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UBS: le procès de la banque suisse s'ouvre à Paris

Le géant UBS et ses pratiques sont jugés. On ne saura pas qui étaient les milliers de fraudeurs fiscaux qui y ont recouru.

La presse avait ouvert le bal des révélations en 2010, la justice, qui avait suivi en 2011, s'apprête à examiner pendant plusieurs semaines le dossier des pratiques de la fraude fiscale : quel était le dispositif utilisé par les Français pour ouvrir discrètement des comptes en Suisse et dissimuler leurs bas de laine au fisc ? Et bien, selon la justice, cela passait entre autres par la banque UBS. Les juges Guillaume Daieff et Serge Tournaire, qui ont renvoyé en correctionnelle la banque et, au-dessus, sa maison mère UBS AG, la soupçonnent de "démarchage bancaire illicite", de "blanchiment aggravé de fraude fiscale" et de "complicité de blanchiment de fraude fiscale". Avec les représentants des banques, seront également jugés certains de ses anciens responsables, Français ou Suisses, dont certains avaient refusé de venir s'expliquer devant les juges d'instruction et avaient fait l'objet de mandats d'arrêt. Ce procès de l'une des plus grosses banques mondiales est une première en France. Poursuivie pour des faits similaires, HSBC, une autre banque suisse, avait, elle, évité les audiences publiques, et la mauvaise publicité qui en aurait été la conséquence, en signant une "convention judiciaire d'intérêt public", sorte de transaction pénale.  

C'est le dispositif mis en place par UBS - selon les juges, entre 2004 et 2012 - qui sera décortiqué au cours des prochaines semaines. Comment les commerciaux suisses venaient braconner en France pour tenter de démarcher de riches portefeuilles et les faire ouvrir des comptes non déclarés de l'autre côté des Alpes - une pratique illégale au regard de la loi française, selon laquelle le seul fait de démarcher un client en France peut être puni, même si l'intéressé n'a finalement pas transféré de fonds en Suisse.  

Emissaires clandestins en France

Les banquiers helvètes franchissaient la frontière - la plupart du temps de façon clandestine, en cachant leur qualité professionnelle - pour draguer des clients potentiels invités à des vernissages mondains, des événements montés autour du golf ou des voitures de sport, des tournois de tennis, des soirées à l'opéra, qu'ils co-organisaient et/ou cofinançaient avec la filiale française. Cette dernière a tenté de se défausser : "Ce que fait UBS Suisse en France, UBS France n'a pas vocation à le contrôler", a objecté l'un de ses représentants, assurant ne pas être au courant de ce que venaient faire les Suisses dans l'Hexagone. Mais l'attitude de la banque française était, selon l'ordonnance de renvoi des juges, "suffisamment ambiguë" pour la faire juger comme "complice" du démarchage et du blanchiment de fraude fiscale : dans l'esprit de la justice, qui se base sur nombre d'indices, UBS France a aidé sa mère suisse à cacher au fisc français les sommes récoltées à Paris, Lyon, Marseille ou ailleurs sur le territoire - lui valant ainsi des poursuites pour complicité de blanchiment de fraude fiscale.  

Des sommes oui, mais combien ? De longues discussions pourraient animer les débats à ce sujet, tant le chiffre est resté soigneusement caché par la banque. Les juges d'instruction soulignent dans leur ordonnance de renvoi qu'UBS "a refusé d'indiquer le montant des actifs" gérés et "tout élément permettant d'en calculer indirectement le montant". Pour tenter d'évaluer ce volume au doigt mouillé, les juges ont tenté trois méthodes distinctes. Ils ont multiplié par exemple le nombre de chargés d'affaires présents au siège par un montant moyen des sommes dont ils s'occupaient, un montant présumé identique à celui géré par les banquiers de la filiale française. Selon ce calcul, ils sont arrivés à 12,2 milliards d'euros d'argent géré. Autre évaluation : selon des listes fournies par le fisc allemand, la somme avoisinait les 8,6 milliards en 2006. Sur la base des calculs d'un économiste, les juges concluent enfin, sous certaines conditions, que ce sont 23 milliards d'euros qui pourraient avoir été placées par des Français dans les établissements d'UBS en Suisse - sans que ces fonds relèvent tous de la fraude fiscale.  

La faille de la transaction avec la justice

Pour tenter de se sortir de cette affaire, la banque - qui n'a, à lire le document des juges, quasiment pas collaboré aux demandes de renseignement qui lui avait été faites - a nié du début à la fin de l'enquête, en dégainant tous les arguments possibles : selon elle, il n'y aurait pas de preuves d'un quelconque démarchage qui aurait été effectué lors des contacts en France ; ou bien ses salariés qui auraient osé procéder à du démarchage ne seraient que des cas isolés. Pour UBS, les services bancaires qu'elle offrait étaient légaux et standards. Et si ses clients omettaient de déclarer leurs économies aux autorités fiscales, c'était leur problème et pas le sien. Lundi, à l'ouverture du procès, ses avocats plaideront toutes sortes de points juridiques, incluant une question prioritaire de constitutionnalité.  

Mais il y a une faille que les magistrats de la 32ème chambre correctionnelle du tribunal vont tenter d'exploiter. Mis en examen, Patrick de Fayet, ancien directeur commercial d'UBS France, a tenté en juin 2016 d'échapper au procès en signant une "transaction" avec la justice grâce à une "comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité". Mais le tribunal, refusant de valider cette transaction, provoque ainsi une curieuse situation : cet ancien numéro deux de la banque, qui avait toujours nié les faits qui lui sont reprochés (complicité de démarchage bancaire illicite et blanchiment de fraude fiscale), a failli les admettre officiellement. Sa lettre par laquelle il demande cette "reconnaissance préalable de culpabilité" sera examinée à l'audience.  

La direction de la banque rejette également les soupçons de la justice mais, elle aussi, avait tenté de négocier une transaction, sans aller toutefois jusqu'à effectuer la démarche officielle. La presse avait évoqué à l'époque ces démarches officieuses mais aujourd'hui la banque assure juste qu'il s'agissait de sortir du procès grâce à une transaction financière, sans plaider coupable pour autant. La somme réclamée par la justice aurait été tellement gigantesque que la banque aurait finalement préféré se présenter à son procès. Il faut dire qu'UBS a déjà payé plus de 1,1 milliard d'euros de caution, au moment de sa mise en examen. Aux Etats-Unis, elle a été sanctionnée pour 780 millions de dollars. En Allemagne, elle a réglé 300 millions d'euros. Une paille par rapport aux dizaines de milliards récoltés par ce géant bancaire en France et dans toute l'Europe pendant des dizaines d'années.  

L'ordonnance de renvoi signée par les juges d'instruction met en pièces l'industrie off shore suisse mais n'y figurent à peine une demi-douzaine de clients fraudeurs ou de "prospects" (visés par les démarcheurs suisses en France). Ni la banque ni les autorités n'ont coopéré avec la justice française. Hormis ceux qui se sont mis en règle ces dernières années avec les autorités françaises, les dizaines de milliers de fraudeurs français qui avaient choisi UBS resteront cachés 

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