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Pourquoi il faut prendre les bons chiffres de la croissance avec des pincettes

La croissance économique a atteint 1,9% en 2017, son plus haut niveau depuis six ans, selon l'Insee. Mais cette reprise est-elle pérenne ? Eléments de réponse. 

L'heure de l'embellie économique semble avoir sonné en France. Après une croissance de 1,1% en 2016, la France a vu son produit intérieur brut (PIB) augmenter de 1,9% en 2017, a annoncé l'Insee, mardi 30 janvier. Ce niveau de croissance est le plus haut enregistré depuis 2011. En France, l'activité économique "a nettement accéléré", affirme l'Insee, annonçant une croissance en hausse de 0,6% au cours du quatrième trimestre. 

Le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, s'est réjoui de la nouvelle, évoquant "une France qui retrouve des couleurs économiques". Mais cette embellie est à considérer avec prudence. Franceinfo vous explique pourquoi. 

Parce que la reprise est encore fragile 

Ce dynamisme de la croissance française s'inscrit dans un contexte économique européen et international plutôt favorable. "C'est une croissance qui s'explique en grande partie par ce qui se passe en dehors de la France", explique à franceinfo Hugues Poissonnier, économiste et professeur à la Grenoble Ecole de Management (GEM). Ce dernier évoque "un contexte mondial de reprise", avec "des coûts énergétiques peu élevés" mais aussi l'impact du Brexit, "qui favorise l'activité des entreprises françaises à court terme"

Dans une chronique pour La Tribune, publiée en novembre, Hugues Poissonnier décrivait ainsi "une dynamique mondiale plus porteuse, mais aussi très fragile". Alors qu'"une part essentielle de la croissance est exogène", selon l'économiste, des difficultés extérieures pourraient rapidement mettre à mal l'embellie française. Hugues Poissonnier estime notamment qu'à long terme, le Brexit "va pénaliser toute l'Europe, et la France avec". 

Selon Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), cette croissance n'est "pas d'ampleur suffisante pour faire baisser durablement le chômage", justement car elle risque de ne pas durer, du fait, entre autres, de facteurs extérieurs. "Il faudrait près de dix ans de croissance à 2% pour atteindre 5% de chômage", développe-t-il. "C'est impossible. Il risque d'y avoir un ralentissement, car il va y avoir un ralentissement mondial", poursuit l'économiste. "Nous allons rester dans une période de chômage de masse. Et les risques sont essentiellement des risques extérieurs à la France." 

Nous ne retrouverons pas les taux de croissance des années 1960. A moyen terme, nous serons sans doute autour de 1% de croissance.Hugues Poissonnier, économisteà franceinfo

Parce que l'investissement est en hausse, mais la consommation au ralenti

Pour l'Insee, des investissements en hausse sont l'un des facteurs clés de cette croissance. L'investissement des entreprises françaises a en effet augmenté de 4,3% en 2017, et celui des ménages n'avait pas autant augmenté depuis 1999, rapporte Le Monde. Il y a également "un vrai regain des investissements étrangers", précise Hugues Poissonnier. "Cela stimule la confiance des chefs d'entreprise français, ce qui est très positif pour la croissance", poursuit-il.

Cependant, cette confiance reste fragile. "Beaucoup d'entreprises préfèrent renoncer à des marchés, car elles ne sont pas sûres d'embaucher. Elles ne sont pas sûres du lendemain, de la pérennisation de cette croissance, observe l'économiste. Il faut pour cela améliorer les relations entre entreprises. La confiance repose beaucoup sur les relations entre clients et fournisseurs. C'est un levier très important de pérennisation de la croissance." 

En parallèle, la consommation des ménages ralentit. Les dépenses de consommation ont fléchi à 1,3% en 2017, contre 2,1% en 2016. En cause : un "net ralentissement" dans la consommation de biens, explique l'Insee. "Les ménages épargnent plus aujourd'hui qu'en 2016", constate Eric Heyer. "Il y a également eu davantage d'inflation en 2017, des gains de pouvoir d'achat qui ont donc été légèrement moins dynamiques", détaille l'économiste de l'OFCE. 

La reprise est tout de même récente, on met donc un peu de côté. C'est ce que l'on appelle l'épargne de précaution, mais aussi la "sobriété heureuse", la tendance à consommer un peu moins.Hugues Poissonnier, économisteà franceinfo

Parce que la croissance est insuffisante pour s'attaquer au chômage structurel

Comme le constatent Eric Heyer et Hugues Poissonnier, une croissance à 1,9% ne pourra pas, à elle seule, réduire sérieusement le taux de chômage français, aujourd'hui proche de 9,5%"Pour que le chômage baisse plus rapidement, il faut davantage de croissance économique, ou des politiques qui enrichissent en emploi, telles que la baisse du coût du travail ou la réduction du temps de travail", insiste Eric Heyer. 

Si nous n'attendons que la croissance économique pour réduire le chômage, nous n'y arriverons jamais.Eric Heyer, économiste à l'OFCEà franceinfo

Pour faire baisser le chômage, la question de la formation et d'une meilleure adéquation entre qualifications et besoins des entreprises se pose. "Avec la croissance et la confiance des entreprises, vous pouvez résorber un chômage conjoncturel, explique Hugues Poissonnier. Mais pour réduire un chômage structurel, il faut passer par des actions fortes en termes de formation, et peut-être des choix d'entreprise plus favorables à l'emploi salarié." Il évoque notamment la robotisation et la numérisation – et la nécessaire formation à ces nouveaux emplois. 

Dans sa chronique pour La Tribune, l'enseignant alertait également sur les inégalités face à la croissance. Et si l'augmentation du PIB profitait à certains plus qu'à d'autres ? "En France, la région parisienne ou la région Auvergne-Rhône-Alpes ont gardé une base industrielle importante, et il y a une vraie reprise dans l'industrie", détaille Hugues Poissonnier. "Mais vous avez aussi des régions exclues, à l'écart de cette croissance. Dans le Nord, par exemple, où le chômage reste élevé." Selon l'économiste libéral Jean-Luc Ginder, cité par le Huffington Post, plusieurs régions affichent une croissance forte, quand d'autres sont encore en récession. "La reprise française est donc présente, mais de manière inégale", écrit-il. 

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