La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a prononcé, mercredi 28 juillet, à l’encontre de l’agrochimiste Monsanto (propriété de Bayer), une amende administrative de 400 000 euros pour avoir fiché illégalement des personnalités publiques, journalistes et militants dans le dessein d’influencer le débat public sur l’interdiction du glyphosate.
Le gendarme français des données personnelles, destinataire de sept plaintes « émanant notamment de personnes concernées par ce fichier », reproche à la société d’avoir manqué à son obligation d’information des personnes, qui n’ont appris l’existence de ce traitement de données que lors de la révélation de celui-ci dans les médias, en mai 2019.
« La création de fichiers de contacts par les représentants d’intérêts à des fins de lobbying n’est pas, en soi, illégale. En revanche ne peuvent figurer dans ce fichier que des personnes qui peuvent raisonnablement s’attendre, en raison de leur notoriété ou de leur activité, à être l’objet de contacts du secteur », explique la Commission. Il faut, de plus, que « les données inscrites dans le fichier aient été collectées légalement et que les personnes soient informées de l’existence du fichier, afin de pouvoir exercer leurs droits, notamment leur droit d’opposition ».
« L’information est un droit essentiel qui conditionne l’exercice des autres droits (droits d’accès, d’opposition, d’effacement…) dont bénéficient les personnes. Dans ce cas, elles en ont été empêchées durant plusieurs années », insiste le régulateur, qui a également relevé un manquement à l’obligation d’encadrer les traitements de données effectués par des sous-traitants.
« Une note allant de 1 à 5 »
« Au cours de la procédure, [la CNIL] a considérablement réduit la portée initiale des allégations portées contre Monsanto », a d’abord réagi Bayer. Mais la société conteste toutefois sa qualification en tant que « responsable du traitement des données », un rôle qu’elle attribue plutôt à l’agence de communication chargée du fichier. « Ceux qui avaient l’expertise, c’était le cabinet de lobbying. C’est eux qui avaient l’obligation d’informer les personnes, quand bien même le fichier était au bénéfice final de Monsanto », a ainsi déclaré Yann Padova, associé chez Baker McKenzie et avocat de Bayer-Monsanto.
Selon l’enquête, le fichier en question contenait pour chacune des « plus de 200 personnalités » inscrites dans le fichier, une « note allant de 1 à 5 » permettant « d’évaluer son influence, sa crédibilité et son soutien à la société Monsanto sur divers sujets tels que les pesticides ou les organismes génétiquement modifiés ».
L’affaire, révélée en 2019 par Le Monde et France 2, s’était rapidement étendue à l’Europe. Des listes de personnalités (politiques, scientifiques, journalistes) existaient également dans au moins six autres pays (Allemagne, Italie, Pays-Bas, Pologne, Espagne, Royaume-Uni) et concernaient aussi les institutions européennes, avait fait savoir Bayer, qui avait présenté ses excuses.
Recours devant le Conseil d’Etat
Le chimiste allemand, propriétaire de Monsanto depuis 2018, avait mis un terme « jusqu’à nouvel ordre » à sa collaboration en matière de communication avec l’agence Fleishman Hillard, qui avait établi ces fichiers pour le compte de l’américain Monsanto.
La justice française avait également ouvert une enquête sur des soupçons de fichage illégal, qui vise notamment le chef de « collecte de données personnelles par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ».
La Commission européenne a donné son feu vert à la France, en mai, pour un crédit d’impôt à destination des agriculteurs qui décident de renoncer à l’usage d’herbicides à base de glyphosate. Aux Etats-Unis, Bayer a signé, en juin 2020, un accord de plus de 10 milliards de dollars pour mettre fin aux quelque 125 000 plaintes contre son herbicide très controversé Round’Up, accord partiellement rejeté en mai 2021 par la justice américaine.
Le groupe, qui affirme que le fichier n’a plus été utilisé à la suite du renouvellement pour cinq ans par la Commission européenne de l’autorisation du glyphosate en 2017, examine aujourd’hui l’opportunité d’un recours devant le Conseil d’Etat.
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