Auditionné mercredi soir au Palais Bourbon, l'ancien PDG d'AlstomPatrick Kron a sans aucun doute passé l'un des moments les plus inconfortables de sa vie. Pendant plus de trois heures, le Polytechnicien de 64 ans, aujourd'hui président du fonds français de capital-risque Truffle Capital, a été passé sur le grill par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. C'est à un véritable pugilat auquel on a assisté. Avec les petites phrases qui font mouche, les bons mots à la Audiard, mais aussi des excès inutilement blessants.
Les députés voulaient en savoir plus sur l'incroyable feuilleton qui déboucha en 2014 sur la vente d'Alstom à l'américain General Electric pour 12 milliards de dollars. Une vente qui a laissé pas mal d'observateurs interdits, car le fleuron de l'industrie française ne semblait pas menacé à court terme. A l'époque, le plus violent contempteur du deal fut Arnaud Montebourg. N'ayant pas été mis dans la confidence des pourparlers entre les deux entreprises, l'ex-ministre de l'Economie voulait installer un détecteur de mensonge dans le bureau de Patrick Kron.
Sur la vente d'Alstom, la position de l'ex-patron est connue. Alstom n'avait pas la taille critique. Pas assez de clients, pas assez de capitaux. Voilà pourquoi le 9 février 2014, il a contacté le PDG de GE Jeff Immelt en vue d'un possible rapprochement. Rapprochement qui eut lieu un peu plus de deux mois plus tard, le 23 avril 2014, à la suite d'une fuite de l'agence Bloomberg. Hier à l'Assemblée nationale, l'ancien patron n'a pas varié d'un iota. "Chaque jour a conforté la pertinence de l'analyse qui avait été faite sur le risque que le statu quo faisait courir au groupe. Les faits m'ont donné raison sur la nécessité d'agir et également sur le choix du partenaire qui a été retenu".
Un storytelling sympathique mais qui peine à convaincre. Car au même moment, Alstom était poursuivi aux Etats-Unis pour des faits de corruption, à la suite d'un contrat remporté en Indonésie en 2002. Dans le viseur des autorités américaines, l'industriel devra s'acquitter d'une amende de 772 millions de dollars. L'arrestation le 14 avril 2013 d'un de ses cadres, Frédéric Pieruci, puis la lourde peine qu'il a subie (14 mois d'incarcération, puis 30 mois de condamnation à partir de septembre 2017), auraient semé la panique au sein du groupe. Est-ce pour cette raison que Patrick Kron a pris les devants en proposant de céder Alstom à GE ? L'ex-boss réfute évidemment cette thèse. Il parle de "complotisme", "d'obscénité absurde".
Kron à Montebourg : «Allez-vous continuer à m’emmerder ?»
C'est la quatrième fois que Patrick Kron est interrogé par les députés. A son arrivée au Palais Bourbon, l'homme est comme à son habitude plutôt confiant. Il va rapidement déchanter. Il est d'abord cueilli à froid par la longue introduction du président de séance Olivier Marleix. Très bien informé, le député (LR, Eure-et-Loir) pose des questions précises. Notamment celle-ci. La perspective de payer une lourde amende alors que la trésorerie d'Alstom s'élevait à seulement 1,5 milliard d'euros a-t-elle interféré dans la discussion avec GE ?
Patrick Kron répond en évoquant ce qu'il considère comme une incroyable rumeur. "J'aurais vendu à la demande et sous la pression de la justice américaine pour me protéger de poursuites à mon égard, dit-il le visage grave en détachant les syllabes. Je le répète solennellement et sous serment. Je n'ai jamais subi quelque pression que ce soit. Je n'ai jamais été exposé à aucun chantage de quelque juridiction que ce soit". Et il ajoute : "ces insinuations sont infondées, insultantes à mon égard".
Mais cette posture martiale n'impressionne pas les députés. Olivier Marleix reprend sa question en disant que dès 2010, Patrick Kron avait connaissance de la procédure américaine. Et qu'il ne pouvait ignorer qu'avant Alstom, l'Allemand Siemens avait dû payer une lourde amende de 800 millions de dollars. Ce à quoi l'ex-PDG répond : "pensez-vous vraiment qu'on mène une opération de 12 milliards de dollars pour éviter de régler une amende de 700 millions ?". Il ajoute qu'Arnaud Montebourg lui fait un mauvais procès. Certes, il n'a pas évoqué avec l'ancien ministre le dîner qu'il a eu avec Jeff Immelt. Mais à ce moment-là, rien n'était signé. "Et dîner avec quelqu'un, ce n'est pas lui donner les clés de la maison". Il en profite pour régler ses comptes et révéler les échanges très crus qu'il eut avec Montebourg. "Je lui ai dit : "allez-vous continuer à m'emmerder ?" Il m'a répondu : "on a besoin de bouc-émissaires". Je ne veux pas être un bouc-émissaire".
«Les coûts exorbitants du deal»
Olivier Marleix demande aussi à Patrick Kron des explications sur ce qu’il appelle «les coûts exorbitants du deal» : pas moins de 300 millions de dollars qui auraient été versés à 9 cabinets d’affaires, à la banque Rothschild et aux agences de com DGM et Publicis. L’ancien patron évalue le coût à un peu plus de 250 millions de dollars. Et pour la première fois, il en fournit le détail. «Les honoraires se sont élevés à 100 millions, 20% pour les banques d’affaires, 80% pour les avocats. Les 150 millions et plus restants sont des frais de tous ordres, des impôts et des taxes». Fabien Lachaud (France Insoumise, Seine-Saint-Denis) s’étonne, lui, de certaines coïncidences. Notamment le profit warning du 20 janvier 2014 qui a rendu «la transaction plus facile».
Sur le deal en lui-même, Kron indique que selon les termes de l’accord, les passifs liés à la branche énergie relevaient de GE. L’amende de 772 millions de dollars devait donc être payée par le géant américain. Las ! «Ce n’est qu’à la fin de la discussion que le DOJ (la justice américaine) nous a contraints à renoncer à la clause de transfert d’amende à GE, indique l’ex-patron. Ca ne m’a pas fait plaisir. Mais j’ai considéré qu’il était dans l’intérêt d’Alstom de signer. Les actionnaires ne m’en ont pas tenu rigueur, la vente ayant été approuvée à hauteur de 99,2%». Daniel Fasquelle (LR Pas-de-Calais) conteste ce scénario. «Vous avez devant vous une carrière de romancier», lance le député qui note que non seulement l’énergie d’Alstom a été vendue à GE mais qu’Alstom Transport est désormais allemand. «En quelques années, vous avez démantelé une entreprise de 140 ans». Patrick Kron marque le coup. Au député Fasquelle et à ses collègues qu’il ne parvient pas à convaincre, il répond : «je ne suis pas un romancier mais un mauvais avocat».
Une prime de plus de 4 millions d’euros
Interrogé ensuite sur le cas de Frédéric Pieruci qu’il appelle familièrement «Fred», l’ex patron tente de s’expliquer. «On a proposé de payer sa caution, ça nous a été refusé. Quand il a plaidé coupable, on a interrompu son contrat de travail. C’est une situation difficile, sensible, douloureuse. Il (Frédéric Pieruci) n’a rien fait dans cette affaire pour son intérêt personnel». Des explications qui là encore, ne convainquent pas. Certains députés acceptent difficilement que Frédéric Pieruci soit en ce moment «au trou», selon l’expression d’Olivier Marleix, alors que Patrick Kron ait reçu d’Alstom une prime de plus de 4 millions d’euros.
Un député lâche : «Qu’avez-vous fait ensuite (avec Frédéric Pieruci) ? La moindre des élégances eût été que vous régliez les honoraires d’avocats». Fabien Lachaud ira, lui, beaucoup plus loin. «Pourquoi n’avez-vous pas été arrêté quand vous êtes allé aux Etats-Unis ? Ne trouvez-vous pas obscène d’arborer ici la légion d’honneur, alors que l’honneur voudrait peut-être que vous soyez en prison à la place de M. Pieruci». Patrick Kron répond qu’il était aux Etats-Unis la semaine dernière. Et il ajoute, comme une bête blessée : «Votre question, elle est insultante monsieur le député. Je ne suis coupable de rien. Je n’ai été l’objet d’aucune menace, d’aucun chantage, d’aucune pression. Les accords signés avec le DOJ ne remettent en rien quelque possibilité que ce soit de poursuivre n’importe quel cadre de la société. Arrêtez avec ce procès d’intention».
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