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Pendant plus d’un an, Carlos Ghosn, ancien patron de l’alliance Renault-Nissan, aura été placé sous contrainte judiciaire. La justice japonaise lui reproche, entre autres faits signalés par divers audits, d’avoir minimisé ses revenus chez Nissan et d’avoir fait couvrir par le constructeur des pertes sur investissements personnels. Depuis quelques jours, après une fuite rocambolesque, dont il se murmure dans les colonnes du journal Le Monde que Netflix aurait acquis l’exclusivité des droits pour une prochaine série, M. Ghosn est libre dans son pays d’origine, le Liban. Désormais, une nouvelle bataille qu’on présume titanesque va se déplacer sur le terrain de la communication. Mais n’avait-elle pas démarré bien avant ce coup d’éclat?
Dans le monde de la communication, il est une matière particulière qui touche à la façon de prendre la parole lorsqu’il s’agit de dossiers à consonance judiciaire. On nomme cette technique les PR litigation. Ce sont des techniques qui ont grandi aux USA, la nation où l’ensemble de la procédure pénale vit sous l’œil gourmand des médias car ces sujets passionnent l’opinion publique américaine. Quiconque a vécu aux USA dans les années 1990 se remémorera le retentissement de l’affaire OJ Simpson. Pour les autres, la série American Crime Story accessible sur Netflix est une excellente réplique narrant la place prépondérante de la communication, tant au service d’une accusation conquérante que pour renforcer les avocats de la défense. S’impose à toute personne mise en accusation une règle de communication, les 2 V. Accusé, selon que vous serez perçu à travers l’œil déformant des médias comme “the Victim or the Villain” (la victime ou le scélérat/méchant), le sort de votre vie en dépendra. Avant de s’évader, Carlos Ghosn s’est employé à retrouver la vraisemblance d’une posture victimaire après qu’il fut abondamment dépeint comme l’ignoble vaurien de cette affaire abracadabrantesque.
Acte 1: l’emblématique patron de l’alliance fût pris de cours par un flot d’informations le décrivant comme un fieffé escroc, dont l’avidité n’avait d’égal que l’énormité des prévarications dont il s’était rendu criminel. Le portrait d’un ignoble personnage dénué de morale amassant sans vergogne les prébendes abondait dans les médias. Permettez-moi, puisque j’ai osé douter et avancer l’importance de respecter un principe cardinal de la procédure pénale dite de “la présomption d’innocence”, ce principe plus souvent souillé par l’opinion publique qu’un pédo-criminel germanopratin n’aurait d’expériences à déverser dans son prochain livre, de regretter que la France ait digéré cette version avant d’en savoir plus. Salaud de patron, paraphrasant le titre du premier livre du leader du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, convenait parfaitement à l’état d’esprit français. La messe était dite.
Acte 2: jour après jour, l’esprit de l’affaire dévoila un autre système de fondations. La firme au losange dirigée par M. Ghosn nous avait déjà habitué à des affaires aux multiples rebondissements, souvenez-vous du feuilleton de 2011 dit des faux espions de Renault. Petit à petit, le patronat français et certains politiques se réveillèrent pour s’offusquer d’un système judiciaire japonais peu amène des droits de la défense et souvent jugé défaillant par de multiples ONG. Dans l’opinion publique, l’affaire Ghosn se transformait par glissements successifs en une remise en question de la justice japonaise qui se targue d’un taux de condamnation de 99%. Par petites touches, nous glissions dans un état d’étonnement, lorsque nous lûmes qu’une des nations surdouées du capitalisme triomphant, prochain temple de l’esprit olympisme au mitan de l’année 2020, n’était en réalité qu’un Janus humaniste. Dissimulé, l’autre visage du masque japonais dévoilait ces traits-ci: détention prolongée avant même toute inculpation et interdiction aux avocats d’assister aux auditions; garde à vue jusqu’à 22 jours en cas d’interpellation par le parquet (24h en France, jusqu’à 6 jours dans les seules affaires de terrorisme). Un système qui fit écrire à Colin Jones, professeur à l’École de droit Doshisha de Kyoto, dans le Japan Times: “que le suspect est comme un otage, dont la rançon est l’aveu”. Sur cela s’empilaient de nauséabondes suspicions de folle machination de la part d’anciens collaborateurs de M. Ghosn. Hiroto Saikawa, dirigeant de Nissan poussé depuis vers la sortie et décrit comme l’ancien protégé de Carlos Ghosn, avait été à la manœuvre pour accuser son ancien mentor de tous les maux. Celui dont il fut admis avec fracas en 2017 par l’Usine Nouvelle que certains de ses conseillers redoutaient qu’il se mette un jour à chantonner un air de Gilberto Gil, la voix de la Bossa nova, pendant la présentation des résultats financiers, semblait retrouver la baguette et l’inspiration pour écrire la suite d’une partition, avouons-le, déjà captivante.
Acte 3: Si M. Ghosn n’en perdit pas encore son image de Crésus des temps modernes, sa riposte en termes de communication marquait des points. Cette communication n’avait pas été jusque-là un long fleuve tranquille. Elle avait imaginé, forte et laudatrice, conférences de presse et autres armes de “com” de destruction massive. Après un message diffusé sur le web et une conférence de presse programmée dans la foulée, M. Ghosn fût rappelé par la justice à davantage de discrétion: comprendre embastillé à nouveau! Il fut sage d’adopter une mécanique différente en utilisant l’arme de l’émotion. Les prises de parole de ses enfants, de sa femme Carole dans le JDD accusant “tout le monde d’avoir lâché son mari” percolait dans l’espace public. S’en suivit un sentiment d’injustice. La manière peu courtoise de la part de la justice japonaise, qui autorisa son épouse à venir sur le territoire de l’archipel, mais refusa aux époux un temps de visite qu’il est interdit chez nous de refuser au pire des assassins. Comble de perfidie, après sept long mois, le couple s’est vu octroyer l’autorisation d’échanger quelques mots par l’intermédiaire d’un système de vidéoconférence, sous le contrôle des avocats japonais de l’ex-PDG de Renault-Nissan. Ce couple d’une deuxième union privilégié, que le journaliste-essayiste David Goodhart classerait comme des anywhere, les gagnants par KO de la mondialisation, dont Madame Figaro décrivait qu’ils montèrent ensemble les marches du Festival de Cannes chaque année entre 2015 et 2018, assistèrent aux Jeux Olympiques de Rio en 2016, fêtèrent le cinéma à l’Alliance Française de New York en 2013... n’étaient plus, pour le téléspectateur des chaînes d’information en continu, que deux amants injustement maltraités. De là à le pleurer, n’allons pas trop vite en besogne.
Acte 4: comprenez donc qu’une évasion ne pouvait s’imaginer puis s’organiser, sans avoir au préalable réussi la phase précédente de destruction de cette image de piteux personnage. Quelle aurait été alors sa capacité à reprendre la main. Mystérieusement évaporé des terres où il fut fait Shogun, Ghosn n’est pas parti à l’instar d’un dictateur déchu contraint de s’envoler honteusement et échouer finalement à Varennes. Vous distinguerez alors que la communication mise en place depuis plusieurs mois, la minutieuse manière dont M. Ghosn a reconstruit en partie son image, est une part indissociable de la séquence qui nous est décrite actuellement lorsque les médias détaillent le tour de magie qui a permis au prince déchu de l’automobile de se faire la malle.
Acte 5: s’ouvre une page neuve après cette évasion rocambolesque. L’évasion est spectaculaire, mais la reconquête d’une part de l’image de M. Ghosn est de belle facture. Du Liban libérateur et triomphant et non d’un triste Varennes sur quelque part, l’empire Ghosn va désormais contre-attaquer. Ce n’est plus engoncé dans le costume du Villain qu’il va apparaître sur nos écrans le mercredi 8 janvier. C’est sans doute aminci et en chemise blanche qu’il va livrer sa part de vérité. Toutefois pour paraître totalement virginal, M. Ghosn devrait réfréner un indéniable côté “bling-bling”. Pour preuve certaines photos relatant son réveillon de fin d’année parues à l’initiative de TF1 et LCI. Nonobstant cet atavisme, en simple communiquant, j’ai hâte…
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