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Légumes "interdits" vendus par Carrefour, les enjeux derrière le coup marketing

L'enseigne se lance dans la vente de légumes issus de graines paysannes "interdites", un coup de communication qui soulève un vrai problème auquel les paysans sont confrontés.

Artichaut Glas-Ruz, Oignon Rosé d'Armorique, Potimarron Angélique... Ces noms de légumes ne vous disent probablement rien. Carrefour les appelle même des légumes "interdits". Une dizaine de ces variétés anciennes sont depuis mercredi sur les étals de plusieurs magasins de l'enseigne, dans son "marché interdit". Ceux-ci ne proviennent pas de réseaux clandestins douteux. Ils n'ont même rien d'interdit.  

Ces variétés de légumes sont simplement issues de semences paysannes non homologuées, produites sur leurs terres de génération en génération. La grande distribution a toujours pu les proposer aux clients. Seule la vente directe de ces semences non répertoriées est interdite. Si la campagne de l'enseigne est un peu trompeuse, elle met en lumière une vraie revendication des paysans: celle de pouvoir vendre librement leurs semences et ainsi protéger la biodiversité. 

Qu'est-ce qu'un légume "interdit"?

"Le terme "interdit" est un abus de langage, ces produits ne sont pas interdits. Carrefour tente d'appuyer sa communication avec ce slogan, c'est évident, mais cela reste une bonne initiative. Elle nous permet d'accéder enfin à la grande distribution", se réjouit auprès de L'Express Daniel Evain, porte-parole de la Confédération Paysanne d'Ile-de-France (IDF). "Nous ne sommes pas des hors-la-loi", renchérit Frédéric Latour, animateur du Réseau Semences Paysannes. 

Les producteurs d'échalotes, de courges et autres haricots anciens ont rarement eu leur place sur les rayons des grands supermarchés. La raison est simple: ces variétés proviennent de semences non homologuées par le catalogue national, qui répertorie les espèces autorisées à la vente et à la culture, selon la loi de 1981. Résultats, les agriculteurs peuvent vendre aux grandes enseignes les fruits et légumes déjà cultivés, mais ont l'interdiction de vendre directement les graines et les plants de ces variétés. Ce qui limite fortement leur développement. 

Un agriculteur dans son champ de blé près de Cambrai, juin 2017.

Un agriculteur dans son champ de blé près de Cambrai, juin 2017.

REUTERS/Pascal Rossignol

En France, les semences de deux millions de variétés de fruits et légumes sont interdites à la vente et sont ainsi amenées à disparaître. 75% des variétés comestibles ont disparu en moins d'un siècle. "Les producteurs de semences paysannes ne peuvent pas se développer en France. Ils peuvent échanger gratuitement leurs semences avec d'autres agriculteurs, mais cela reste du circuit court entre voisins et amis. Les pertes financières sont énormes", souligne le porte-parole de la Confédération Paysanne IDF.  

Vers un assouplissement de la loi?

Les associations et confédérations demandent depuis des années un assouplissement des normes du catalogue. C'est sur ce point que Carrefour innove réellement. L'enseigne lance en parallèle de son marché "interdit" une pétition en ligne pour modifier cette loi. Elle s'engage aussi à prendre en charge le développement d'un réseau de production des semences paysannes. 

Pour vendre une semence en France, un agriculteur doit débourser entre 1000 et 10 000 euros pour être inscrit sur le catalogue. Si les grands industriels sont généralement les seuls à pouvoir le financer, les paysans ont aussi du mal à répondre aux normes imposées par celui-ci. "Il faut proposer des produits homogènes, de même taille ou de même couleur. Nos variétés ne sont pas stables, c'est la définition même de la culture paysanne!", souligne Daniel Evain. 

LIRE AUSSI >> Coup de gueule d'un couple d'agriculteurs: "Les gens veulent du bio parfait" 

"Le modèle capitalistique actuel est fait pour les industriels, pas pour les paysans. Nous ne sommes pas contre le catalogue, nous demandons simplement une modification des critères", renchérit Frédéric Latour, du Réseau Semences Paysannes. 

Militantisme ou greenwashing?

L'initiative est saluée, mais les réseaux de militants s'interrogent néanmoins sur les intentions réelles de l'enseigne. En ne proposant que douze espèces végétales pour assurer les trois-quarts de l'alimentation mondiale, "la grande distribution joue effectivement un rôle dans la standardisation des produits", note Frédéric Latour, même s'il ne peut que se réjouir de cette initiative. "Je ne défends pas la politique de Carrefour, mais leur engagement nous permet vraiment de faire avancer ce combat", nuance le porte-parole de la Confédération Paysanne IDF. 

L'enseigne, elle, y voit évidement un intérêt commercial."Nous voulons élargir notre offre car nos clients sont demandeurs de produits sains et bio", indique pour sa part au Figaro Philippe Bernard, directeur des partenariats avec le monde agricole chez Carrefour. Chacun pourrait donc y trouver son compte. 

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http://www.lexpress.fr/actualite/societe/legumes-interdits-vendus-par-carrefour-les-enjeux-derriere-le-coup-marketing_1945242.html

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