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Gilles Savary : « Le rapport Spinetta ose, au gouvernement d'en faire autant »

Remis jeudi au Premier ministre,  le rapport de l'ancien patron d'Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta, pour refonder le rail français ne s'embarrasse d'aucun tabou. Décryptage avec Gilles Savary.

Partagez-vous le diagnostic que le rapport Spinetta pose sur la SNCF ?

Oui, le diagnostic est connu des spécialistes. Et pour l'essentiel, le rapport Spinetta reprend des éléments d'analyse et de propositions qui ont été abordés par le passé, mais il ose. J'entends par là que ce document traite moins de la concurrence que d'une réforme aboutie de notre système ferroviaire.

Il pointe ainsi les deux grands maux dont souffre le système - des maux qui ne sont pas tous, loin de là, imputables à la SNCF.

Tout d'abord, une vision politique et syndicale passéiste. On assimile trop la régénération du réseau à la conservation des 33.000 km de lignes. Alors qu'il est évident qu'avec les évolutions qu'a connues le tissu industriel et urbain en France, certaines lignes sont devenues obsolètes, ou plutôt non-pertinentes. Or, ce que l'on doit craindre pour la SNCF n'est pas derrière mais devant elle : c'est la concurrence de l'avion low cost sur les longues distances, celle du covoiturage et des cars à haute qualité de service sur les distances plus courtes. Autant de défis qui ne peuvent être abordés selon une stratégie de la ligne Maginot dont on connaît l'issue.

Ensuite, Jean-Cyril Spinetta rappelle que notre politique ferroviaire a perdu de vue ce qu'est le coeur de métier du chemin de fer d'aujourd'hui. Ce n'est plus, comme au XIXe siècle, le transport du fret lourd, comme le montre amplement l'échec de quatre plans successifs de relance du Fret. Ce n'est pas non plus, comme au XXe siècle, de transporter des voyageurs sur longue distance faute d'équipement automobile des ménages.

Son coeur de métier, c'est le « mass transit » qui consiste à déplacer des populations en masse sur des trajets domicile-travail vers les coeurs d'agglomérations. Cela représente 5 millions de voyageurs par jour ouvré, dont 3,5 millions en Ile-de-France. Ce qui est heureux et inédit, c'est que la position de la ministre, du rapport Duron et du rapport Spinetta convergent.

Que pensez-vous du chiffrage des réformes, de la politique financement des investissements ?

C'est l'aspect mineur du rapport Spinetta, qui est avant tout un rapport sur la gouvernance mais fait cependant des suggestions innovantes en matière de modèle économique et de péage. Ces questions relèvent davantage du rapport Duron, qui n'épuise pas le sujet du financement mais propose des pistes aux pouvoirs publics.

C'est notamment en s'appuyant sur ce dernier que le gouvernement va définir sa politique et ses priorités en matière de programmation des investissements dans les infrastructures. Elles dépendront des priorités retenues, par exemple, financer les trains du quotidien plutôt que les TGV. Et aussi des nouveaux modes de financement : vignette, péage urbain, centimes additionnels sur la TIPP, réformes des péages ferroviaires, etc. Ce sera une épreuve de vérité.

Jean-Cyril Spinetta a osé dire qu'il faut réformer la SNCF si l'on veut lui assurer un avenir. Elle reste un fleuron mais qui ne cesse de reculer dans tous les classements internationaux et sur de nombreux critères : ponctualité , qualité et même sécurité. Quand on sait que cette société reçoit entre 11 et 13 milliards de subventions publiques par an, qu'elle traîne une dette de 52 milliards et qu'elle a un déficit d'exploitation annuel de 3 milliards, on ne peut pas dire que la situation actuelle est satisfaisante.

Selon vous, quelles devraient être les priorités du gouvernement ?

J'en vois deux. En premier lieu, il reviendra au gouvernement de protéger la SNCF des revirements et des influences politiques qui, depuis quarante ans, l'ont ballottée et détournée de ses véritables priorités. A savoir : les déplacements domicile-travail, l'Ile-de-France , l'augmentation des capacités ferroviaires aux entrées de villes et une rupture technologique pour gagner en capacité.

De ce point de vue, les propositions de gouvernance de Jean-Cyril Spinetta sont pertinentes. En particulier, ses propositions de transformer tout ou partie des trois Epic en société anonyme 100% publique. La SNCF y gagnera en indépendance stratégique, en transparence financière et en management.

Seconde priorité : on ne peut aborder l'ouverture à la concurrence en maintenant des boulets aux pieds de la SNCF. Il est donc très important qu'elle soit assujettie aux mêmes règles sociales que ses concurrents, en particulier la convention collective du rail qui n'introduit aucun dumping social. Il me paraît également juste que l'Etat endosse une partie de la dette ferroviaire qui a été générée par les décisions politiques d'investissements des gouvernements successifs depuis quarante ans.

Le gouvernement osera-t-il se montrer aussi courageux que l'ont été les deux rapporteurs ? Il est au pied du mur.

Propos recueillis par Jean-Michel Gradt

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