
Associations et salariés s'alarment des taux importants de rejets toxiques constatés dans l'usine Sanofi fabriquant de la Dépakine.
Scandale aux racines de la Dépakine. Une controverse vise depuis dimanche l'usine du laboratoire Sanofi de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), qui produit les principes actifs de ce médicament anti-épileptique interdit aux femmes enceintes, en raison des malformations qu'il peut provoquer sur les foetus.
France Info et Mediapart ont révélé que cette usine, située dans le bassin du Lacq, rejette des composés organiques, dont l'un, le bromopropane, classé cancérigène. Ces substances se retrouvent à l'air libre à des taux qui dépassent de façon colossale les normes autorisées. Les salariés s'insurgent de ne pas avoir été prévenus de cette inquiétante pollution, et s'interrogent.
"Un dépassement de 90 000 fois et 190 000 fois la norme"
Un rapport de la Dreal (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) de Nouvelle-Aquitaine, auquel L'Express a eu accès, dénonçait mi-avril "le non-respect des valeurs limites de rejets" de certaines substances, pourtant fixées par un arrêté préfectoral datant de 2009. Ce document, qui se base sur des mesures effectuées par Sanofi dans son usine les 18 et 19 octobre 2017, puis en mars dernier, évoque "des concentrations élevées voire très élevées" de cinq substances : le bromopropane, le toluène, le propène, l'isopropanol, le valéronitrile.
"L'écart le plus significatif porte sur le bromopropane", note la Dreal. L'association France Nature Environnement souligne que ces deux contrôles "ont révélé un dépassement de 90 000 fois et 190 000 fois la norme". Ces rejets ont été constatés au niveau des colonnes d'abattage de l'usine, les infrastructures qui traitent les gaz avant qu'ils ne soient rejetés dans l'air.
Le bromopropane, un cancérigène possible
La Dreal explique qu'il s'agit d'"une substance classée H360 FD, pouvant nuire à la fertilité et au foetus". "Le bromopropane entre dans la composition du valproate de sodium, lui-même utilisé pour la fabrication de la Dépakine. Et on sait d'ores et déjà qu'il présente un danger pour les femmes enceintes. On ne peut pas se permettre de jouer sur ces produits", dénonce aussi auprès de L'Express Patrick Mauboulès, de la Sepanso (fédération régionale des associations de protection de la nature de la région Aquitaine).
Le National Toxicology Program, aux États-Unis, a recommandé que le bromopropane soit classé comme "cancérigène possible pour les humains". Des études menées sur des souris ont révélé qu'une exposition par inhalation menait au développement de tumeurs, notamment pulmonaires, chez un nombre élevé de ces rongeurs.
La menace d'une plainte contre Sanofi
Mercredi, une réunion déterminante sera organisée entre plusieurs associations, le groupe pharmaceutique ainsi que les services de l'état. La Sepanso, ainsi que l'ONG France Nature Environnement (FNE), attendent d'en savoir davantage sur la stratégie de Sanofi pour mettre fin à ces émissions démesurées, mais si leurs attentes ne sont pas respectées, elles annoncent d'ores et déjà qu'elles porteront plainte contre le laboratoire.
"On fait face à une situation aberrante sur le site, qu'il faut arrêter de suite. On ne peut pas se contenter des annonces de l'industriel qui assure qu'il veut modifier son processus, pour une baisse des émanations d'ici la fin de l'année", s'insurge Patrick Mauboulès, de la Sepanso. "Nous attendons que Sanofi présente un plan concert et rapide à mettre en oeuvre pour faire cesser les pollutions, et nous demandons si nécessaire une fermeture administrative. Il faut maintenir la pression pour faire des travaux", complète Solène Demonet, de France Nature Environnement.
Des engagements de Sanofi
La Dreal a mis en demeure le groupe Sanofi, afin qu'il se soumette aux règles en vigueur dans les trois mois. "Nous avons pris toute la mesure de ce sujet, qui a été pris en charge depuis plusieurs mois par Sanofi Chimie et les autorités de l'Etat", assure auprès de L'Express le groupe pharmaceutique.
Pendant une période de maintenance de l'usine, prévue dès vendredi 13 juillet, Sanofi s'engage à "procéder à des analyses et des installations d'équipements complémentaires pour continuer à réduire drastiquement les rejets associés à l'activité du site".
Le groupe souligne avoir "diligenté une étude d'impact sanitaire auprès d'un organisme indépendant qui a conclu que les populations ne sont pas exposées à des niveaux supérieurs aux seuils fixés par la réglementation française".
300 personnes travaillent dans la zone
"Nous demandons qu'une autre étude sanitaire soit réalisée et qu'elle soit étendue au-delà du périmètre de 2 km couvert par la précédente étude", rétorque de son côté Solène Demonet, de France Nature Environnement, qui rappelle que près de 300 personnes travaillent à proximité de l'usine.
Les représentants syndicaux du site de Mourenx, qui compte une quarantaine de salariés, ont été avertis du problème fin mai, affirme Jean-Louis Peyren, élu CGT, à l'origine d'un tract d'information transmis dans la foulée à ses collègues. "On est scandalisés par la situation, tout le monde est stupéfait. On ne comprend pas comment on peut rejeter de telles quantités sans le savoir", s'inquiète-t-il. Ce lundi, un mail de la direction de Sanofi a par ailleurs été adressé à l'ensemble des employés du laboratoire.
"Depuis quand y a-t-il de tels rejets ?"
"Sanofi ne peut pas se contenter de régler le problème, le groupe doit aussi penser aux dangers qu'il a pu faire subir aux salariés. Il faut désormais savoir si certains d'entre eux n'ont pas été intoxiqués. Notre coeur de métier, c'est de soigner les populations, pas de les rendre malades", ironise aussi le délégué syndical, pétri d'interrogations. "Depuis quand y a-t-il de tels rejets ? Peut-il y avoir d'autres rejets du genre sur d'autres sites ?"
Pour Solène Demonet, de France Nature Environnement, des études sanitaires d'ampleur doivent être menées. "Il faut se poser la question de l'impact de cette substance sur la population et rechercher des gens qui auraient pu être confrontés à cette pollution. On doit aussi se demander si des femmes, salariées de la zone ou riveraines, ont eu des problèmes de grossesses ou des problèmes de santé de leur foetus. Car on ne sait pas depuis combien de temps ça dure. Des travaux ont été menés sur le site en 2012, mais l'usine fabrique de la Dépakine depuis 1978, alors, était-ce déjà le cas avant ?", s'interroge-t-elle aussi.
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