
Benjamin Smith a affirmé dans la presse britannique que le gouvernement était prêt à céder les 14 % de parts qu’il détient dans la compagnie aérienne, provoquant un démenti de Bercy. Le nouveau patron aura aussi à régler la question salariale, à l’origine de la démission de son prédécesseur.
De l’art «d’ambiancer» un conseil d’administration. Alors que celui d’Air France-KLM était programmé jeudi après-midi, Benjamin Smith, le nouveau boss du groupe s’est fait remarquer, dès le matin par quelques déclarations bien senties au quotidien économique britannique The Financial Times. Il y affirme ainsi que «le gouvernement du président Emmanuel Macron est préparé à vendre les 14 % [du capital, ndlr] que l’Etat possède dans le groupe Air France-KLM».
Visiblement, rien n’a été laissé au hasard par celui que tout le monde surnomme «Ben» depuis son arrivée à Paris. Le choix du journal pour distiller ses confidences : un média britannique considéré comme une référence à la City et à Wall Street. Le timing : juste avant que les 18 membres du conseil d’administration se réunissent.
Benjamin Smith, qui n’est pas vraiment un perdreau de l’année dans le business du transport aérien - il a redressé la compagnie Air Canada -, a vraisemblablement voulu signifier, sans perdre un instant, que le temps des ronds de jambes avec l’Etat actionnaire était révolu. Il est vrai qu’à la différence de ses prédécesseurs, sa nomination n’a, semble-t-il, pas été adoubée par l’Elysée. Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Economie et des Finances de recadrer assez sèchement le nouveau directeur général d’Air France-KLM, quelques heures seulement après ses déclarations : «Ça ne fait pas partie de la feuille de route de liquider la participation de l’Etat dans Air France», a martelé jeudi matin Bruno Le Maire au micro de France Info, avant d’enfoncer le clou, histoire de lever toute ambiguïté : «Ce que nous demandons à Ben Smith, c’est le redressement d’Air France.»
Agacement
Même point de vue du côté du Parlement : «Il n’y a pas de tabou sur cette question, mais ce n’est pas le moment, pour l’Etat, de vendre sa participation vu le cours de l’action», affirme le député LREM Jean-Baptiste Djebbari, pilote de profession. Et pour cause, le titre Air France-KLM a chuté de 35 % en Bourse depuis le début de l’année et se traîne à 8,68 euros. S’il vendait ses actions, l’Etat en retirerait en tout et pour tout 520 millions, soit le prix de deux Airbus longs courriers A 350. Or la puissance publique a acheté ses actions à un cours beaucoup plus élevé, ce qui fait dire à un dirigeant d’Air France-KLM, qui souhaite ardemment conserver l’anonymat : «En dessous d’un cours à 10 euros, l’Etat ne peut sérieusement envisager de vendre.» Sur la forme, en revanche, le nouveau patron d’Air France-KLM, qui a fait nuancer par son entourage les propos tenus au Financial Times, a peut-être perçu l’agacement du ministre de l’Economie. Lui comme son cabinet ont tendance à soupirer lorsqu’on prononce le nom du groupe aérien.
Déjà au mois de mai, Bercy avait très modérément apprécié que le précédent PDG, Jean-Marc Janaillac, claque la porte après avoir été mis en minorité à l’issue d’un référendum sur la politique salariale de la compagnie. D’autant plus qu’aucun scénario de succession n’avait été préparé tant les dirigeants de l’époque imaginaient un plébiscite. Ensuite, le feuilleton du recrutement du successeur, Benjamin Smith, qui a duré plus de trois mois, a achevé d’irriter Bercy. Sans oublier la tentative ratée cet été du groupe AccorHotels de racheter à l’Etat ses 14 % dans Air France-KLM. Les discussions, qui n’auraient pas dû franchir les murs du ministère de l’Economie, ont rapidement été éventées au grand dam des négociateurs.
Pour autant, Benjamin Smith, même s’il entend marquer son indépendance, ne peut vraiment se fâcher avec l’Etat, dont il espère quelques faveurs. Depuis des mois, Air France mène un lobbying intensif afin d’obtenir la baisse d’une série de charges sur le transport aérien. Au premier rang figure la taxe dite «Chirac», instaurée afin de financer l’aide au développement, payée par les compagnies aériennes au départ de Paris, donc essentiellement Air France.
Front uni
Décidé à mettre les pieds dans le plat, à tous les étages de l’entreprise, le nouveau patron entend secouer la direction générale d’Air France. Sa cousine germaine KLM lui donne moins de fil à retordre, elle ne réalise qu’un tiers du chiffre d’affaires, mais deux tiers des bénéfices, ce qui lui assure une certaine autonomie.
Au siège de la compagnie française, en revanche, la situation est plus complexe : le départ du numéro 1 Franck Terner a été acté par le conseil d’administration qui s’est tenu jeudi. Le directeur des ressources humaines, Gilles Gateau, est également donné partant. Benjamin Smith, qui a débarqué à Paris avec seulement deux de ses proches venus d’Air Canada, va vraisemblablement lancer une série de recrutements. Dans une entreprise où bon nombre de postes clés sont tenus par des hommes, Nathalie Stubler, la directrice de la filiale à bas coûts Transavia, forte de ses bons résultats, tient la corde pour devenir numéro 2 d’Air France.
Numéro 2 et pas numéro 1 car Benjamin Smith va piloter en direct Air France, en plus de la direction de l’ensemble Air France-KLM, de manière à montrer aux syndicats qui l’attendent de pied ferme sa volonté d’aller directement au contact avec eux. Un premier rendez-vous est d’ailleurs fixé au 1er octobre avec l’intersyndicale d’Air France. Ce front uni qui regroupe aussi bien les représentants des salariés aux sol, que ceux des pilotes et les hôtesses laisse planer la menace d’une grève si ses revendications salariales ne sont pas satisfaites. Benjamin Smith qui joue gros sur ce coup, pourrait tenter de manœuvrer dans une sorte de valse à trois temps.
Si l’on en croit un ponte d’Air France-KLM contacté par Libération, le directeur général commencerait par lâcher partiellement face aux 5,1 % d’augmentation salariale générale réclamés par les syndicats depuis des mois de manière à solder un vieux contentieux.
Ensuite, Benjamin Smith entamerait des discussions sur l’avenir des rémunérations en proposant un marché gagnant-gagnant : une progression des salaires garantie sur plusieurs années à la double condition : que les bénéfices de l’entreprise soient au rendez-vous et que des gains de productivité soient acceptés.
Jouer la montre
Enfin, restera à régler la question particulière des pilotes qui demandent une augmentation supplémentaire de salaire au motif que leurs confrères des autres compagnies seraient mieux traités. Sur ce dernier point, Benjamin Smith risque d’être tenté de jouer la montre. Dans quelques semaines, le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), qui fédère deux tiers des navigants de la compagnie, devra renouveler ses instances dirigeantes, et notamment son président. Or Philippe Evain, qui occupe la fonction et devrait solliciter son renouvellement, est perçu comme un dur qui n’hésitera pas à embarquer ses troupes dans une grève durable si les demandes de son organisation ne sont pas satisfaites. Le nouveau directeur général d’Air France pourrait donc spéculer sur le renversement du patron des pilotes et l’accession au pouvoir d’une équipe plus modérée dans ses revendications.
Dans cette hypothèse, Benjamin Smith apparaîtrait alors comme un pacificateur sur le plan interne, mais aussi comme celui qui maintient l’Etat à distance raisonnable. Deux défis sur lesquels ses prédécesseurs immédiats se sont cassé les dents, avant de tirer leur révérence, après moins de deux ans de mandat.
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