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EXCLUSIF. Affaire Ghosn : des e-mails qui en disent longs - Le Journal du dimanche

Dans l'entourage de Carlos Ghosn, on continue de crier au complot. L'ex-président de Renault et ­Nissan aurait été éliminé parce qu'il voulait effectuer une fusion entre les deux entreprises, en complet ­désaccord avec la partie japonaise. De nouveaux éléments en possession du JDD permettent d'affirmer que le projet a bien été discuté dans de nombreuses réunions formelles et informelles au printemps 2018. Ils révèlent notamment que les ­représentants des deux pays, l'agence pour les participations de l'État (APE), côté français, et le Meti (ministère de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie), côté japonais, ont été directement impliqués. Il en ressort que Hiroshige Sekou, le ministre de l'Économie, un pilier du gouvernement Abe, réputé plus nationaliste que son Premier ministre, a suivi personnellement le dossier. "C'est lui qui a ensuite imposé en juin l'entrée d'un membre du Meti, Masakazu Toyoda, chez Nissan", souligne un membre du clan Ghosn.

Lire aussi - Carlos Ghosn accuse des dirigeants de Nissan de "trahison"

Ces documents sont des ­e-mails échangés entre les principaux protagonistes de l'alliance Renault-Nissan entre le 23 avril et le 22 mai 2018. Carlos Ghosn en est le destinataire direct ou indirect. Les émetteurs sont tour à tour Hari Nada, le juriste qui pilotait son bureau chez Nissan et dont on sait qu'il a joué un rôle décisif dans sa chute, Hitoshi Kawaguchi, le directeur des affaires publiques de Nissan, et Hiroto Saikawa, le ­directeur général de Nissan. Mouna Sepehri, l'homologue de Hari Nada chez Renault, est en copie de l'un de ces courriels.

Nissan souhaitait le statu quo dans son mariage avec Renault

Le premier e-mail est envoyé par Hari Nada à Carlos Ghosn le 23 avril avec copie à Mouna Sepehri et Hiroto Saikawa. Il fait le compte rendu d'une réunion qui vient de se dérouler en sa présence et celle de "Mouna" avec l'APE, représentée par son patron Martin Vial. Il évoque les réactions de Nissan au projet de fusion proposé par la France.

"M. Vial m'a demandé si Nissan préférait le statu quo. Je lui ai répondu que oui. J'ai ajouté que Nissan préférerait un rééquilibrage des participations selon les principes évoqués depuis plusieurs semaines. Cela devait passer par une diminution de la part de Renault dans le capital de Nissan et par une augmentation de celle de Nissan dans Renault. Cela afin d'éviter qu'aucun des deux ­acteurs ne puisse prendre le contrôle de l'autre. À quoi devait s'ajouter le retrait de l'État français. M. Vial a répondu qu'un tel rééquilibrage serait un trop grand sacrifice pour Renault si un vrai pas en avant vers la fusion n'était pas enclenché."

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Nissan préférerait rééquilibrer les participations

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Hari Nada poursuit : "Nissan souhaite s'en tenir au principe d'un système avec des entreprises autonomes cherchant de façon flexible des solutions gagnant-gagnant et va chercher un moyen d'organiser la succession de la génération actuelle des dirigeants de l'alliance (en incluant M.  Ghosn) afin que les bénéfices de l'alliance soient préservés et non détruits. Martin Vial a indiqué qu'il a bien reçu une lettre du Meti signée par son directeur général et qu'il compte y répondre bientôt."

Cinq jours plus tard, Hitoshi Kawaguchi écrit à Carlos Ghosn et Hiroto Saikawa (copie à Hari Nada). Il fait le point sur l'évolution des discussions entre les gouvernements japonais et français. La réponse de Martin Vial à la lettre du DG du Meti se faisant attendre, le ministre Sekou a décidé de renvoyer lui-même une lettre : il est bien à la manœuvre, il s'impatiente. L'affaire prend une tournure diplomatique. Le Meti informe le Mofa (ministère des Affaires étrangères), qui alerte l'ambassadeur de France, lequel demande de surseoir à l'envoi de cette deuxième lettre. Les deux parties s'entendent sur la tenue d'une réunion téléphonique entre Martin Vial et le directeur général du Meti, le 7 mai.

Le coup de pression du Bercy japonais

Quelques heures plus tard, Hiroto Saikawa rebondit sur ce e-mail en écrivant à Hitoshi ­Kawaguchi et Carlos Ghosn avec, toujours, Hari Nada en copie. "Je ne suis pas bien informé des choses qui se passent côté français, prenez conseil auprès de M. Ghosn, note-t-il. M. Ghosn et moi-même insistons sur le fait que notre devoir est d'identifier le (ou les) leader(s) qui assureront la pérennité de l'alliance. Il n'est pas nécessaire d'accélérer le processus. Mais nous proposons une discussion ou un engagement du board après juillet ou après l'été."

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Nous devons identifier le ou les leaders de demain

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Le lendemain, Hitoshi ­Kawaguchi informe MM. Ghosn et Saikawa que le ministre Sekou a accepté de suspendre l'envoi de sa lettre. Il explique que ses interlocuteurs au Meti "ont peur que le gouvernement français mette encore la pression sur Carlos Ghosn avant la prochaine assemblée générale". "J'ai toujours apprécié leur souci de freiner l'État français, précise-t-il, mais je leur ai demandé de ne pas être trop agressifs au moment où les choses se calment."

Lire aussi - EXCLU JDD. Carole Ghosn : "Tout le monde a lâché Carlos"

Le 21 mai, Kawaguchi écrit cette fois à Carlos Ghosn avec copie à Hiroto Saikawa et Hari Nada. Il lui fait parvenir en pièce jointe le draft d'un "Memorandum of understanding" préparé par le Meti et discuté le jour même avec Martin Vial. "Le Meti a fait ce texte pour avoir une preuve écrite de la protection des intérêts de Nissan, explique-t-il. Je trouve qu'il va un peu trop loin, même de notre point de vue, étant donné que l'État français reste calme."

Avant de manifester son agacement. "Nous apprécions le soutien du gouvernement japonais, mais c'est un sujet d'entreprise privée. Si nécessaire, il faudra changer la façon dont nous associons le Meti aux problématiques de l'alliance." De fait, le mémorandum du Meti, que nous nous sommes également procuré, est sans équivoque. Après des formules diplomatiques à la gloire de la coopération industrielle entre la France et le Japon, il décrète que "le renforcement de l'alliance passe par le respect de l'indépendance de Nissan. Et que les intentions exprimées par les dirigeants de Renault n'affecteront jamais la liberté de décision des dirigeants de Nissan." Ambiance…

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Le renforcement de l'alliance passe par le respect de l'indépendance de Nissan

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Le feuilleton s'achève avec un ­e-mail de Hiroto Saikawa envoyé dès le lendemain à MM. Kawaguchi et Ghosn. Le comportement du Meti l'inquiète. "J'ai peur que cela n'ait un impact négatif sur la crédibilité du gouvernement japonais", estime-t-il, ajoutant que le Premier ministre Abe et son bras droit Yoshihide Suga exprimaient "un soutien très solide mais plus discret, moins bavard". Et Saikawa de conclure : "Nous devons trouver un moyen subtil pour demander à Suga de mieux contrôler le Meti."

À Bercy, on confirme la teneur des discussions du printemps 2018. "Il est exact que nous avions donné mandat à Carlos Ghosn pour travailler sur la fusion", explique un haut fonctionnaire. Le projet a été abandonné… et Carlos Ghosn débarqué. 

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