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La Banque centrale russe relève son taux directeur pour «rendre le rouble plus attractif» - RFI

La Banque centrale russe relève son taux directeur de 8,5% à 12%. Une hausse importante survenue au lendemain de critiques directement venues du Kremlin. Objectif : soutenir le rouble, tombé le 14 août à son plus bas depuis mars 2022. Analyse de cette décision avec Julien Vercueil, professeur d'économie à l'Inalco, l'Institut national des langues et civilisations orientales de Paris.

Publié le :

6 mn

RFI : Pourquoi la Banque centrale russe, qui avait déjà relevé son taux directeur il y a moins d'un mois, a-t-elle procédé à une hausse aussi importante ?

Julien Vercueil : La hausse était attendue puisqu'une réunion extraordinaire avait été décidée en catastrophe à la suite du constat de deux mouvements importants sur les marchés. Le premier, c'était l'accélération de la fuite des capitaux et le second, qui en est la conséquence, c'était la chute du taux de change courant sur le marché interne. Cette hausse du taux directeur vient donc tenter de contrecarrer ces deux mouvements en rendant plus attractif le rouble pour des investisseurs. Les autorités monétaires espèrent par cette manœuvre maintenir une certaine forme de demande pour le rouble sur un marché, qui est très particulier parce qu'il a été fortement bouleversé par l'entrée en guerre de la Russie il y a plus d'un an.

Cette fuite des capitaux, est-elle directement liée à la guerre en Ukraine et à ses conséquences pour l'économie russe ?

Il y a plusieurs éléments qu'il faudra démêler avec le temps, et que l'on ne peut pas forcément analyser correctement de l'extérieur. Mais il y a plusieurs hypothèses.

La première, c'est une hypothèse de type politico-économique. Les acteurs économiques russes, qui sont un peu moins contraints qu'ils ne l'étaient il y a six à huit mois concernant leurs mouvements de capitaux, ont jugé que la situation politique après l'affaire Wagner, entre autres, n'était pas éclaircie et que les perspectives d'investissement en Russie n'étaient pas bonnes. Cela les incite à décider de faire sortir une partie de leurs avoirs de Russie. Ce sont des mouvements qui sont réversibles, c'est-à-dire que l'on peut retrouver des entrées de capitaux à d'autres moments lorsque le sentiment général de ces investisseurs sera moins défavorable.

La seconde hypothèse, qui est certainement plus plausible, c'est le fait que l'on anticipe la hausse du taux de change du dollar ou la hausse du taux de change de l'euro ou du yuan, c'est-à-dire la baisse du cours du rouble. Pour se prémunir contre la baisse du rouble, les investisseurs achètent tout de suite ces monnaies refuges et cela précipite la chute redoutée, c'est ce que l'on appelle des prévisions autoréalisatrices. Il y a certainement un petit peu des deux dans cette fuite des capitaux. Et derrière tout ça, il y a un facteur de fond, indépendamment des questions politiques et géopolitiques, c'est la dégradation ou la santé un peu défaillante du compte courant, c'est-à-dire du compte des opérations courantes des résidents et non-résidents russes vis-à-vis de l'extérieur. On a constaté sur les sept premiers mois de l'année 2023 une chute de 81% de l'excédent des transactions courantes. Aujourd'hui, les opérations que la Russie fait, que ce soit des opérations de transfert de revenus ou des opérations commerciales avec le reste du monde, sont beaucoup moins excédentaires qu'elles ne l'étaient en 2022. Évidemment, cela fait craindre des conséquences sur le rouble puisque lorsque les excédents se réduisent, il y a la possibilité pour que l'on fuie la monnaie.

Julien Vercueil, professeur d'économie à l'Inalco.
Julien Vercueil, professeur d'économie à l'Inalco. © Julien Vercueil

Cette hausse du taux directeur à 12% va-t-elle être en mesure de faire baisser l'inflation ?

C'est l'effet escompté. Cela dit, il ne faut pas pour l'instant exagérer les conséquences de l'inflation elle-même.

On avait eu, au contraire, une très surprenante et très importante désinflation, tout le courant de 2022, avec un passage d'une inflation qui était aux alentours de 17-18% en rythme annuel juste après l'entrée en guerre de la Russie à une inflation qui était redescendue de manière spectaculaire. On était même arrivé à des taux tout à fait inhabituels et tout à fait étonnants pour l'économie russe, qui étaient des taux d'inflation en rythme annuel de 2-3%. Là, on est remonté aux alentours de 4,5%, ce qui est à peine au-dessus de la cible d'inflation de la Banque centrale (4%, NDLR). Cela n'est donc pas en soi alarmant. C'est la dynamique qui a alarmé les autorités, le fait que l'on passe de 2 à 4,5% sans que la Banque centrale ait réussi, avec les mesures qu'elle avait prises fin juillet, début août, à endiguer cela. Le fait que la Banque centrale ne soit plus tellement en mesure de prédire ce que va être le taux d'inflation du mois d'après, c'était ça qui avait beaucoup inquiété les autorités monétaires et la Banque centrale. C'est la raison pour laquelle elle a fortement augmenté ses taux d'intérêts. Il y a eu des augmentations de cette ampleur, mais en situation de crise grave.

Quant à l'efficacité de la mesure, personne ne peut dire aujourd'hui si ces 12% vont suffire à ralentir l'inflation, et surtout s'ils vont suffire à ralentir les fuites de capitaux. Ce qui est certain, c'est que si les recettes en devises de la Russie continuent d'être relativement faibles, en particulier du fait des sanctions sur les exportations de pétrole, si l'on voit que l'inflation mord véritablement sur le pouvoir d'achat, c'est-à-dire continue sur cette dynamique et monte à 6, 7, 8% dans les mois qui viennent, alors là, évidemment, les 12% décidés aujourd'hui pour le taux directeur ne serviront à rien et il faudra prendre d'autres mesures.

Augmenter les taux de manière aussi abrupte ne risque-t-il pas de peser sur l'économie russe ?

Ça a toujours un effet de ralentissement sur la conjoncture économique. Mais on a vu que la conjoncture économique russe n'était pas si mauvaise que ça, puisqu'il y a eu un rebond conjoncturel au 2e trimestre 2023, certes lié à un effet de base du 2e trimestre 2022. Même si la hausse du taux ralentit un petit peu l'économie, cela n'aura sans doute pas des effets de cassure complète de la dynamique. Le vrai problème aujourd'hui, c'est de savoir si on arrive à stabiliser la situation monétaire et financière.

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