Vue imprenable sur le siège social de la SNCF. Le bâtiment dans lequel est installée la CFDT-cheminots se situe à une centaine de mètres, à vol d’oiseau, du QG de l’entreprise ferroviaire, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). En se penchant un petit peu, le PDG Guillaume Pepy pourrait presque, de son bureau, apercevoir les syndicalistes et leur adresser un petit signe de la main. Pour l’heure, c’est dans cet immeuble aux allures de succursale bancaire que les quatre organisations syndicales représentatives (CGT, UNSA, Sud rail et CFDT) ont choisi d’afficher leur unité après huit jours de grève, entrecoupés de quinze jours de travail. Toutefois, au lendemain de l’annonce par Edouard Philippe d’une invitation à discuter séparément avec chacun des syndicats, les organisations concernées veulent y voir une première avancée en leur faveur.

Pas question de baisser la garde

Il est vrai qu’une semaine plus tôt, la demande de discussion directe avec le Premier ministre avait été suivie d’un refus poli mais ferme. Depuis, le conflit a eu tendance à s’encalminer, d’autant que les représentants des salariés ont, d’une seule voix, annoncé qu’ils ne discuteraient plus avec la ministre des Transports. En attendant cette rencontre prévue le 7 mai, les syndicats entendent afficher un cocktail d’unité et de fermeté. Ce qui donne, dans les propos du secrétaire général de la CGT Laurent Brun : «Soit on continue sur la lancée de cette réforme qui est vide de sens, soit nous avons des propositions du gouvernement et nous négocions sur des mesures concrètes.» Une invitation à peine voilée à ce que l’Etat fournisse un cadre de discussion dans lequel les désaccords et les accords pourront être exprimés.

En revanche, d’ici-là, pas question de baisser la garde. Les jours de grève programmés le resteront et la CGT appelle à «une journée sans cheminots» le 14 mai. Ce qui ne manque pas de surprendre : cette date correspond déjà à une journée de grève, dans le cadre de l’agenda des deux jours d’arrêt de travail sur cinq, programmés jusqu’au 28 juin. Parallèlement, Sud-rail pousse pour que le calendrier soit bouleversé de manière à désorganiser les plans de transports déjà établis par la direction de la SNCF. La CGT, elle, s’y refuse. L’unité syndicale n’exclut pas quelques dissonances…

Une convention collective «haut de gamme»

L’essentiel de la réforme pourrait toutefois se jouer entre le 7 mai, date de la rencontre entre les syndicats et Edouard Philippe, et le 29 mai, quand le Sénat examinera, après l’Assemblée, la loi sur l’avenir du transport ferroviaire. Un scénario se dessine selon lequel le gouvernement appuierait une convention collective assez protectrice de l’ensemble des salariés du secteur ferroviaire.

L’avantage serait double. D’abord, ce nouveau cadre permettrait de faire avaler plus facilement la pilule de la fin du recrutement au statut pour les cheminots en garantissant certains avantages après son extinction. Ensuite, il rassurerait ceux qui seront transférés chez un nouvel opérateur ferroviaire dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du réseau ferré français. Leur nouvel employeur leur fournirait de solides garanties. Seul hic, cette convention collective «haut de gamme» devra être approuvée par l’ensemble des entreprises du secteur ferroviaire dans le transport de passagers ou de marchandises et pas uniquement par la SNCF.

En cas d’échec, le gouvernement pourrait être tenté de passer en force dès la fin du mois de juin, une fois la loi sur la réforme ferroviaire définitivement votée au Parlement. A ce stade, l’ouverture à la concurrence et la fin du statut auront acquis force de loi et le reste des mesures pourra être acté sous forme d’ordonnances par le gouvernement.

Une hypothèse dure qui n’échappe pas aux syndicats et notamment aux centrales les plus réformistes. «Personne n’est opposé à une réforme, mais nous refusons le recul social», résume Roger Dillenseger, le secrétaire général de l’UNSA, qui compte le plus grand nombre de cadres et d’agents de maîtrise.

Franck Bouaziz