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Evasion fiscale : ouverture à Paris du procès de la banque suisse UBS

Sept mois après la condamnation en appel de Jérôme Cahuzac, l’ancien ministre du budget qui dissimulait une partie de son argent dans un compte au sein de la banque suisse UBS, le sujet de la fraude fiscale s’invite de nouveau dans les prétoires. Mais, malgré certaines similitudes, le procès qui devait s’ouvrir, lundi 8 octobre, devant la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris ne relève pas de la même nature.

Les trois lettres « UBS » occuperont cette fois-ci une place centrale au cours des cinq semaines d’audience prévues, à raison de trois séances hebdomadaires. Aucune personnalité médiatique n’est attendue à la barre. Il ne s’agira plus de juger</a> le comportement d’un contribuable indélicat, mais le mode de fonctionnement d’un des plus prestigieux établissements financiers, suspecté d’avoir organisé un vaste système d’évasion fiscale, dans lequel la France figurait comme un attrayant terrain de chasse.

Au terme de cinq années d’enquête, les juges d’instruction Guillaume Daïeff et Serge Tournaire ont décidé, en mars 2017, de renvoyer</a> devant la justice six hommes ayant occupé des postes-clés au sein de la banque helvétique, poursuivis pour démarchage bancaire illicite et blanchiment de fraude fiscale ou pour complicité de ces délits, entre 2004 et 2012. A ces six prévenus s’ajoutent deux autres « personnes morales » : UBS AG, la maison mère, et sa filiale française, UBS France.

Le numéro un mondial de la gestion de fortune, à travers l’activisme de ses chargés d’affaires suisses au surnom évocateur de « chasseurs », est soupçonné d’avoir incité de riches français à placer</a> leur argent en Suisse. En toute illégalité, puisque ces « chasseurs » n’avaient pas de licence pour démarcher</a> dans l’Hexagone, et qu’une bonne partie des comptes ouverts n’étaient pas déclarés au fisc.

Les chiffres donnent le tournis

Invitations en loge VIP à Roland-Garros, déjeuners littéraires, concerts ou tournois de golf : les occasions étaient multiples pour nouer</a> ou approfondir</a> des relations avec des « prospects » – des cibles potentielles – ou les clients, qui pouvaient, ensuite, rapporter</a> gros. Sportifs, artistes, grands patrons ou même gagnants du Loto, les profils visés étaient variés. Les magistrats instructeurs ont estimé à 10 milliards d’euros environ les actifs de Français non déclarés au fisc et gérés par UBS entre 2004 et 2012.

Dans ce dossier, les chiffres donnent le tournis. Il y a ceux qui collectionnent les zéros, se comptent en millions ou en milliards. Le montant de la caution qu’a dû verser</a> la banque suisse, en 2014, est à la hauteur de cette démesure : 1,1 milliard d’euros. Il y a ceux, aussi, que l’on ignore encore. Combien ces opérations de démarchage ont-elles rapporté en retour à la banque ? L’enquête n’est pas parvenue à l’établir, notamment en raison d’une coopération rétive des autorités helvétiques et d’UBS.

Pour sa défense, la banque, qui souligne le manque de preuves dans cette affaire, a argué du fait que l’instruction n’a pas permis d’identifier qui, parmi d’éventuels clients démarchés, avait finalement ouvert un compte en Suisse. Adoptant cette ligne de défense, Jean-Frédéric De Leusse, le président du directoire d’UBS France, affirmait au Monde, en février 2016 : « Inviter des gens à Roland-Garros, ce n’est pas du démarchage illicite. Ce n’est pas dans ce type de lieu qu’on va leur faire</a> signer</a> des contrats. » Mais peu importe, au fond, notent les juges d’instruction, puisque « le démarchage est constitué même si la personne démarchée n’a finalement rien fait avec la banque ».

Lire aussi :   La banque UBS « considère avoir fait son travail légalement »

« Ratissage nauséabond et pratiqué de manière industrielle »

Afin d’établir la réalité de ce système de fraude, les enquêteurs ont pu bénéficier</a> de témoignages de plusieurs ex-salariés d’UBS France. Stéphanie Gibaud, ancienne responsable du marketing et de la communication, a ainsi raconté que les chargés d’affaires suisses présents en France lors d’« events », étaient bien là dans une logique de démarchage. « On traque un événement, a expliqué cette lanceuse d’alerte, c’est-à-dire qu’après chaque event, le marketing demande à chaque chargé d’affaires les retombées en matière de net new money, autrement dit, les rentrées d’argent frais à la banque. »

Hervé d’Halluin, ex-directeur d’UBS à Lille, renvoyé devant le tribunal pour complicité de démarchage illicite et recel, a parlé de « ratissage nauséabond et pratiqué de manière industrielle » et évoqué des « visites intempestives de CA [chargés d’affaires] suisses dans [leurs] locaux ». Autre épine dans le pied de la banque suisse, l’un des anciens dirigeants d’UBS France, Patrick de Fayet, a tenté en vain de sortir</a> du dossier par le biais d’une procédure de comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). L’équivalent d’un plaider-coupable permettant d’éviter un procès. Mais le juge chargé d’homologuer cette issue procédurale l’a refusée.

Les magistrats instructeurs doutent que les chargés d’affaires suisses « venaient en France uniquement pour parler</a> golf, tendances macroéconomiques mondiales ou marque UBS ». « Il est assez peu crédible de soutenir, écrivent-ils dans leur ordonnance de renvoi, que les voyages en France de ces chargés d’affaires n’avaient pas pour objectif d’obtenir un accord du client ou du “prospect” sur la réalisation d’opérations bancaires ».

Comptabilité parallèle

Et puis, il y a ce soupçon de la dissimulation. Ces « carnets du lait », une comptabilité parallèle enregistrée dans un fichier informatique nommé « Vache », retraçant les flux d’argent entre commerciaux français et suisses, et qu’UBS n’a pas conservés.

Il y a aussi ce manuel de « Security Risk Governance », que les chargés d’affaires suisses emportaient avec eux et rappelant, entre autres, comment faire disparaître</a> les données en cas de contrôle ou comment utiliser</a> des ordinateurs cryptés.

La banque suisse a nié toute comptabilité occulte. Ses dirigeants mettent en avant l’existence de « country papers », des fiches rappelant la législation en vigueur dans chaque pays, censées réguler</a> l’activité des chargés d’affaires. Des instructions « hypocrites », « jamais respectées et UBS le savait », selon un ex-salarié de la banque, qui a avoué, en 2008, avoir</a> aidé des clients américains à frauder</a> le fisc. Aux Etats-Unis, UBS a réussi à éviter</a> un procès en livrant 4 450 noms à la justice américaine. En France, elle n’échappera pas à un procès fleuve, qui devrait s’achever le 15 novembre, à moins que les débats lors de la première audience ne conduisent à un report.

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