
Huit longues années pour sortir de l'assistance financière. Le remède grec a-t-il été satisfaisant ?
Je crois qu'il faut d'abord se réjouir du moment vraiment historique, pour la Grèce comme pour l'euro, que nous vivons . Après avoir passé des centaines d'heures sur ce dossier, frôlé le précipice et le Grexit, le pays va mieux, les réformes portent leurs fruits et la Grèce retrouve le chemin de la normalité. Aujourd'hui, nous marquons symboliquement la fin de cette période.
J'en tire deux leçons historiques. D'une part, toute crise a une fin. D'autre part, on ne sort d'une crise qu'à condition que se combinent deux éléments : la solidarité et la responsabilité. Sans ces deux composantes, l'Union économique et monétaire est hémiplégique et ne fonctionne pas.
Cette solidarité n'a-t-elle pas fait cruellement défaut ?
Il faut se méfier des idées tarte à la crème. L'idée que l'austérité aurait créé la crise est fausse ! C'est l'inverse qui s'est passé. C'est parce que l'économie grecque reposait sur du sable, et parce que l'administration grecque était vermoulue et les finances publiques du pays maquillées, qu'il a fallu entrer dans cette logique de programmes d'assistance. Il est vrai que la Grèce a dû faire des réformes difficiles. Mais il est trop facile d'en faire porter la responsabilité aux seuls créanciers.
En réalité, il n'y avait pas de plan B ! Les réformes qu'a conduites la Grèce étaient vitales. Elles se sont faites en échange d'une assistance considérable, d'un montant cumulé de 273 milliards de dollars. Le pays aurait connu une vulnérabilité plus grande encore hors de la zone euro.
Donc pas d'erreur à se reprocher ?
Si, j'en vois quatre. D'abord, au tout début, nous avons collectivement sous-estimé l'ampleur du problème. Ensuite, d'une manière générale, nous avons eu tendance à ne faire des efforts de solidarité qu'au bord du gouffre et dans la douleur.
Par ailleurs, on peut regretter qu'il n'y ait pas eu d'accord à la fin du deuxième programme, en 2014. Ce rendez-vous manqué a ouvert une période d'incertitude et différé le retour de la croissance. Enfin, à l'arrivée du gouvernement actuel, il y a eu une sorte de marche au bord du vide qui a été extrêmement déstabilisante. La perspective du Grexit a été agitée, tandis que le ministre des Finances d'alors, Yanis Varoufakis , n'hésitait pas à jouer sur le registre de la provocation.
Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, n'a-t-il pas été trop agressif ?
Il est trop facile de pointer tel ou tel camp, telle ou telle personnalité. Tout n'a pas été parfait, nous avons inventé en marchant. Wolfgang Schäuble a laissé flotter la possibilité du Grexit, et cela a créé une terrible tension. Mais il l'a fait car il était exaspéré par la situation politique en Grèce. Il percevait un refus des autorités grecques de jouer le jeu des réformes.
Je suis persuadé qu'au fond de lui, il ne voulait pas le Grexit. Mais le fait est que l'évocation de ce scénario a entraîné une atmosphère dramatique qu'il aurait mieux valu éviter. Au final, pourtant, cette partie de poker débouche sur une issue positive : la croissance est là, les finances publiques vont mieux, le chômage a baissé. Et la Grèce va pouvoir retourner sur les marchés dans de bonnes conditions.
Ne risque-t-on pas de l'asphyxier en lui demandant de maintenir, à l'avenir, des excédents budgétaires massifs ?
Non. Je crois que l'accord d'aujourd'hui est réaliste et équilibré. Athènes prend des engagements clairs pour ses finances publiques. A moyen terme, il faudra que les excédents budgétaires reviennent à des valeurs plus normales et soutenables. Mais cela est prévu par l'accord.
Il y a aussi un déboursement significatif pour un « coussin de sécurité », qui va lui permettre de racheter des prêts. Et l'extension des maturités des crédits qui lui ont été octroyés va permettre un allégement de dette plus substantiel que jamais.
En maintenant quatre revues par an en Grèce, ne fait-on pas semblant de lâcher la bride au pays ?
Il ne s'agit pas de tenir la bride plus ou moins serrée. L'économie et la société grecque restent fragiles. Mener des politiques sérieuses pendant une durée consistante est une nécessité. Penser autrement serait naïf. Et revenir en arrière serait mortel pour la Grèce. D'où la combinaison subtile entre engagements du pays et gestes de soutien de la part des créanciers.
Concernant la surveillance qui sera effectuée, j'ai veillé personnellement à ce que les visites futures ne soient ni tatillonnes, ni intrusives, à ce qu'elles se focalisent sur les grandes politiques. Je ne veux pas que les équipes des institutions reviennent à Athènes en ayant juste changé la couleur de leurs costumes, mais en conseillers avisés et bienveillants.
Le pays pourra-t-il échapper à une vraie restructuration de sa dette, qui pèse 180 % de son PIB ?
Dans un univers pur et parfait, on aurait pu penser à l'effacement de la dette. Mais elle représente tout de même 315 milliards d'euros. Depuis le début, l'hypothèse d'un « hair cut », c'est-à-dire d'une réduction nominale de la dette, a été écartée, pour privilégier des mécanismes d'allégement (en agissant sur les taux ou la durée des prêts, NDLR).
Aujourd'hui, nous poussons cette logique un peu plus loin et l'on prête à Athènes ce coussin de sécurité. Ne sous-estimons pas tous ces efforts.
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