Son salaire a toujours fait jaser. Carlos Ghosn, PDG de Renault et président non exécutif de Nissan et de Mitsubishi, a été arrêté, lundi 19 novembre à Tokyo, dans le cadre d’une enquête portant sur des soupçons de fraude fiscale et d’abus de biens sociaux.
Le groupe Nissan a confirmé lundi matin que M. Ghosn, l’un des plus grands patrons d’industrie au monde, avait « pendant de nombreuses années déclaré des revenus inférieurs au montant réel ». Le groupe a, en outre, fait savoir que « de nombreuses autres malversations ont été découvertes, telles que l’utilisation de biens de l’entreprise à des fins personnelles ». En conséquence, son conseil d’administration, qui se réunira jeudi, proposera que M. Ghosn quitte rapidement son poste de président.
Mitsubishi Motors (MMC) a annoncé lundi après-midi avoir la même intention : le constructeur d’automobiles japonais va « proposer au conseil d’administration de démettre rapidement Carlos Ghosn de son titre de président ». « Nous allons conduire une enquête interne pour déterminer si M. Ghosn a commis des malversations similaires au sein de MMC », a ajouté le groupe dans un communiqué.
Ces annonces viennent confirmer des informations du quotidien japonais Asahi Shimbun, qui précisait plus tôt dans la matinée que le PDG de Renault était interrogé par le parquet de Tokyo pour violation présumée de la réglementation japonaise sur les instruments financiers et les changes. Carlos Ghosn a été placé en détention à l’issue de cet interrogatoire.
Un des patrons les mieux payés de l’Archipel
Selon le quotidien nippon, le patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est soupçonné d’avoir minoré une partie de sa rémunération, issue de l’achat et de la vente d’actions. La somme pourrait concerner plusieurs centaines de millions de yens (centaines de milliers d’euros). Le chef d’entreprise a accepté de collaborer avec la justice, assure l’Asahi Shimbun.
Le président exécutif de Nissan, Hiroto Saikawa, a eu des mots très durs contre Carlos Ghosn.« C’est un problème que tant d’autorité ait été accordée à une seule personne », a-t-il déclaré lundi. « Je dois dire que c’est un côté obscur de l’ère Ghosn », et, « à l’avenir, nous devons nous assurer de ne pas nous appuyer sur un individu en particulier », a-t-il ajouté. Si M. Saikawa s’est dit « extrêmement choqué » par ces révélations, il a tout de même reconnu que M. Ghosn avait « réalisé d’importantes réformes et que ce qu’il avait accompli ne pouvait être nié ».
Au Japon depuis 1999, Carlos Ghosn a été le principal artisan du sauvetage du constructeur japonais, au bord de la faillite. Entouré d’une petite équipe de cadres venus de Renault, il a restructuré la société et l’a progressivement rapprochée opérationnellement de la marque au losange au sein d’une alliance industrielle globale. Après ce sauvetage, M. Ghosn est devenu une véritable idole au Japon, au point de devenir un personnage de manga.
Longtemps, il a été l’un des patrons les mieux payés de l’Archipel, avec une rémunération – incorporant un salaire fixe, variable et des stock-options – supérieure à 9 millions d’euros par an. En 2017, cependant, sa rémunération a baissé, quand il a abandonné sa fonction de directeur général chez Nissan. Il a touché l’équivalent de 5,6 millions d’euros pour son travail chez le constructeur japonais, selon le cabinet Proxinvest. Chez Renault, le patron de l’alliance Renault-Nissan obtient en revanche, pour l’exercice 2017, 7,4 millions d’euros.
Depuis plusieurs années, la rémunération du patron suscite de nombreuses polémiques en France, l’Etat – qui détient toujours 15 % de Renault – refusant systématiquement de voter en faveur de la rémunération de M. Ghosn lors des assemblées générales. En 2016, les actionnaires avaient même voté contre lors de l’AG, un vote que le conseil d’administration n’avait pas suivi.
L’Etat français « extrêmement vigilant »
La nouvelle pourrait-elle accélérer la succession de M. Ghosn à la tête de Renault ? Depuis février, le groupe français était entré dans une période de transition. Un numéro deux chez Renault avait été désigné pour la première fois depuis 2013, en la personne de Thierry Bolloré, nommé directeur général adjoint.
Le ministre français de l’économie, Bruno Le Maire, a assuré que l’Etat français mettrait tout en œuvre pour assurer la stabilité de Renault – dont il est actionnaire à hauteur de 15 % – et de sa gouvernance, et qu’il réunirait prochainement les administrateurs du groupe. Emmanuel Macron a lui aussi affirmé que l’Etat serait « extrêmement vigilant » à « la stabilité » du constructeur et à l’avenir de son alliance avec Nissan. Contactés par Le Monde, Renault, Nissan France et Nissan Europe n’ont pas souhaité faire de déclaration.
Dans la matinée, les investisseurs ont vivement réagi à cette annonce. En Allemagne, le titre Nissan a dévissé de 11,3 % dans les minutes qui ont suivi les premières informations, encore parcellaires. A la Bourse de Paris, l’action Renault a terminé en repli de 8,62 %, sa plus forte baisse en une séance depuis le 24 juin 2016, au lendemain du référendum sur le Brexit. La valeur boursière du constructeur français a perdu plus de 1 milliard d’euros, pour revenir à 17,4 milliards d’euros. En six mois, la capitalisation du groupe tricolore a diminué d’un tiers.
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