclusives afin d’acquérir le chausseur en ligne Sarenza. L’opération, dont le montant n’a pas été révélé, doit permettre à Monoprix de «compléter son offre» et de se renforcer dans la vente en ligne, précise sa maison mère, Casino.

Petits joueurs

Créée en 2005 et dirigé par Stéphane Treppoz, qui chapeauta les activités d’AOL en France, le leader de la vente de chaussures en ligne distribue 770 marques et 52 000 modèles. Il réalise un chiffre d’affaires d’environ 250 millions d’euros par an. En janvier dernier, il avait mandaté la banque Rothschild pour s’associer à un partenaire industriel ou financier afin de pouvoir accélérer son développement. Un changement de pied intervenu à peu près au moment où son concurrent Spartoo (165 millions d’euros de chiffre d’affaires) annonçait le rachat de l’enseigne André et de ses 200 points de vente, dont 165 dans l’Hexagone. A côté du leader européen de l’habillement en ligne, l’Allemand Zalando (plus de 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires), les deux Français font aujourd’hui figure de petits joueurs. Dans la course à la taille et aux économies d’échelle dans les achats et la logistique, ils restaient trop petits pour pouvoir espérer tirer seuls leur épingle du jeu dans un marché de la chaussure qui pèse près de 9 milliards en France, dont 13% sur Internet.

Le danger Amazon

Ce rapprochement était également une nécéssité pour le très rentable Monoprix face à la montée en puissance d’Amazon. Après avoir décimé le paysage américain de la grande distribution outre-atlantique, le numéro un mondial du commerce en ligne cherche de notoriété publique à racheter un grand acteur de la distribution physique dans l’Hexagone, comme il l’a fait l’été dernier aux Etats-Unis en s’emparant, pour 13,7 milliards de dollars, des supermarchés bio Whole Foods Market. A l’automne, la rumeur indiquait d’ailleurs qu’il avait approché le groupe Casino pour acquérir Monoprix, sans succès. Monoprix avait préféré en novembre conclure un accord avec le britannique Ocado, spécialiste de la gestion des entrepôts, pour développer la vente en ligne de ses produits alimentaires et répliquer ainsi à l’offre dans ce domaine d’Amazon à Paris. Mais il restait également très faible dans le non-alimentaire avec des ventes en ligne totalement marginales d’après les spécialistes. En rachetant Sarenza, l’objectif est d’atteindre environ 10% des ventes totales à l’horizon 2022 dans l'habillement, les accessoires et donc désormais les chaussures sur Internet. Une tâche qui incombera à Stéphane Treppoz qui, outre le maintien de ses fonctions chez Sarenza, va piloter l’ensemble des activités de e-commerce non alimentaire chez Monoprix.

20% de retours

En 2015, ce dernier avait indiqué que Sarenza serait «vendu ou introduit en bourse d’ici trois ans». Il visait alors 500 millions de revenus à l’horizon 2018, un chiffre qui ne sera pas atteint. En raison de la gratuité des livraisons et de la possibilité pour les clients de les renvoyer tout aussi gratuitement dans un délai de sept jours comme le prévoit la loi sur le commerce électronique (des retours qui représenteraient plus de 20% de la marchandise chez Sarenza selon les estimations des spécialistes), l’enseigne ne parvient toujours pas à gagner de l’argent. En s’intégrant au groupe Casino qui a déjà une grande expérience du e-commerce (il a racheté dès 2000 le soldeur en ligne Cdiscount), il pourra développer des points de vente et surtout de retrait dans les Monoprix, très bien implantés en centre-ville, afin de mieux servir sa clientèle. Une stratégie que Casino va également développer dans ses hypermarchés avec Cdiscount dans des espaces qui seront labellisés à son nom.

«On s’est battus seuls face au pouvoir des GAFAs mais c’est un combat déséquilibré. On sera plus forts pour innover ensemble», a tweeté ce lundi Stéphane Treppoz. L'entrepreneur, qui rappelle qu’à la différence d’Amazon, Sarenza paie la totalité de ses impôts en France où il salarie la quasi-totalité de ses employés, n’a cessé d’alerter les pouvoirs publics sur la concurrence déloyale dont il fait les frais dans l’Hexagone. L’annonce, en décembre dernier, de poursuites engagées par le ministère de l’Economie contre Amazon pour «pratiques abusives» à l’encontre des commerçants qui vendent leurs produits sur sa «place de marché» hexagonale, l’avait réjoui. «Quand 40 ou 50% de votre chiffre d’affaires dépend d’Amazon, vous ne dîtes rien parce que vous avez trop peur pour l’avenir de votre entreprise, déclarait-il alors aux Echos.C’est très bien que l’omerta soit levée. Maintenant, il faut absolument que l’Autorité de la concurrence, qui fait du très bon boulot, s’assure que les pratiques changent, sous réserve d’une amende beaucoup plus forte la prochaine fois.» Dans cette affaire, Amazon ne risque qu’une amende de 10 millions d’euros. Autant dire une paille pour le géant américain qui, selon le dernier baromètre Médiamétrie du e-commerce en France, reçoit plus de 24 millions de visiteurs uniques par mois et 3,6 millions par jour.

Christophe Alix