Accusé de malversations financières, l'ex-patron de Renaut-Nissan est hors de portée de la justice japonaise depuis sa fuite pour Beyrouth. Les enquêteurs tentent aujourd'hui de l'atteindre à travers sa femme : un mandat a été délivré à l'encontre de Carole Ghosn pour «faux témoignage».
Sidéré par la fuite du «prévenu Carlos Ghosn», le Japon l’est. Humilié ? Il le reconnaît à demi-mot. Vaincu ? Il le réfute. Le patron déchu de l’Alliance Renault-Nissan s’est certes envolé pour Beyrouth au nez et à la barbe du gouvernement et de la justice japonaise, mais cette dernière n’a pas encore abattu toutes ses cartes. Et le bureau des procureurs redouble d’activité. La preuve, mardi soir, dans un communiqué exceptionnel – cela n’arrive pour ainsi dire jamais –, le parquet a annoncé avoir demandé et obtenu auprès du tribunal un mandat d’arrêt à l’encontre de Carole Ghosn, la femme de Carlos.
La volonté est claire et double : primo, montrer que l’élite des inspecteurs japonais, que le fugitif compte fustiger ce mardi lors de sa conférence de presse à Beyrouth, n’a pas perdu la face. Secondo, limiter aussi les mouvements de Carole Ghosn, en faisant planer sur elle la même menace que sur son mari, celle d’une interpellation si elle se déplace hors du Liban. Car elle est soupçonnée par les enquêteurs d’être la personne qui, depuis plus d’un an, ne se contente pas de hurler son dégoût à l’encontre du système judiciaire japonais via les médias de France et des Etats-Unis, mais aussi d'oeuvrer à détruire des preuves dans les différents dossiers impliquant non seulement son mari mais aussi des relations dans différents pays. Questionnée à ce sujet par les enquêteurs japonais en avril, alors que son époux venait d'être arrêté de nouveau, elle a tout nié en bloc. Mais son smartphone saisi au moment de l’interpellation de son mari a vraisemblablement parlé. Elle est accusée de «faux témoignage».
A lire aussi Dans les coulisses de la préparation de la conférence de presse de Carlos Ghosn à Beyrouth
Malgré son évasion rocambolesque, le puissant Carlos Ghosn reste inculpé au Japon de quatre faits principaux : la non-déclaration de revenus différés qu’il devait toucher après sa retraite dans des documents boursiers annuels publiés par Nissan à l’attention des actionnaires. Montant total : quelque 9 milliards de yens (75 millions d’euros). Cela lui vaut deux inculpations portant sur deux périodes différentes. Il est en outre inculpé deux fois pour des faits d’abus de confiance aggravé. Les enquêteurs estiment que Carlos Ghosn a utilisé une caisse appelée «réserve» spéciale du PDG de Nissan pour verser des fonds à des accointances, soit en remerciement de services rendus à titre personnel (à un ami saoudien qui l’a sorti d’une mauvaise passe financière), soit pour que ces sommes lui reviennent en partie via ce que les enquêteurs ont appelé «la route d’Oman». Il risque jusqu’à dix ans de prison ferme pour les déclarations erronées et jusqu’à quinze ans pour les faits d’abus de confiance aggravé.
«Il y en avait pour cinq à sept ans de procédure au moins»
A ce stade, Carlos Ghosn ne pouvait plus espérer un non-lieu, même si ses avocats japonais ont déposé en octobre une requête en nullité des poursuites. La seule voie possible était un renvoi devant le tribunal. A cette fin, se tenaient depuis mai des réunions dites de «tri avant procès». C’est au cours de celles-ci que les procureurs ont peu à peu mis sur la table les éléments du dossier, mais pas tout, pas encore, car c’est long. «Toutes les pièces à conviction doivent être présentées à ce stade de la procédure. Le procureur ou la défense ne peuvent pas sortir quelque chose de leur chapeau une fois que le procès a commencé», précise l’avocat Yasuyuki Takai, un ex-inspecteur reconverti. Long, trop long pour Carlos Ghosn qui est un homme pressé. Il aurait voulu une formule «procès express», ce que le tribunal a refusé. Le premier calendrier proposé laissait néanmoins entendre qu’il y aurait jusqu’à trois audiences par semaine à compter d’avril, «un rythme de fou, intenable», juge Takai. «Dans tous les cas, avec les appels soit de lui, soit du parquet, il y en avait pour cinq à sept ans de procédure au moins», ajoute l’ex-enquêteur. Qui plus est, le procès n’aurait peut-être pas commencé avant 2021, rien n’était encore définitivement fixé. La perspective de passer encore des années au Japon et le risque élevé d’être condamné sont les raisons qui l’ont sans doute poussé à partir, laisse entendre une relation à Tokyo.
La caution de 12 millions d'euros envolée
En ayant fui, Carlos Ghosn perd déjà la caution de 1,5 milliard de yens (plus de 12 millions d’euros) payée en deux fois. Si le fait de s’évader n’est pas en soi un délit, il peut néanmoins être poursuivi pour l’illégalité des moyens employés, ce qui est en cours d’enquête. Le cas échéant, cela lui vaudra un motif supplémentaire d’accusation. La prescription ne peut jouer pour aucun des chefs d’inculpation, puisque «le compteur de temps s’arrête quand la personne visée est à l’étranger», insiste une source gouvernementale. En attendant, selon ce responsable, «un procès devrait quand même avoir lieu sans lui, pour juger l’Américain Greg Kelly [son ex-bras droit inculpé aussi pour les déclarations de revenus erronés, ndlr], de même que le groupe Nissan», également pénalement responsable.
Bagikan Berita Ini
0 Response to "Pourquoi Carlos et Carole Ghosn n’en ont pas fini avec le Japon - Libération"
Post a Comment